Au fil des jours, la question posée par certains politiques et de nombreux économistes devient de plus en plus cruciale : « Faut-il sortir de l’euro ? ». Jacques Sapir, économiste, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales et à l'Université de Moscou, auteur de nombreux ouvrages qui font école, en a fait le titre de son dernier livre paru en janvier dernier aux éditions du Seuil.
Les experts s’accordent pour reconnaître que la monnaie unique se révèle aujourd’hui un piège dangereux, néanmoins très peu disent avec conviction ce qu’il en sera pour les pays concernés si la zone euro, dont on dévoile les défauts structurels, devait disparaître.
Michel Leblay, économiste connu de nos lecteurs par ses articles mis en ligne sur le site de Polémia, vient de lui remettre une synthèse fort documentée du livre de Jacques Sapir. C’est un véritable cours d’économie et d’histoire financière européennes. Nous la soumettons à leur appréciation. Ils trouveront le texte dans son intégralité en version PDF, en cliquant en fin d'article.
Polémia
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Dans son essai, Faut-il sortir de l’euro ? , Jacques Sapir, comme a son habitude, présente une argumentation économique, intelligible et étayée, assortie de données statistiques, approfondissant les causes, exposant les solutions. L’un des éléments clés de la démonstration est la mise en exergue du rôle central occupé par l’Allemagne dans la mise en place de la monnaie unique et des règles définissant son fonctionnement dont elle a été le principal bénéficiaire. Il expose tout l’intérêt, notamment pour la France, d’une sortie de l’euro en termes de compétitivité retrouvée et de restauration d’une base industrielle substantielle. Abandonner l’euro, dans sa forme actuelle, la monnaie unique, ne signifie pas, pour autant, un renoncement à un étalon monétaire européen. L’auteur préconise, comme d’autres, l’adoption d’une monnaie commune dans laquelle seraient libellés les échanges extérieurs des Etats membres de la zone monétaire de l’euro ainsi redéfini.
A propos de la distinction entre la monnaie unique et la monnaie commune, il faut préciser que la première se substitue aux monnaies nationales, devenant le seul étalon monétaire pour tous les pays de la zone l’ayant adopté. Au contraire, la monnaie commune ne remplace pas les monnaies nationales qui demeurent pour toutes les transactions internes aux Etats. Par contre, ces monnaies nationales ne sont convertibles, selon une parité préalablement fixée, que dans la monnaie commune, unité de compte dans laquelle sont réalisés tous les échanges internationaux. Seule cette monnaie commune est cotée sur le marché libre des changes.
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Dans une première étape, l’économiste, après un panorama historique et théorique, établit un ensemble de constats qui tendent à démontrer l’échec de la voie choisie. La présentation de cette analyse a été ainsi ordonnée :
Jacques Sapir examine, ensuite, les conséquences de la situation présente et les options possibles. Cette partie est agencée de la manière suivante :
L’essai s’achève sur quatre remarques :
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Si elle survient dans un contexte économique et financier dégradé après la crise dite des « subprimes » intervenue aux Etats-Unis en 2007 – 2008 et la perte par ceux-ci de leur note AAA, la crise qui affecte la zone euro a, d’abord, un caractère spécifique avec la conjonction de trois phénomènes :
Les fondements de l’euro
Esprit tourné vers l’analyse économique approfondie, l’auteur met en évidence deux théories censées justifier la création d’une monnaie unique. Il retrace aussi l’historique de cette construction monétaire avant de préciser les conditions de sa mise en place.
Les références théoriques
Elles touchent à deux arguments. L’un justifiant, par la nécessité, la création d’une monnaie unique, l’autre postulant, par principe, que cette création engendrerait « une unification rapide des mécanismes économiques » des pays attachés à cette monnaie.
La nécessité a pour fondement un article de Robert Mundell, publié en 1961, selon lequel « une économie, en régime de libre échange et de libéralisation des capitaux, ne pouvait plus avoir de politique monétaire indépendante si l’on était en présence d’une mobilité parfaite – ou quasi parfaite – des capitaux ». L’essayiste observe que, dans le contexte de l’époque, la position de Mundell ne relevait que d’un « préjugé normatif libéral » visant à rapprocher l’économie du cadre théorique de « l’équilibre général » défini par Léon Walras .
Le principe est celui de « l’essentialisme monétaire », selon la dénomination de Jacques Sapir. Suivant cette théorie, recourant aux sciences sociales, la monnaie serait l’institution centrale des économies capitalistes. Par son existence même, cet instrument d’échange commun créerait les conditions d’un fonctionnement cohérent de l’économie. L’euro devait donc engendrer une homogénéité économique entre les pays l’ayant adopté.
L’historique
La volonté d’ordonner l’espace monétaire propre aux pays membres de la Communauté économique européenne, devenue l’Union européenne, le 1er novembre 1993, date du début des années soixante-dix à la suite du rapport « Werner ». Ce fut d’abord le « Serpent monétaire européen », instauré par l’accord de Bâle du 10 avril 1972, qui limita, dans un premier temps à plus ou moins 1,5 % les marges de fluctuations entre les monnaies des pays signataires, ces marges furent portées à plus ou moins 2,5 % en mars 1973. L’accord faisait suite aux bouleversements intervenus sur le marché des changes après la décision du Président des Etats-Unis, le 15 août 1971, de suspendre la convertibilité-or du dollar. La chute des cours de la livre sterling, de la lire, du franc français par rapport au Deutsche Mark obligea la Grande Bretagne et l’Italie à quitter définitivement le dispositif et la France, temporairement, à deux reprises. Cette situation amena le président de la Commission européenne, Roy Jenkins, à faire, le 27 octobre 1977, une première proposition de création d’une monnaie unique, assortie d’un budget communautaire représentant une contribution de 10 % du produit intérieur brut de chacun des pays. Finalement, il est décidé de créer, le 13 mars 1979, le Système monétaire européen fondé sur une valeur de référence, l’ECU , avec une marge de fluctuation de plus ou moins 2,25 % des monnaies participantes par rapport à cette valeur de référence. Le système, dans son existence, sera marqué par plusieurs ajustements de parité dont trois dévaluations françaises.
Jacques Sapir remarque que « cet échec fut largement perçu comme le produit d’une spéculation que l’on ne pouvait empêcher et traduisant l’inanité de demi-mesures ». La monnaie unique paraissait alors comme le seul moyen de s’affranchir de la spéculation. En fait, cette monnaie instaurée, la spéculation, aux premiers signes d’incertitude allait se porter des taux de change aux taux d’intérêt. L’auteur considère qu’au travers de ces expériences c’est la notion même d’une liberté de mouvement des capitaux qui est en cause, idée régulièrement reprise dans l’essai.
La création de l’euro et le rôle de l’Allemagne
Selon l’auteur, loin d’être pour l’Allemagne réunifiée le « sacrifice » présenté, l’union monétaire répondait, en réalité, dans les conditions de sa mise en œuvre, à ses intérêts bien compris. L’effondrement démographique de la première puissance économique du continent supposait pour le paiement des retraites futures l’accumulation et la capitalisation d’une richesse patrimoniale. Il en découlait deux exigences :
En contrepartie d’une ouverture totale de leurs marchés, les partenaires de l’Allemagne bénéficiaient, au travers de l’euro, de taux d’intérêt très bas leur permettant par un endettement à « bon compte » d’acheter ses produits.
Cependant, le système comportait de fortes contraintes :
Or, concernant ce dernier point, Jacques Sapir souligne que « pour fonctionner, la monnaie unique suppose que l’on puisse transférer des ressources vers les régions qui seraient indûment pénalisées lors d’un choc asymétrique ou qui s’appauvriraient car la productivité y serait plus faible que dans d’autres régions ». Un monopole monétaire dans une économie hétérogène implique « un volet important de redistribution » selon la situation des territoires, faute de quoi, comme c’est le cas entre les pays de la zone euro, les écarts de productivité et de coût salarial réel sont accrus.…
Michel Leblay
20/05/2012
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Jacques Sapir, Faut-il sortir de l’euro ?, éditeur Seuil, 12/01/2012, 204 pages
Correspondance Polémia – 4/06/2012
Image : 1re de couverture