L'élimination physique du chef ennemi est-elle démocratico-compatible ?

lundi 9 mai 2011

L’élimination physique de Ben Laden a provoqué aux Etats Unis une explosion de joie bien compréhensible, suivie de réactions enthousiastes des alliés de Washington. Au-delà de la réalité de cette mort, des conditions réelles de l’opération, du destin du cadavre et des conséquences, se pose un problème pour ceux qui se considèrent comme les « forces du bien » luttant contre le mal, pour reprendre les termes mêmes de la réaction italienne. Jusqu’où peuvent aller les démocraties pour en finir avec les «méchants» ?

La réaction populaire américaine a bien montré de quoi il s’agissait : d’une vengeance salué par des «on l’a eu». L’opinion publique se trompe rarement et la première réaction est souvent la bonne. La vengeance, cependant, n’est pas la justice. Il est donc difficile pour des démocraties de l’approuver et de la justifier. Une fois de plus, on se trouve dans une hypocrisie pour contourner des contradictions. La loi du lynch peut-elle s’exporter mondialement?

L’élimination de Ben Laden s’ajoute au meurtre judicaire de Saddam Hussein et aux tentatives maintenant évidentes d’assassinats par bombardements du colonel Kadhafi. Cela mérite réflexion et distinctions.

Ce qui paraït évident c’est que l’Occident sous l’appellation de communauté internationale s’arroge le droit d’éliminer physiquement ses opposants. Israël peut maintenant justifier certaines actions ciblées passées et surtout à venir.

Ben Laden est tombé comme le «Che»

Il y a un amalgame entre les «méchants» qui ne tient plus vraiment compte de la différence existant entre un terroriste et un tyran. Cet amalgame est finalement induit par la globalisation de la lutte des démocraties contre les totalitarismes et fanatismes à l’échelle de la planète. Ben Laden est tombé comme le «Che», vendu. Comme pour lui, on a montré le corps avant de l’escamoter [mais on a donné comme truquée la photographie produite, NDLR] c’est le fameux syndrome de Zapata. Du nom du révolutionnaire mexicain, trahi par un des siens et massacré après être tombé dans un piège. Pour certains musulmans d’ailleurs Ben Laden est un Guevara d’aujourd’hui, dressé contre l'impérialisme américain avec les moyens de son temps. C’est ce qui explique le malaise dans plusieurs pays musulmans.

Ben Laden était en effet, même chez ceux qui condamnaient son action, comme l’arabe musulman qui avait réussit à humilier l’Amérique. L’Amérique a lavé dans le sang d’un homme une humiliation terrible. L’humiliation, le premier mai, a de nouveau changé de camp. Une humiliation qui renforce toutes celles issue de la Palestine, de l’Irak et même de la Libye. Dans ces deux pays les démocraties légitiment une sorte de tyrannicide international qui serait un dégât collatéral du devoir d’ingérence humanitaire.

Un tyrannicide est, littéralement, l'action de tuer un tyran. C'est un concept que l'on retrouve chez certains précurseurs ou tenants des idées libérales, comme composante du droit de résistance à l'oppression. Les premiers à l'évoquer sont des penseurs de l'Antiquité.

Ainsi, Démosthène en faisait le modèle du parfait dévouement démocratique, tandis qu'Aristote y voyait une loi de la nature. A Athènes, Hippias et Hipparque, qui tentèrent de mettre fin à la tyrannie des Pisistratides, furent héroïsés par la cité et devinrent le modèle de ce genre de dévouement civique. A Rome, Cicéron s'en servit pour justifier l'assassinat de César.

Des croisés qui tuent un Arabe

Le tyrannicide paraît aujourd’hui mondialisé et, par la même, change de nature. Ce n’est plus un peuple qui se débarrasse d’un tyran mais des étrangers qui le débarrassent de leur tyran. Il perd ainsi, sinon toute, du moins une grande partie d’une légitimité qui a toujours été contestable et contestée. Ce n’est pas la même chose d’éliminer un terroriste que de tuer volontairement un chef d’Etat.

Ce n’est pas la même chose, mais en l’occurrence, pour une grande partie de la planète, ce sont les mêmes qui s’adjugent le droit de tuer terroristes et dirigeants. Ben Laden n’est pas Saddam mais en attendant, qui sait, Kadhafi, Assad ou Ahmadinejab, il peut y avoir un autre amalgame dans les opinions publiques arabes.

Quand on tue un Saddam par irakiens interposés ou un Ben Laden par trahison pakistanaise… on tue certes peut être un tyran et un terroriste, mais ce sont des «roumis» ou des «croisés» qui tuent également un Arabe. Cela complique, pour de nombreux musulmans, leur sentiment vis-à-vis de la fin du dirigeant terroriste.

Jean Bonnevey
Metamag.fr
04/05/2011

Correspondance Polémia – 9/05/2011

Image : Le 1er mai, un commando américain a tué le terroriste Oussama Ben Laden. Vengeance est faite …

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