Les Suisses ont trente cinq fois plus la parole que les Français !

samedi 10 septembre 2011

Notre contributeur Yvan Blot va publier courant octobre un important ouvrage sur la démocratie directe dont il est de longue date le meilleur connaisseur français. En avant-première Polémia donne à ses lecteurs connaissance de ce texte qui compare les droits du peuple en France et en Suisse. La France apparaît dramatiquement sous développée en la matière.

Polémia

Le parlement suisse édite une brochure intitulée La Confédération en bref qui présente les institutions politiques helvétiques. Deux pages sont consacrées au sujet suivant : la démocratie directe au niveau fédéral, de nombreux droits pour le peuple. En effet, les citoyens suisses disposent de quatre droits politiques fondamentaux : le droit d’élire ses représentants, le droit de voter sur des objets, le droit de déposer une initiative et le droit de lancer un référendum. Il est intéressant de comparer ces droits du citoyen suisse aux droits fort réduits du citoyen français.

1/ Le droit d’élire ses représentants

Tous les 4 ans, le peuple élit les 200 membres du Conseil National (chambre des députés). Les fonctionnaires fédéraux doivent, s’ils sont élus, démissionner de la fonction publique, ce qui n’est pas le cas en France. En France, le peuple élit le président de la république et les députés tous les cinq ans (sauf dissolution de l’assemblée nationale par le président de la république).

Par ailleurs, le peuple suisse élit les 46 membres du Conseil des Etats (Sénat) au scrutin direct. En France, seuls les « grands électeurs » comme les élus locaux peuvent élire les sénateurs : les électeurs ne sont pas égaux devant la loi ; il y a les « grands » et donc les « petits » !

Les élections se font en Suisse à la proportionnelle pour éviter que des pans entiers de l’électorat ne soient pas représentés en raison du découpage des circonscriptions calculé pour empêcher les petits partis ou les partis gênants d’être élus. En France, un bon quart des électeurs (extrême gauche et Front National notamment) ne sont pas représentés en raison de ce découpage et du scrutin majoritaire.

Malgré les inconvénients du système français, on peut dire que l’élection des représentants est le seul domaine où les citoyens suisses et français ont à peu près les mêmes droits.

2/ Le droit de voter sur des objets

Tous les électeurs suisses peuvent participer à des votations (en France, on dit des référendums). En règle générale, les électeurs sont appelés quatre fois par an à se prononcer sur des questions de politique fédérale (nationale). Les objets mis en votation sont au nombre de trois ou quatre en moyenne. La votation fait suite au dépôt d’une initiative populaire ou d’une demande de référendum par les citoyens. Le droit de vote sur des objets n’est pas limité par le pouvoir du chef de l’Etat, du parlement ou du juge de décider ou non du bienfondé d’un référendum. Enfin, le référendum est obligatoire pour toute modification de la constitution (le pacte fondamental entre les citoyens) et pour l’adhésion de la Suisse à certaines organisations internationales, ce qui signifie qu’il y a obligatoirement votation sur ces sujets.

En France, le président de la république peut convoquer les électeurs à un référendum, soit sur une modification de la constitution (article 89 de celle-ci) soit sur des sujets d’organisation des pouvoirs publics, de politique économique, sociale ou d’environnement ou sur des traités internationaux (article 11). Il le fait très rarement et le peuple est convoqué environ une fois tous les cinq ans sous la 5ème république (11 référendums en 55 ans). Si l’on exclue la période où De Gaulle était au pouvoir, on arrive à 6 référendums en 44 ans soit un tous les sept ans ! En Suisse, les citoyens ont été consultés 215 fois en 40 ans soit environ 5 fois par an ! Autrement dit, le score comparatif est tel que le citoyen suisse a 35 fois plus souvent la parole que le Français !

3/ Le droit de déposer une initiative, un moyen de faire valoir ses exigences, précise la brochure du parlement suisse.

Les citoyens peuvent demander une modification de la constitution. Pour que l’initiative aboutisse, elle doit recueillir 100 000 signatures valables dans un délai de 18 mois. L’initiative peut consister en une question générale ou en un projet de loi complet. Le gouvernement et le parlement peuvent lui opposer un contre-projet qui sera mis au vote le même jour que l’initiative. Selon le parlement suisse, « les initiatives populaires sont le moteur de la démocratie directe car elles n’émanent ni du parlement ni du gouvernement, mais sont le fait des citoyens eux-mêmes. » De 1971 à 2011 en 40 ans, les Suisses ont voté sur 121 initiatives mais seulement 10% ont eu une majorité de « oui ». Cela n’est pas un problème car elles ont permis au débat d’avoir lieu et le gouvernement se sent obligé de tenir compte d’une initiative lorsqu’elle atteint des chiffres comme 40% de « oui » même si ce n’est pas la majorité.

En France, le droit d’initiative n’existait pas avant la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Selon le nouvel article 11 qui traite non des prérogatives du peuple mais du président de la république (ce qui est significatif), un référendum peut porter sur l’organisation des pouvoirs publics, la politique économique, sociale ou environnementale, ou sur la ratification d’un traité international : Une initiative d’un cinquième du parlement soutenue par un dixième des électeurs peut proposer un projet de loi dans ces domaines. Si le parlement ne l’examine pas dans un certain délai, le président de la république la soumet au référendum. Cette initiative est totalement verrouillée : Il n’est pas possible, d’après les expériences historiques constatées, d’avoir autant de signatures de citoyens (3,5 millions) : l’Italie en exige 500 000 et la Suisse 100 000 ! Il n’y a pas de raison que le parlement ne traite pas ce texte donc il n’y aura pas de référendum sauf volonté du gouvernement de demander au parlement de ne rien faire pour que le référendum puisse avoir lieu ! Enfin, les textes d’application ne sont toujours pas sortis en 2011 ce qui est assez honteux.

Le score est donc de 121 initiatives en quarante ans pour la Suisse et de 0 pour la France.

4/ Le droit de lancer un référendum : le moyen de dire « non » précise le parlement suisse.

Le peuple a un droit de veto sur les lois, les arrêtés fédéraux et certains traités votés par le parlement. Il suffit d’une pétition de 50 000 signatures récoltées en 100 jours pour rendre le référendum obligatoire sur le texte visé. Ce dispositif est un frein contre les réformes non souhaitées par les citoyens mais il pousse aussi le parlement à consulter beaucoup de monde avant d’adopter une loi : c’est un instrument de concordance. De 1971 à 2011, il y a eu 94 de ces référendums d’initiative populaire dont 30% de réussite (la loi a été annulée).

En France, ce dispositif est inexistant. Le score comparatif d’utilisation de ce droit de lancer un référendum est donc de 94 pour la Suisse et de 0 pour la France.

Conclusion : Les droits politiques des Français sont réduits au strict minimum

La comparaison des droits politiques des Suisses avec ceux des Français est donc accablante pour la France du point de vue de la démocratie. Les Français ont quatre fois moins de droits politique et même leur système électoral est biaisé de façon choquante (un quart des Français votants non représentés, privilège des « grands électeurs » (sic) pour élire le Sénat notamment). Tout se passe comme si la classe politique française considérait les Français comme des mineurs irresponsables et non comme des adultes raisonnables. Or, les expériences étrangères de démocratie directe (notamment suisses, américaines, italiennes ou allemandes) montrent que l’on peut faire confiance aux citoyens dans nos sociétés développées. Le français n’est pas intrinsèquement inférieur aux citoyens suisse, italien ou californien !

Calcul du score démocratique de la Suisse et de la France

Si l’on donne un point pour chaque consultation populaire (élection ou référendum) sur la période des quarante dernières années, la Suisse obtient 20 pour le premier droit politique du citoyen (élire un représentant), soit dix élections pour le conseil national et dix élections pour le conseil des Etats. La Suisse obtient par ailleurs 215 points pour le deuxième droit politique (voter sur des objets), 121 pour le troisième droit (déposer des initiatives) et 97 pour le quatrième droit (lancer des référendums) : le total est de 453 points pour la Suisse sur 40 ans.

La France a alors 7 points pour le nombre d’élections présidentielles, 9 points pour les élections législatives et 7 points pour les élections européennes qui sont aussi au suffrage universel, soit un total de 21 points pour le premier droit politique (élire des représentants). Elle obtient par ailleurs 6 points pour les référendums sur des objets précis, 0 points pour le droit de présenter des initiatives et 0 points pour le droit de lancer des référendums. Le total pour la France est donc 27, c’est-à-dire 27 fois où les citoyens ont pu exercer un droit politique en 40 ans.

Scores démocratiques : 453 pour la Suisse contre 27 pour la France que l’on a le culot d’appeler le « pays des libertés et des droits de l’homme » ! La réalité est que la France est une oligarchie partiellement libérale et non une authentique démocratie libre comme la Suisse. Les droits politiques en France demeurent véritablement sous-développés.

Yvan Blot
4/09/2011

Correspondance Polémia – 10/09/2011

Image : La Confédération en Bref, 2011 - Cette brochure qui paraît tous les ans donne, grâce à une illustration abondante et un langage simple, un aperçu aussi complet que possible de la Suisse, de ses institutions politiques et des autorités fédérales.

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