Théorie du genre : destituer l'homme de son humanité

jeudi 30 juin 2011

Luc Chatel vient d’imposer dans les programmes de première de Sciences de la vie et de la terre la « théorie du genre ». Le professeur Jean-François Mattei analyse ici le sens philosophique de ce lyssenkisme pédagogique. Il s’agit pour lui d’une négation pure et simple de la notion d’humanité, d’un retour à la barbarie dans une perspective post-soixante-huitarde.

Polémia.

 

La confusion des genres

 

On ne comprend pas la vague de fond des gender studies américaines... qui monte à l’assaut des rives françaises, si l’on se contente d’y voir un avatar du féminisme. Il s’agit en effet moins de libérer la femme de son oppression biologique que de destituer l’homme de son piédestal ontologique dans un retournement inattendu. Le « genre » ne concerne pas en effet l’homme en tant que mâle, sexué selon le système hétérogamétique XY dont la biologie montre la nécessité, mais l’homme en tant qu’humanité, voué à une essence dont l’éthique affirme la dignité. Pour le dire brièvement, la théorie du genre veut en finir avec l’humanisme occidental depuis la Renaissance afin d’abolir toute forme d’universalité. Le diagnostic de Michel Foucault sera ainsi corroboré : l’ « homme » est bien, en Occident, une « invention récente » dont le visage de sable s’efface peu à peu « comme à la limite de la mer ».

Les travaux sur le genre partent d’un postulat radical : la différence entre l’homme et la femme relève d’un genre social sans rapport avec le genre sexuel, dans la mesure où le comportement humain dépend du seul contexte culturel. S’il y a une différence biologique des sexes, elle n’a aucune incidence anthropologique, encore moins éthique, de sorte que l’hétérosexualité n’est pas une pratique orientée par la nature, mais l’effet d’un déterminisme culturel qui a imposé ses normes oppressives. On s’attaque en conséquence à la différence entre le masculin et le féminin en annulant, avec leur identité propre, leur inclusion dans la catégorie de l’humain. Monique Wittig, la « lesbienne radicale » qui refuse d’être une « femme » et qui prétend ne pas avoir de « vagin », énonce l’impératif catégorique du temps : il faut détruire politiquement, philosophiquement et symboliquement les catégories d’ « homme » et de « femme » (La pensée straight, p. 13). Et cette destruction s’impose parce qu’ « il n’y pas de sexe », qu’il soit masculin ou féminin, car c’est « l’oppression qui crée le sexe et non l’inverse » (p. 36). Si le genre grammatical n’existait pas, le sexe biologique se réduirait à une différence physique anodine.

Déconstruire les différences entre le masculin et le féminin

On avance donc, dans un énoncé purement performatif, que les différences entre le féminin et le masculin sont les effets pervers de la construction sociale. Il faut donc déconstruire celle-ci. Mais on ne se demande à aucun moment pourquoi les sociétés humaines ont toujours distingué les hommes et les femmes, ni sur quel fond l’édifice grammatical, culturel et politique prend appui. Comment expliquer que tous les groupes sociaux se soient ordonnés selon les « oppositions binaires et hiérarchiques » de l’hétérosexualité, comme le reconnaît Judith Butler ? Loin de s’inquiéter de cette permanence, la neutralité du genre se contente de dissocier le biologique de l’anthropologique, ou, si l’on préfère, la nature de la culture, afin d’évacuer la fonction tyrannique du sexe.

Cette stratégie de déconstruction ne se réduit pas à la négation de l’hétérosexualité. Les gender studies, au même titre que les queer studies ou les multicultural studies, ont le souci de miner, par un travail de sape inlassable, les formes d’universel dégagées par la pensée européenne. Judith Butler n’hésite pas à soutenir que « le sexe qui n’en est pas », c’est-à-dire le genre, constitue « une critique de la représentation occidentale et de la métaphysique de la substance qui structure l’idée même de sujet » (Trouble dans le genre, p. 73). On se débarrasse, d’un coup de plume, du sexe, de l’homme, de la femme et du sujet pris dans la forme de l’humanité. Ce qui entraîne par une série de contrecoups, la destruction de l’humanisme, imposé aux autres cultures par l’impérialisme occidental, et, plus encore, la destruction de la république, de l’État et de la rationalité. La déconstruction, apportée aux USA par la French Theory avant qu’elle nous revienne comme un boomerang, a pour fin ultime de ruiner le logocentrisme identifié par Derrida à l’eurocentrisme, en d’autres termes à la raison universelle.

Confusion entre l’homme et la femme et la réalité et la virtualité

Elle se fonde pour cela sur la confusion des genres, entre l’homme et la femme, mais aussi entre la réalité et la virtualité. C’est ce que laissait entendre la critique de l’hétérosexualité par Foucault au profit de l’homosexualité qui permettrait de « rouvrir des virtualités relationnelles et affectives » (Dits et Écrits). C’est pour sacrifier à ces virtualités qu’un couple canadien décidait récemment de ne pas révéler aux gens le sexe de leur bébé de quelques mois, prénommé Storm, afin qu’il puisse le choisir librement par la suite.

On aurait tort alors de regretter que le genre, à défaut du sexe, fasse une entrée remarquée à Sciences Po et dans les programmes des lycées. L’humanité future est désormais en marche vers un monde sans oppression qui, délivré du sexe, sera bon chic bon genre. Quand ce dernier aura définitivement neutralisé les identités et les différences, l’homme nouveau pourra partager le soulagement de Swann : « Dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre ! »

Jean-François Mattéi
Institut universitaire de France
Le Procès de l’Europe, PUF, 2011
Magistro  18/06/2011

Voir aussi les articles sur Polémia :

« La barbarie intérieure : essai sur l'immonde moderne », de Jean-François Mattei 
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Correspondance Polémia – 30/06/2011

Image : « gender »

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