« Au coeur des services spéciaux / La menace islamique : fausses pistes et vrais dangers » de Alain Chouet

jeudi 15 mars 2012

Voilà un livre fait par l’ancien chef du service de renseignement de sécurité à la DGSE (direction générale de la sécurité extérieure) l’un des principaux services secrets français. Ce livre a un immense mérite : l’auteur parle vraiment sans aucune langue de bois. On peut ne pas partager toutes ses idées (il souhaiterait que la Turquie intègre l’Union européenne, par exemple) mais ses analyses nous permettent de mieux voir la réalité loin du politiquement correct.

Le rôle des Etats-Unis dans la montée de l’islamisme lui semble essentiel : tout se noue au départ avec l’accord entre le président des Etats-Unis Roosevelt revenant de Yalta et le roi de l’Arabie saoudite Ibn Saoud signé sur le « Quincy », un bateau de guerre américain en 1945. Les Américains obtiennent des concessions pétrolières et s’engagent à protéger le régime arabe. Or, celui-ci est wahhabite (une secte rigoriste islamique) et ne cesse depuis lors de financer l’islam extrême partout dans le monde.

Le chef des Frères musulmans après la pendaison du fondateur Hassan El Banna en 1949 est Sayyid Qutb (1906-1966) qui a adhéré à la confrérie après avoir fait ses études aux Etats-Unis où il avait bénéficié d’une bourse du gouvernement américain ». Les Frères musulmans jouent depuis lors un rôle considérable de radicalisation de l’Islam non seulement en Egypte où ils ont nés mais dans tout le monde musulman.

En 1980, les Soviétiques envahissent l’Afghanistan et la résistance islamiste va être financée par l’Arabie Saoudite et pilotée par les services du Pakistan, allié des Etats-Unis alors sous le régime islamiste du général pro américain Zia Ul Haq. Ben Laden sera un agent américain d’origine saoudienne qui combattra les communistes.

Les penseurs américains auront et ont encore tendance à penser que l’islamisme est un allié puisqu’il n’est pas socialiste. La lutte contre le terrorisme suite à l’attentat de New York du 11 septembre 1981 ne changera pas cette orientation. Selon M. Chouet, « les gens de Princeton, l’université où a été formé le vice président de l’époque Dick Cheney, pratiquent un mélange d’extrême sérieux universitaire, d’angélisme désarmant et d’inculture historique pyramidale ». Ce sont ces gens qui pousseront à l’attaque de l’Irak par les USA en 2003.

« Faire garder le poulailler par les …renards »

Les Américains avaient déjà favorisé la chute du chah en Iran ; ils ont eu l’imam Khomeiny à la place ! En Indonésie, ils ont aidé le gouvernement à utiliser les islamistes extrémistes contre les communistes mais aussi contre les séparatistes chrétiens de Timor. Au Soudan, ils ont lutté contre Nimeiry proche des communistes pour mettre en place les Frères musulmans. En Algérie, le rapport Graham Fuller de la CIA laisse entendre que les Islamistes sont incontournables. Avec Israël, les Américains favorisent le Hamas islamiste palestinien contre l’OLP trop socialiste. Pour l’auteur, les Américains ont le chic de faire garder le poulailler par les renards.

Résultat : beaucoup de régimes musulmans modérés « éprouvent une méfiance instinctive à l’égard des projets de recomposition américains au Moyen Orient. Pour eux, la « démocratie » venue d’Amérique même sous la bannière d’un prétendu « printemps arabe », c’est la quasi certitude de se retrouver avec les islamistes au pouvoir. Les exemples de l’Irak, de l’Afghanistan, de la Somalie, du Pakistan sont là pour le leur rappeler tous les jours. A qui le tour demain ?

Selon Alain Chouet, nos services savaient que la Tunisie était instable depuis 2001 mais les politiques n’ont rien voulu voir. « Le chef d’état major de l’armée tunisienne, le général Rachid Ammar, (…) était en voyage de travail aux Etats-Unis quand les émeutes ont commencé et il a ordonné à l’armée de ne rien faire sinon chasser Ben Ali. En Egypte de même, l’armée sous la pression de Robert Gates, secrétaire américain à la défense, a lâché Moubarak. Ce ne sont donc pas les peuples mais le retournement de l’armée qui a été déterminant. Quant à Khadafi, selon le ministre français Roland Dumas, depuis des années, les USA demandaient à la France d’intervenir militairement contre lui. Mitterrand et Chirac refusèrent à la différence de Sarkozy. Les principaux chefs de l’opposition libyenne sont des islamistes formés à Londres ou Washington. En Syrie, selon l’auteur, les Frères musulmans jouent un grand rôle contre le régime. Or, les think tanks (clubs de pensée) américains, notamment Freedom House « préconisent depuis longtemps un encadrement des sociétés musulmanes par l’association des Frères musulmans présentés comme modérés ».

A Bahrein, par contre l’Occident laisse l’Arabie saoudite massacrer l’opposition chiite à l’émir sunnite. L’Occident tolère des dictateurs au Zimbabwe ou au Turkménistan et tolère le régime autoritaire de l’Arabie saoudite. On n’attaque que les dictateurs que l’Arabie Saoudite déteste ! « Renverser un dictateur par la force avec des chars d’assaut et le pendre au bout d’une corde peut se révéler contre-productif (...) L’Irak est ainsi devenu un boulet infernal, tout comme l’Afghanistan. Il y a eu plus de morts civils en Irak depuis 10 ans que Saddam n’en avait fait pendant ses trente années de pouvoir (…) Obama a seulement choisi de mettre la stratégie américaine en œuvre de façon plus subtile et acceptable que son prédécesseur. Au lieu de jeter les dictateurs dehors en envoyant ses forces, il les fait jeter aux orties par leur propre armée (Tunisie et Egypte) ».

La fable du « printemps arabe »

L’auteur ne croit pas du tout que les printemps arabes vont déboucher sur des démocraties. Selon lui, « dans la foire d’empoigne et les ingérences étrangères qui succèdent aux mouvements de foule, il faudra bien se rendre à l’évidence qu’un demi siècle d’oppressions diverses, d’enrôlement forcé dans la confrontation Est-Ouest, d’influence des Frères musulmans, stimulés par les wahhabites d’Arabie, n’a guère laissé de place à l’expression et au développement de forces politiques démocratiques, libérales et tolérantes. Celles-ci ont été laminées et il ne faudra pas moins de deux générations pour les reconstruire. Les extrémistes musulmans savent bien qu’ils ont tout intérêt à faire le profil bas en ce moment (...) Toute la stratégie des islamistes radicaux visait à isoler le monde musulman pour pouvoir s’en emparer sans que l’Occident intervienne ; Ils sont servis au-delà de leurs espérances. L’Occident n’intervient pas contre eux, mais contre leurs adversaires !

Le Janus islamique

Et l’auteur conclut : « Quand les Occidentaux auront fini de sortir de leur besace des personnels aussi peu crédibles et légitimes que ceux qu’ils ont mis en place en Irak et en Afghanistan (devenu premier producteur mondial de cocaïne et d’héroïne), (...) les islamistes radicaux pourront sortir du bois pour réclamer le pouvoir. Et comme ils sont malins, ils le demanderont par les urnes. Et ils l’obtiendront comme en Turquie, au Soudan, ou à Gaza. Ce jour-là, quel argument les Occidentaux donneurs de leçons de démocratie auront-ils à leur opposer ? » Pour l’auteur, les causes de la violence islamiste sont dans l’alliance des USA avec l’Arabie saoudite qui finance partout les salafistes, et dans « la croyance naïve de nos intellectuels que la violence djihadiste peut se dissoudre dans l’islamisme modéré des Frères musulmans alors que ce sont là les deux faces d’un même Janus qui joue partout la même tragédie dévastatrice. ». L’Occident étant aveugle, ses interventions ne feront que faciliter la victoire des « barbus » dans tout le monde musulman.

Yvan Blot
13/03/2012

Alain Chouet, entretiens avec Jean Guinel, Au cœur des services spéciaux / La menace islamique : fausses pistes et vrais dangers, éditions La Découverte, Collection Cahiers Libres, 2011, 320 pages.

Voir aussi :

La Libye, de la « libération » à la somalisation
« Révolutions arabes » : les cocus de l'AN I
Révolutions arabes ? Non révoltes ethniques et religieuses !
Le lotus et le jasmin sont-ils déjà fanés ?

Correspondance Polémia – 15/03/2011

Image : 1re de couverture

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