La démocratie en France : état des lieux

vendredi 17 février 2012

A la veille d’une nouvelle élection présidentielle, une des étapes les plus marquantes de la vie démocratique de la République, Louis Tode se livre à un « état des lieux ». Son analyse aborde les principaux modes de fonctionnement, que l’on connaît bien isolément, avec leurs défauts sinon leurs dévoiements, et que l'auteur a le mérite de réunir pour en préconiser quelques remèdes.
Polémia

Nous qui donnons des leçons de démocratie à la terre entière, nous pouvons nous poser une question : comment va notre système politique ? Qu’en est-il de la démocratie en France ? Est-elle assurée par l’élite en place, ou est-elle bafouée et confisquée par une oligarchie ? Etudions cela un peu en profondeur.

Nous ne connaissons pas actuellement en France de démocratie directe ; seule la démocratie représentative compte : très peu de référendums nationaux – et encore : quand le résultat déplaît au gouvernement les députés revotent– absence de référendums locaux (villes, villages, régions, etc.). Pour certains sujets nous avons même interdit des référendums (peine de mort), et rien n’est fait pour encourager l’initiative populaire ; la commission européenne, elle, daigne à peine se pencher sur un sujet si un million d’Européens ont signé une pétition.

Nous observons ensuite un verrouillage de la démocratie par les partis politiques : ceux-ci sont devenus indispensables à quiconque souhaite un jour être élu. Les mastodontes de la Ve République se sont imposés partout, et il faut passer par leurs mailles pour accéder aux hémicycles : ils ont les réseaux, l’argent, ils font entre eux des arrangements pour n’avoir aucun vilain petit canard dans les assemblées. La plupart font des carrières, ont de multiples casquettes, ils se connaissent tous et sont tous copains : il est bien évident qu’à partir de là il est difficile d’émerger en tant que force politique nouvelle et indépendante, car on représente alors un danger, celui de prendre leur place qu’ils ont gardée bien au chaud.

Ces élus qui verrouillent tout ont aussi tourné les modes de scrutin à leur avantage : ces modes pénalisent toujours les plus faibles et empêchent, là encore, des forces novatrices d’émerger. Nous sommes par exemple passés, aux législatives, de la proportionnelle intégrale au scrutin uninominal à 2 tours : ceci a empêché toute une partie de la population d’être présente à l’Assemblée nationale. « Oui mais il faut une majorité forte pour gouverner »… Au-delà de l’incertitude de cette affirmation, pourquoi dans ce cas ne pas aller jusqu’au bout de la logique et instaurer le parti unique ?

De même, les élections européennes, qui étaient autrefois des élections nationales, ont été régionalisées. Quel en a été le résultat ? Un scrutin incompréhensible, qui a fait déserter les électeurs (30% de participation en 2009) et qui a donc affaibli les forces dissidentes.

Les élus ne souhaitent hélas pas voir une force émerger, car cela serait au détriment d’eux-mêmes.

Concernant les élections : des complications ont été ajoutées aux difficultés. Lors des élections territoriales on s’est mis à exiger que chaque candidat ait un suppléant ainsi qu’un trésorier de campagne. Lorsque l’on est un petit parti, comment peut-on trouver toutes les personnes nécessaires ? En revanche, un grand parti bien implanté a, lui, les réseaux nécessaires pour trouver ces gens. De même, lors des élections présidentielles, nous sommes passés d’une centaine de signatures de maires anonymes à 500 signatures visibles. Les partis politiques verrouillant tout, ils ont même modifié l’organisation du territoire pour avoir sous leur coupe le moindre village (réforme territoriale, intercommunalité, etc.), et pouvant par conséquent faire pression sur les maires donnant leur signature à des dissidents. De plus, avec de véritables féodalités se mettant en place, certains n’acceptent pas qu’on veuille prendre leur place et utilisent tous les moyens pour les déstabiliser (personnel municipal décollant les affiches de candidats à la mairie, moins de panneaux électoraux).

Et quid de la culture du débat, de la polémique ? Y a-t-il eu un débat en 2002 entre les candidats du second tour ? Y a-t-il eu, en 2007, loin des émissions où chaque Français demandait ce que le candidat proposait pour son petit problème, de grands débats entre candidats ?

Enfin, et c’est peut-être l’élément principal de cette problématique, souvenons-nous que tous ces élus, cette élite, majorité, opposition, etc. se retrouvent loin des assemblée filmées et visibles. La plupart de ces membres appartiennent à des associations, cercles, clubs très sélects où ils peuvent discuter et faire connaissance entre eux loin des regards du « méchant peuple ». Avec le carriérisme de la politique, ils se fréquentent et se connaissent de plus en plus, s’acoquinent, s’arrangent, font connaissance avec les journalistes, les chefs d’entreprise, les médias, les experts, les économistes, les intellectuels officiels du régime, etc. Les intérêts convergent, on arrive à se mettre d’accord sur telle ou telle force politique qui serait un danger pour ce petit monde bien au chaud dans ses salons. Il est alors aisé de lancer des opérations de discrédit sur cette force politique un peu trop dissidente, et de terroriser des gens qui s’apprêteraient à voter pour elle, leur faisant croire que ce serait le chaos si ce petit monde était chahuté.

Ainsi, quelques mesures seraient nécessaires afin d’assainir notre vie politique nationale et, accessoirement, continuer à donner des leçons de morale à toutes les nations :

  • - instaurer tout d’abord un niveau de proportionnelle significatif aux législatives (au moins 50%) ;
  • - faire appel, à l’image de la Suisse, aux référendums sur les grands sujets nationaux (sans évidemment abuser et en faire tous les matins) ainsi qu'à la démocratie directe (et non participative, ce qui est une vaste blague) au niveau local quand cela peut être nécessaire ;
  • - arrêter de confisquer la voix du peuple, et respecter son vote ;
  • - retenir le principe des mandats non cumulables et non renouvelables (ce qui permettrait d’avoir chacun qui fait sa tâche jusqu’au bout sans chercher à être démago pour être réélu, notamment le président) ;
  • - baisser les indemnités et réduire le train de vie de l’Etat, des collectivités et du Parlement, pour que la politique ne soit pas intéressée ;
  • - préserver l'anonymat des maires à la Présidentielle, et diminuer le nombre de signatures requises (faire en sorte que cela redevienne un acte administratif et non politique) ;
  • - supprimer les trésoriers de campagne, suppléants et autres contraintes folkloriques lorsque cela n’est pas nécessaire aux élections locales et territoriales :
  • - avoir des organismes indépendants sur les comptes et les statistiques du pays ;
  • - revoir de fond en comble la répartition des pouvoirs et la décentralisation : il y a actuellement beaucoup trop d’élus, d’assemblées, etc ;
  • - limiter à un seul tour l’élection présidentielle.

La vie politique doit être assainie, elle doit respirer, éviter les carrières, optimiser une rotation afin que personne ne reste 30 ans aux commandes et confisque tout. Les représentants d’aujourd’hui n’ont rien de neuf, ce sont les mêmes depuis des décennies, et les petits nouveaux sont ceux qui marchent dans leurs pas. Il faut laisser les forces obsolètes disparaître et permettre à d’autres d’émerger. Que les élus écoutent le peuple et le représentent, au lieu de vouloir lui inculquer une idéologie.

Louis Tode
16/02/2012

Correspondance Polémia – 17/02/2012

Image : « Les représentants d’aujourd’hui n’ont rien de neuf, ce sont les même depuis des décennies, » : deux représentants de l'UMP et du Parti socialiste, brillants énarques sortis des Finances, qui n'ont pas eu le courage de s'opposer aux dépenses publiques.

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