ENA : Vive les mutins de Panurge !

dimanche 8 mai 2011

La présidente du jury de l’ENA, Michèle Pappalardo, a réussi à faire parler d’elle… en dénonçant « le conformisme des candidats ». Un élève de l’ENA lui répond ici avec insolence : « Les prétendus non-conformistes que le jury semble appeler de ses vœux sont des rebelles de bac à sable. L’Union européenne, les droits de l’homme et la diversité : voilà les valeurs cardinales furieusement subversives qu’il faut afficher pour plaire au jury ». Un jury présidé par un « commissaire au développement durable », par ailleurs femme de député UMP : la subversion est en marche ! Polémia

La presse s’intéresse généralement assez peu aux rapports rédigés chaque année par les présidents du jury du concours d’entrée à l’ENA. Et pour cause : techniques, austères, prévisibles, ceux-ci ne présentent que peu d’intérêt pour des journalistes qui se reconnaissent dans des « valeurs » aux antipodes de celles qu’ils prêtent à l’ENA et à la grande majorité de ses élèves. Michèle Pappalardo (ancienne élève de l’ENA, promotion « Droits de l’Homme »), dernière présidente en date, croit avoir trouvé la solution imparable pour dépoussiérer l'image de l'école : « Nous n’avons pas été éblouis, en règle générale, par l’originalité des candidats, à commencer par leur apparence vestimentaire. A part un corsage, deux vestes et une cravate colorées et un seul pantalon de velours… tous les autres candidats étaient en costume-cravate et tailleur noir ou anthracite, voire bleu marine ». Et de regretter comme il se doit le conformisme, la faible représentation des candidats issus de la « diversité » et des femmes. Le Monde, par l'intermédiaire d'Olivier Rollot, s'enthousiasme : « La présidente du jury taille un costard aux candidats dans son rapport » et lance une incantation libératrice : « Concours de l’ENA, sortez du moule ! » Et pourtant… !

Rebelles de bac à sable et pensée unique

Ayant eu la chance de réussir le concours après avoir été confronté à ce jury lors du Grand Oral, je peux aisément affirmer que ces incitations au « non-conformisme » sont trompeuses : les prétendus non-conformistes que le jury semble appeler de ses vœux sont des rebelles de bac à sable, qui, loin de se démarquer de la pensée unique, affirment le plus bruyamment son attachement à celle-ci et à ses fausses évidences. L’Europe, les droits de l’homme et la diversité : voilà les valeurs cardinales furieusement subversives que nous devions afficher pour décrocher notre admission. Le catéchisme rêvé des tenants du politiquement correct ! Le candidat modèle est celui qui se garde des « dérapages populistes et autres survivances des égoïsmes nationaux », et livre au jury des « réponses authentiques, empreintes de tolérance et d’ouverture d’esprit », tout en sachant « exercer sa vigilance citoyenne à bon escient ». Et notre habitus, construit au sein de l’école du roi Richard (Descoings, le patron de Sciences-Po), a fait le reste pour nous permettre de débiter ces sottises sans l'esquisse d'un sourire !

L’ENA, devenue la porte d’entrée des élites mondialisées

Contrairement aux poncifs de la pensée dominante, l'ENA n'est plus l'école de la bourgeoisie traditionnelle et des valeurs auxquelles on l’identifie (sens de l'Etat, autorité, conservatisme moral) : c'est au contraire l'une des portes d'entrée favorites des élites mondialisées, dont le rêve est la liquidation de l'Etat Nation !

Depuis peu, l'ENA s'est autobaptisée « L'Ecole européenne de gouvernance » ! Tout est dit : européenne et non plus nationale ; gouvernance (ce concept par lequel « l'élite » technicienne et médiatique souhaite écarter le peuple de la réalité du pouvoir), au détriment de la conception traditionnelle de l'administration dont la soumission au politique (et donc au peuple) et la neutralité avaient fait de la France une référence pour de si nombreux pays.

Mme Pappalardo veut banaliser l'ENA comme Descoings a vulgarisé Sciences-Po, devenue aujourd'hui une « Business School » comme une autre. Elle déplore les lacunes historiques des candidats, tout en ayant une vision anglo-saxonne et post-historique de l'ENA : « Dieu rit de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes », disait Bossuet…

L’ENA devrait être l’école de la tradition et de l’avenir

L’ENA devrait être l’école de la tradition (références à l’histoire de France et à ses figures, volonté de perpétuer un modèle national façonné par l’Etat) et de l’avenir : elle n’est désormais que l’école du présent, fascinée par son époque, par les autres pays (« N’innovons pas, imitons ») et leurs élites issues de la grande révolution culturelle libérale-libertaire des années 1970.

Christopher Lasch, dans son remarquable ouvrage La Révolte des élites, écrivait ceci il y a plus de quinze ans : « Les élites hédonistes assoient leur pouvoir sur le culte de la marge et sur un fantasme de l’émancipation permanente. Alors qu’elles sont responsables des normes imposées à la société, leurs comportements consistent à feindre d’être hors norme. Cette dialectique permanente de la norme et de la marge est celle de notre temps. »

Des écoles de journalisme au monde de la culture en passant par l’Ecole nationale d’administration, les « rebellocrates » et les « mutins de Panurge » chers à Philippe Murray rivalisent en effet de non-conformisme… !

Antonin Coignet
5/05/2011

Antonin Coignet est le pseudonyme d’un élève de l’ENA – promotion Marie Curie.

Correspondance Polémia – 8/05/2011

Image : Michèle Pappalardo, commissaire générale au Développement durable

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