Sauvetage in extremis en faisant Rafale commun...

lundi 20 juin 2011

Dans un article publié récemment par Polémia, Jean-Dominique Merchet rapportait les inquiétudes du chef d’état-major de la marine, l’amiral Forissier, qui se demandait comment, dans la situation actuelle où la Royale est pleinement engagée en Libye pour une durée imprévisible, elle pourrait assurer l’entraînement et la formation de ses équipages.
La même question se pose d’une façon encore plus cruciale pour nos voisins outre-Manche. Avec les décisions prises par le gouvernement britannique, au mois d’octobre dernier, la Royal Navy a dû retirer du service son porte-aéronefs, le HMS Ark Royal, les Harrier embarqués à son bord connaissant le même sort.

Polémia


La Royal Navy est sur le point de sombrer, véritablement. L’amiral français Forissier, chef d’état-major de la Marine nationale, disait, le 6 juin 2011 au Daily Telegraph, la stupéfaction des marins français devant l’ampleur des compressions budgétaires subies par la Royal Navy : « D’un point de vue français, je dois dire que nous avons vraiment été surpris, parce que la Royal Navy a toujours été un modèle pour nous et qu’elle est confrontée maintenant à une situation très difficile ».

Cette situation a été largement confirmée par les déclaration du First Sea Lord [homologue britannique de l’amiral Forissier], l’amiral Stanhope, sur la situation dramatique de la Royal Navy au large de la Libye, – et ailleurs du reste (le 13 juin 2011 dans le Guardian : « Le chef de la Royal Navy a averti que la flotte ne serait pas en mesure de poursuivre le niveau actuel des opérations sur le front libyen au-delà de l’été, à moins que les ministres ne prennent des décisions sévères sur ce à quoi ils veulent donner la priorité ». Le 14 juin 2011, Richard Norton-Taylor [rédacteur en chef au The Guardian] et Nick Hawkins [ancien membre conservateur du Parlement] sont venus au secours du pauvre Sir Mark Stanhope, accablé de critiques au 10 Downing Street pour ses déclarations de la veille : «…Ce qui est regrettable. Il n’a rien dit de faux ou d’incorrect. Il n’a même pas dit quoi que ce soit digne d’être remarqué. »

Comment sauver la Royal Navy dans ce Trafalgar à rebours ? Comment l’aider à colmater les brèches pour éviter le naufrage en attendant l’hypothétique venue du futur porte-avions, The Queen Elizabeth, d’ici… combien de temps ?… une décennie ? Qui sait ? Et un porte-avions avec quels avions, du reste ? Le JSF [avion de combat américain] (ricanements contenus) ? Alors, pourquoi pas le Rafale qui vole, lui, et qui vole bien (ricanements plus audibles) ? En attendant, et une fois dissipés les ricanements, c’est bien le cas, pour le Rafale, comme mesure de sauvegarde.

C’est ce que détaillent plusieurs journaux britanniques, en annonçant que le plan de sauvegarde, – pardon, de coopération, –– est entré en action. Un premier contingent d’une trentaine d’officiers pilotes de la Navy vont être envoyés à bord du Charles de Gaulle où ils opéreront pendant plusieurs années (trois), notamment en pilotant les Rafale embarqués à bord du Charles de Gaulle.

Forissier avait préparé le terrain au niveau sacro-saint de la communication… «Les avions britanniques pourraient effectuer leurs missions dans l’avenir à partir de porte-avions français, a déclaré l’amiral. » « Quand vous menez une attaque, c’est la nationalité de l’avion [qui est importante], donc potentiellement dans l’avenir, vous pourriez avoir un avion britannique engagé dans une mission britannique à partir d’une base française. »

« En l’absence de porte-avions de la Royal Navy, pour au moins la prochaine décennie, la marine française sera un partenaire significatif dans la formation des marins britanniques », a déclaré l’amiral Forissier. «La Royal Navy a perdu son savoir-faire pour les “porte-avions à catapulte”. » « Pour qu’un porte-avions fonctionne à pleine capacité, il faut dix ans [de formation]. Le défi est de nous préparer nous-mêmes pendant ces dix années de sorte que, lorsque le Queen Elizabeth [premier porte-avions de 60.000 tonnes] sera prêt, il pourra être opérationnel en très peu de temps. »

Le 12 juin 2011, le même Daily Telegraph (avec d’autres) détaille d’une façon pratique le commencement de l’opération de sauvetage, – c’est-à-dire de coopération… Les pilotes britanniques à bord du Charles de Gaulle, la nécessité pour eux d’apprendre le français, leur accoutumance nécessaire à la nourriture du cru (excellente, indeed, mais froggy), les habituels lieux communs sur l’hygiène des officiers français par rapport à celle, bien plus glorieuse, des officiers britanniques… Mélange d’amertume et de blagues éculées, souligné par un message d’outre-tombe de l’amiral Horatio Nelson, retranscrit par un officier de la Royal Navy : «Qui aurait pensé que plus de 200 ans après la bataille de Trafalgar, nous demanderions aux Français de former nos pilotes de l’aéronavale ? Nos relations avec les Français ont toujours été un peu tendues, donc ce sera un véritable test de coopération.»

Pour le reste, l’opération est sérieuse…

«Les cinq premiers des 30 pilotes de la Royal Navy ont commencé l’apprentissage de la langue française au Collège interarmées de la défense à Paris avant de rejoindre le porte-avions Charles de Gaulle, où ils piloteront des Rafales. »

« Ils vont passer 16 semaines à apprendre le français afin d’être capables de communiquer avec leurs collègues à bord du bâtiment. Tout en portant leur uniforme, ils dormiront, prendront leurs repas et travailleront aux côtés des pilotes français, dans le cadre de ce qu’on a présenté comme un test majeur de coopération pour les deux marines, […] »

« Un avantage, cependant, pour le personnel de la Royal Navy, ce sera la qualité de la cuisine proposée à bord du Charles de Gaulle, dont la réputation est d’être d’un niveau très supérieur à celle qui est fournie à bord des navires britanniques. »

Le dérisoire, l’amertume, la plaisanterie éculée, les considérations sérieuses et un peu pompeuses sur la coopération, les appels au secours face au naufrage de cette glorieuse institution qui a fait l’Histoire, – la Royal Navy, – tout y est… Jusqu’à cette situation inédite de marins britanniques qui, pendant trois ans, vont voler à bord du Rafale, comme si le Royaume-Uni avait acheté le Rafale. Ce serait une sage précaution si l’on considère l’effroyable effondrement et la probable chute dans le néant du mythe inversé par la subversion du Système qu’est le JSF des cousins américanistes. …

D’ailleurs, peut-être pourrait-on déjà l’annoncer presque avec assurance : oui, bien sûr, le Royaume-Uni finira par acheter, ou louer pour un temps indéfini, le Rafale Marine, comme une mesure de sauvetage en catastrophe se transformant en mesure structurelle de facto. La sensibilité écorchée des Britanniques à l’idée d’acheter français, outre de « coopérer » français en se réfugiant sur le Charles de Gaulle, ne sera pas écorchée trop longtemps, – on s’habitue à tout, – puisque, d’ici là, le Pentagone aura lui aussi sombré, avec le JSF. Alors, ils (les Britanniques) voleront à bord du meilleur avion embarqué du monde (dito, le Rafale), dans une situation universelle de déstructuration accélérée des restes du Système en phase accélérée d’effondrement. Sans aucun doute, et pour se fixer sur ce point très particulier d’une situation générale d’effondrement, cette mesure des pilotes britanniques intégrés sur le porte-avions français et dans les unités embarquées Rafale est une excellente préparation technique et, surtout, psychologique, à la démarche finale qui nous semblerait très vite inéluctable du choix du Rafale par les Britanniques. Ces Britanniques s'habitueront à la « coopération » avec les Français et apprécieront le Rafale, comme d'autres (Britanniques), au moins un, ont commencé à le faire ; cela remontera à l'état-major, puis au pouvoir politique, qui n'a plus aucune option de rien du tout, plus aucune perspective, plus aucune stratégie, plus rien, – et qui sera bien content de sauter sur l'occasion d'une justification venue de ses militaires pour l'achat du Rafale parce qu'il n'y a rien d'autre à faire. Tout cela se ferait dans une atmosphère si complètement apocalyptique par ailleurs et en général qu’une telle décision n’aurait qu’un retentissement moyen, le reste de l’effondrement faisant beaucoup plus de bruits et de vagues.

La « coopération » franco-britannique est une mesure de survie commune – un peu plus pour les Britanniques que pour les Français, – et doit être considérée comme telle, impérativement. Le possible choix du Rafale par les Britanniques que nous entrevoyons désormais comme très probable ne peut être apprécié en aucune façon comme la mesure révolutionnaire qu’elle eût été il y a cinq ou dix ans. C’est, là aussi, une opération de survie, ou de sauvetage en catastrophe, face, pour le cas particulier, à la situation terrifiante du Royaume-Uni et de ses moyens, face à la situation US et à l’effondrement, là aussi, des structures, des capacités des forces et des capacités de production, de la situation d’un programme d’avion (notamment, sa version embarquée F-35C) qui s’effondre régulièrement vers une nouvelle situation où, au mieux, il faudra compter un JSF à $150-$200 millions, et, au pire, – le pire est aujourd’hui non seulement « toujours possible » mais, très vite, de plus en plus probablement, – sur pas de JSF du tout. Mais, d'ici là, les USA n'existeront sans doute plus sous leur forme actuelle, et on ne leur en voudra pas trop...

Dedefensa.org
15 juin 2011

Note de la rédaction : Polémia a trouvé cet article intéressant en raison de la coopération franco-britanique instaurée presqu’en catastrophe pour répondre à une nécessité provoquée simultanément par la réduction des budgets de défense infligée à toute l’Europe et le conflit libyen pour lequel les moyens aériens sont démesurés et fort coûteux (87 millions d’euros, pour 80 jours d’opérations, figaro.fr, 20/06/2011). Pour ce qui concerne les commentaires sur le devenir apocalyptique des Etats-Unis, Polémia en laisse l’entière responsabilité à leur auteur.

Voir aussi l’article de Polémia :
Libye : la guerre empêche les marins de s'entrainer

Traduction des citations extraites de la grande presse britannique par RS pour Polémia

Correspondance Polémia – 20/06/2011

Image : Un Rafale survole le porte-avions Charles-De-Gaulle

Archives Polemia