La diplomatie française est-elle nulle ? - Oui

mercredi 23 mars 2011

La fièvre retombée après le sacrifice de MAM ne doit pas masquer le mal profond dont souffrent à la fois notre politique étrangère (définie par l’Élysée) et notre diplomatie (mise en oeuvre par le Quai d’Orsay). Chacun a pu constater combien cette dernière est devenue romantique (car émotionnelle), très loin de ce classicisme raisonné qui fit notre génie.

Une bonne partie de la planète, de México (affaire Cassez) à Pékin (dalaï-lama), en passant par Rome (affaire Battisti), Bogotá (affaire Betancourt), Tripoli (infirmières bulgares) ou encore N’Djamena (Arche de Zoé), sait désormais que les médias de la gauche parisienne  façonnent de plus en plus notre politique étrangère. Jamais la diplomatie n’a été autant sous l’emprise de l’émotion médiatique (*), des logiques de réseaux. Il serait injuste cependant d’affirmer que le président Sarkozy porte seul la responsabilité du déclin de notre politique étrangère.

Mitterrand n’a pas su redéfinir notre position après la guerre froide. Il a été le dernier à croire aux deux Allemagnes et à l’URSS, convaincu que la construction européenne suffirait à enterrer la géopolitique allemande. En 1990, dépassé par la marche américaine de l’Histoire, il nous a jetés dans la guerre du Golfe, acte I de la tentative unipolaire américaine. Incapables de redéfinir une politique étrangère singulière dans la multipolarité naissante, Chirac et Védrine ont validé le mondialisme américain, les guerres de Bosnie, de Serbie, d’Afghanistan, avant de se rebeller à l’acte V, la guerre contre l’Irak, en 2003.

Sarkozy, lui, a assumé l’alignement : encore plus d’Otan et d’Afghanistan, la position la plus dure contre l’Iran. Le résultat ne s’est pas fait attendre : perte de crédit aux États-Unis (un allié rangé pèse moins qu’un allié singulier), perte de crédibilité en Afrique, en Amérique latine, au Maghreb, au Proche-Orient. Un rééquilibrage dont les causes sont affectives (Sarkozy s’entend plus avec Poutine qu’avec Obama) s’est produit en politique russe (Géorgie en 2008, vente du Mistral en 2010). Mais le duo Paris-Moscou demeure fragile, menacé par les emballements médiatiques. Tout le reste souffre d’une absence totale de vision. Aucune réflexion sur l’avenir des régimes africains qui ne manqueront pas de craquer (Tchad ?) comme les régimes arabes ; un choix précipité de soutien à Ouattara en Côte d’Ivoire, dont Gbagbo sort renforcé, montrant à toute l’Afrique qu’une injonction française ne vaut plus rien ; un président malgache profrançais et plein de promesses qui attend plus d’audace de notre part…

Il y a un problème ancien dans la relation entre l’Élysée et le Quai d’Orsay qui est allé en s’aggravant. Les ambassadeurs anonymes qui écrivaient récemment dans Le Monde ne devraient pas se plaindre de ne pouvoir définir la politique étrangère, car tel n’est pas leur rôle, mais plutôt que leurs précieux avis de terrain ne soient plus écoutés. Leurs télégrammes diplomatiques comptent peu face aux emballements médiatiques ou aux réseaux d’affaires agissant directement à l’Élysée. Et que dire de la propension de nos gouvernants à bénéficier de la générosité de leurs amis orientaux ou africains : Chirac logé à Paris par la famille Hariri, les palais tunisiens, égyptiens, marocains mis à disposition de ministres de droite comme des socialistes ? Tout cela ne favorise guère la capacité de discernement.

En vingt ans, le ministère des Affaires étrangères a perdu 20 % de ses moyens financiers et de son personnel. Par comparaison, les effectifs du Département d’État américain augmentent de 5 % par an et le Foreign Office nous a dépassés. La France peut rester une force motrice dans la marche du monde à condition de refonder sa politique étrangère sur une logique à la fois multipolaire (équilibre entre les États-Unis, la Russie et la Chine) et de civilisation (axe Paris-Berlin-Moscou dans une Europe des nations).

Nous devons restaurer notre position de médiation au Proche-Orient, en soutenant le droit souverain d’Israël à assurer sa sécurité mais en discutant aussi avec toutes les forces politiques arabes, iraniennes, turques. Cette politique passe par la défense du droit international, donc des souverainetés, et le respect de la nature des régimes que les peuples se sont choisis ; il faudra peut-être coopérer avec des pouvoirs islamistes au Maghreb, ce que les Américains ne manqueront pas de faire, mais les chrétiens devront être protégés.

Cette grande politique étrangère ne peut se faire que par une reprise en main de notre destin souverain, une restauration de nos moyens financiers aujourd’hui gravement altérés par l’immigration et une affirmation claire de notre identité nationale.

Aymeric Chauprade
Directeur du site Realpolitik.tv
Tribune : Parlons Vrai
Valeurs actuelles
10/03/2011

  • (*) NDLR : Cet article a été publié le 10 mars 2011 dans Valeurs actuelles. Il était donc déjà écrit quand, ce même vendredi 10 mars, dans une salle de réunion du Palais de l’Élysée, siègeaient , d’un coté, Nicolas Sarkozy, l’ambassadeur Jean-David Levitte, Henri Guaino et un conseiller diplomatique et, de l’autre, les trois membres de la délégation libyenne ainsi que Bernard-Henri Lévy qui venait de rentrer de Benghazi. C’est ce matin-là, que Nicolas Sarkozy a pris la décision de reconnaître le Conseil National de Transition comme seul représentant légitime du peuple libyen.

Voir l'article de Polémia : Le printemps maussade de Nicolas Sarkozy

Correspondance Polémia – 23/03/2011

Image : Nicolas Sarkozy a reçu BHL à l'Elysée, en même temps que les représentants des insurgés libyens.

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