Un songe dans la nuit de l’hiver

jeudi 15 mai 2003
C’est à une envoûtante quête des origines, à une initiation des plus exigeantes sur les chemins de traverse de la plus longue mémoire - la plus rebelle de toutes aussi - que nous convie, avec ce premier roman très réussi, le jeune et talentueux directeur de la revue « Antaios ».
Par ses solides qualités d’helléniste, son expérience des fouilles obscures dans les montagnes d’Ardennes et son goût immodéré de l’Empereur-philosophe Julien, Christopher Gérard connaît intimement son sujet ; il le maîtrise d’autant plus que qu’il le vit, d’évidence, dans toutes les profondeurs de son être.
Et c’est à cette sur-vie qu’il convie ses lecteurs sur les traces de Padraig, fils d’Europe d’ascendance celto-brabançonne, partant à la recherche d’une société secrète fondée il y a plus de 2 500 ans par Empédocle d’Agrigente afin de maintenir et transmettre, à travers les vicissitudes des temps, l’héritage le plus sacré de l’Hellade. Son parcours, davantage peuplé de songerie que parsemé d’embûches, l’entraînera sur tous les lieux les plus sacrés de la Grande Europe, c’est-à-dire de l’Eurasie. La toile de fond en est une époque indéfinie et pourtant si actuelle, marquée par les stigmates toujours vifs des dernières « Grandes Conflagrations », où les arbres parlent encore mais où la police de la pensée (les « Organes ») sévit aussi, ne laissant qu’un espace des plus mesurés aux derniers hommes libres, ces véritables Affranchis. Comme le souligne l’un des personnages du livre en présentant Padraig à ses compagnons : « Nombre d’Européens pensent comme lui, ne se reconnaissent plus dans cet Occident matérialiste qui coupe la personne de ses ancêtres et de ses descendants pour le laisser seul face à l’état tentaculaire et aux désirs les plus vils ».

Par son propos comme par sa construction narrative, « Le songe d’Empédocle » est de toute évidence un roman initiatique. Mais c’est aussi, ce faisant, une somme historique et un bréviaire théologal où s’entrecroisent tout naturellement, comme dans un parfait entrelacs, Pallas Athéna, Cernunnos et Mythra ; la « Chanson de Roland » et « L’Oeuvre au noir » ; l’Odyssée et le Mahabharata ; les brahmanes, les druides, les vestales et les dieux ; Frédéric II « semper Augustus » et Michel-Ange ; les Hymnes delphiques et la Chasse sauvage… C’est donc surtout, au-delà de la quête, un manifeste de résistance contre le Règne de l’Unique qui conduit, inéluctablement, à celui de l’indifférencié, de la marchandise, de la Quantité.

Dans une récente recension rédigée pour « La nouvelle revue d’histoire » (n° 6, mai-juin 2003), Pascal Landes évoque Julien Gracq, Ernst Jünger et Herman Hesse. On peut tout aussi bien penser à la fascination esthétique et charnelle à laquelle avait su succomber avec bonheur Marguerite Yourcenar dans ses « Mémoires d’Hadrien » - la vision cosmique en plus ; à la lumineuse rugosité de Vincenot lançant et dressant son jeune essarteur Jehan sous « Les étoiles de Compostelle » - la volonté de syncrétisme pagano-chrétien en moins ; ou encore à Erik Saint-Jall (« La compagnie de la Grande Ourse ») ou Jean Raspail (notamment ses « Sept cavaliers… ») pour cette nostalgie active des temps immémoriaux où se reconnaissaient du premier coup d’œil, et se reconnaissent toujours, au moins entre eux, à l’heure du crépuscule, les hommes de bonne race - les éternels « Impériaux ».
Quoiqu’il en soit, « Le songe d’Empédocle » constitue l’une des lectures les plus utiles, les plus rafraîchissantes et les plus fécondes du moment.
Car c’est ainsi, aussi, que sur le tronc de la vieille Europe, repoussent toujours des rameaux verts…


G.T.
© POLEMIA
15/05/2003


« Le songe d’Empédocle », de Christopher Gérard, éd. L’Age d’Homme, février 2003, 248 p., 22,87 euros.

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