Qu'est-ce qu'une mystique ?

jeudi 12 avril 2012

En cette période préélectorale où les mots, « démocratie », « socialisme », « liberté », « égalité » etc, sont prononcés et écrits à tort et à travers, Léon Arnoux rappelle quelques fondamentaux en se référant aux écrits de Louis Rougier, inspirateur de la Nouvelle Droite et l’une des premières têtes pensantes du GRECE d’Alain de Benoist.

Polémia

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Une mystique est un ensemble de croyances

« Une mystique est un ensemble de croyances qu’on ne saurait justifier ni en raison, ni en expérience mais qui s’imposent par la voix de l’autorité, de l’exemple, de l’habitude, du préjugé, de l’intérêt et, plus particulièrement, parce qu’elles expriment et sanctionnent les aspirations sentimentales et les tendances passionnelles d’un individu ou d’une collectivité. »

Remarquons au passage que le mot « communauté » n’est pas dit. S’y ajoute cependant ce qui suit : « Une doctrine (ou une affirmation quelconque) devient une mystique lorsqu’on la soustrait au contrôle de l’expérience et à l’épreuve de la discussion pour la traiter comme un dogme intangible ou lorsqu’on la fonde sur une base qui exprime seulement une conviction passionnée. »

Voilà bien, par les temps (et les affirmations) qui courent, des écrits fort intéressants et qui mériteraient peut-être qu’on s’y attarde un peu. Et de qui les tient-on ? Du philosophe Louis Rougier, qui fut, rappelons-le, récompensé deux fois par le Prix Louis Saillet de l’Académie des Sciences Morales et Politiques, ce qui est fort rare.

« Le but d’une telle doctrine est que l’on n’éprouve plus à son égard ni curiosité, ni le besoin de la remettre en question et que l’on l’admette comme une telle évidence que toute enquête sur son bien fondé devienne superflue et qu’on y adhère par un acte de foi jugé si nécessaire, par suite de sa bienfaisance sacro sainte, que l’abandonner serait scandaleux. »

Voilà donc de bien raisonnées explications pour nous décrire un phénomène que certains trouveront parfaitement d’actualité. On prévoit déjà que de la mystique à la religion il n’y aura qu’un pas. L’étude des religions pouvait mener à de bien étranges constatations mais on aurait toujours pu répondre au défricheur de cette particularité qu’il ne fallait pas se demander (par exemple) comment, scientifiquement, certaine conception avait pu se produire. Puisqu’elle s’était produite, c’était bien la preuve que, scientifiquement, c’était possible. Le farouchement anti chrétien Louis Rougier était-il un révisionniste avant l’heure ? Il semble bien que non. Et son épouse, née Lucy Friedman y aurait peut être objecté.

En fait, toutes ces démonstrations ne visaient qu’à mettre à plat une autre mystique : la mystique démocratique, ses origines et ses illusions. Reste que le raisonnement du spécialiste de l’étude de l’évolution des croyances religieuses en idéologies politiques (du paradis à l’utopie) parait si juste qu’on pourrait être tenté de l’appliquer à d’autres sujets.

La Mystique démocratique

Il faut remercier ici Alain de Benoist d’avoir préfacé et réédité aux Editions Albatros en 1983 : La Mystique démocratique. Comme on l’a dit, c’est l’étude des religions qui avait permis au philosophe d’établir que cette soif d’égalité si chère à nos socialistes d’hier et d’aujourd’hui remontait en réalité aux peuples nomades du désert et aux prophètes d’Israël. Rougier avait fait sienne la pensée de Renan suivant laquelle le libéralisme était d’origine grecque et le socialisme d’origine hébraïque. « Périsse le monde plutôt que l’iniquité soit » était le cri d’Osée ou d’Amos. Ainsi, la logique de l’esprit messianique débouchait-elle sur la mystique démocratique, elle-même inspiratrice de l’économie marxiste et de la dictature du prolétariat sur lesquelles il est inutile de revenir.

Cette mystique démocratique reposait sur l’idée de l’égalité naturelle de tous les hommes en vertu de laquelle ils auraient les mêmes droits et les mêmes compétences ; ce qui les conduit au collectivisme. Mais comme cela n’est guère réalisable, à des succédanés moins brillants : le socialisme d’état et le régime soviétique.

Déjà, la recherche de l’égalité avait amené les théoriciens des Lumières à réclamer la socialisation des terres et des moyens de production. « La terre n’est à personne, proclame-t-on, ses fruits sont à tous. » Bien sûr, ces socialisations (ou nationalisations) avaient pour intention de rétablir une égalité naturelle qui n’avait jamais existé que dans l’esprit de Rousseau. Mais les prémisses posées par ces idéologues conduisent avec une rigueur logique absolue au socialisme égalitaire et collectif. A ces idéologues, on peut toujours opposer l’objection suivante : « Vous prétendez que la démocratie seule est juste parce qu’elle repose sur la liberté et l’égalité. Comment lier ces deux propositions qui semblent apparemment s’exclure ? Qui dit liberté dit franchise de se comporter autrement qu’autrui et, éventuellement (et par voie de conséquence), de se grandir à son détriment. L’égalité est toujours restrictive de la liberté des forts ou des privilégiés au bénéfice des faibles ou des déshérités. »

Faut-il sacrifier la liberté à l’égalité ?

Pourquoi l’égalité serait-elle l’équité ? Aristote ne dit-il pas qu’il n’y a pas de pire injustice que de traiter également des choses inégales ?

A ceux qui sembleraient croire irréversibles la progression de certaines idées actuelles, Rougier rappelle malicieusement que, vers le milieu du XIIIe siècle, l’Islande était la seule République existant de par le monde. Elle vit débarquer chez elle, non point des saints celtiques dans des auges de pierre, comme Patrice ou Brendan, mais les envoyés du roi de Norvège qui la sommèrent de reconnaitre la souveraineté de leur suzerain. Ils invoquaient comme raison péremptoire que l’univers entier vivait sous des régimes monarchiques.

Ayant démontré les utopies qu’entraine la mystique égalitaire et rappelé l’éternel combat que se livreront qualité et quantité, élites et masses, Rougier nous avertit que dans les élites (ou privilégiés) se glisseront toujours quelques gaspilleurs, sybarites ou inutiles.

Et pourtant, et ce sera sa conclusion, dans les brillantes sociétés grecques ou latines, ces inutiles furent les artisans supérieurs d’un style de vie inimitable qui – s’il scandalisa tant nos Lumières – donna à l’humanité de si péremptoires et solennelles raisons de vivre.

« Qui donc, dit Rougier, n’échangerait tout l’or de New York, toutes les entreprises de Chicago, et tous les moralistes de Washington, pour le baiser de gloire d’Athènes, ou de ces trois villes qui furent le suprême scandale des puritains de la Réforme : la Venise des Doges, la Florence du Magnifique, et la Rome des papes humanistes ? »

Léon Arnoux
11/04/2012

Les intertitres sont de la rédaction

Correspondance Polémia – 12/04/2012

Lire ou relire : Le Génie de l’Occident, ‪R. Laffont‬, ‪1969‬, ‪472 pages‬ et La Mystique démocratique, préfacé par Alain de Benoist, éditions Albatros, 1983, 280 pages

Image : Louis Rougier

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