Libye : la guerre empêche les marins de s'entrainer

mercredi 15 juin 2011

Les Américains traînent les pieds ; le Congrès demande à être consulté sur l'opération en Libye et menace d’entrer en conflit avec le Président Obama ; les frappes aériennes fanco-britanniques dépassent les limites fixées par la résolution 1973 ; les bombardements atteignent des cibles non militaires entraînant la mort de civils ; des commandos des forces spéciales françaises et anglaises se trouvent à Benghazi aux côtés des insurgés ; malgré tous ces débordements provoquant des dommages collatéraux contraire à l’objectif officiel fixé par l’ONU, la guerre s’essouffle. Alors, la vraie raison ? Les capacités de l'OTAN en Libye sont mises en doute. La situation pourrait devenir « critique » si les opérations se prolongeaient, admet le commandant suprême allié pour la transformation de l'OTAN, le général français Stéphane Abrial.
Notre marine souffre particulièrement de cette situation. Pour sa part, le chef d'état-major de la marine française, l'amiral Pierre-François Forissier a évoqué la semaine dernière « un problème de ressources humaines ».

Polémia

 

Les opérations de guerre en Libye posent un sérieux problème de la Marine, explique son chef d'état-major, l'amiral Forissier. Elles usent le potentiel et empêchent l'entrainement et la formation des équipages, notamment de l'aéronavale. Le problème n'est pas faux, mais le moins que l'on puisse dire est que ces déclarations ont suscité une certaine incompréhension à l'état-major des armées, où les marins ne manquent pas non plus.

La guerre en Libye, difficilement planifiable, bouleverse en effet le calendrier prévisionnel des activités de la flotte. Le porte-avions (PA) Charles-de-Gaulle revenait d'une mission de près de quatre mois dans l'océan indien, lorsqu'il est a dû repartir au coup de sifflet au large de côtes libyennes. Résultat : son équipage (qui ne peut être que très partiellement relevé) a déjà plus d'un semestre à la mer depuis novembre dernier et rien n'annonce une fin rapide des opérations. La Marine indique que le PA pourrait rester encore trois mois en opérations, avant d'être contraint de faire relâche pendant de nombreux mois. Si les opérations se poursuivent au delà, le bateau pourrait être indisponible toute l'année 2012. La « norme » est cent jours à la mer par an, et au-delà de 150 jours, la situation se complique. Sur les 12 derniers moins, on est déjà à 200 jours...

Durant la guerre, le PA ne peut pas être utilisé pour former les jeunes pilotes de l'aéronavale, ni pour assurer la progression régulière des moins qualifiés. 24 jeunes pilotes, frais émoulus de leur formation aux Etats-Unis, attendent à Landivisiau de découvrir le Rafale et le porte-avions... qui pour l'instant n'a pas de créneau à leur consacrer. Leur formation risque d'être repoussée à l'automne.

Ces difficultés ne concernent pas que l'aéronavale, même si elle est la plus touchée. L'état-major de la Marine était très conscient du problème avant le début des opérations. Il ne souhaitait pas, comme nous le rapportions à l'époque, engager le PA dans cette affaire. Selon l'EMM, la Libye pouvait être confiée à la seule armée de l'air. C'était sans compter sur le fait qu'un marin - qui plus est ancien Pacha du Charles-de-Gaulle - est chef d'état-major des armées. Et que l'on voit mal le chef de l'Etat, chef des armées, maintenir le principal bateau de la flotte à Toulon pendant une guerre dont il a pris l'initiative... dans le seul but de permettre la formation de jeunes pilotes et d'économiser le potentiel.

On le voit, deux logiques s'opposent : celle des opérationnels et celle de la gestion des moyens et des personnels. Du fait de la nouvelle organisation des armées, l'état-major de la marine est de facto exclu des opérations navales qui relèvent uniquement de l'EMA. A l'EMM, l'entretien de la flotte et la formation des équipages. C'est sa feuille de route et personne ne peut le lui reprocher. Même si son expression est parfois mal comprise.

Certes, la guerre use du potentiel et pose des problèmes de gestion. Mais l'essence même de la Marine est de faire la guerre lorsque l'heure est venue, du moins veut-on le croire. Surtout lorsque ces moyens sont employés comme jamais dans l'histoire récente. Pour un marin, il y a d'abord lieu de s'en réjouir.

Jean-Dominique Merchet
14/06/2011
Marianne 2

Correspondance Polémia 15/06/2011

Image : Appontage sur le porte avions Charles De Gaulle

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