Proposition de loi «visant à améliorer l'information du consommateur quant au mode d'abattage des animaux»

jeudi 20 janvier 2011

Entretien exclusif du 14/01/2011 entre l’Observatoire du Halal et Nicolas Dhuicq, député UMP de l’Aube qui affrme : «Je ne céderai pas à des demandes d’abandon de ma proposition de loi…»

Observatoire du halal : Votre proposition de loi «visant à améliorer l’information du consommateur quant au mode d’abattage des animaux» a été suspendue moins de quinze jours après avoir été déposée (1). Pouvez-vous nous dire où en sont les «consultations complémentaires» qui ont justifié cette suspension?

Nicolas Dhuicq : La proposition de loi avait passé la première étape de recevabilité auprès de la commission compétente, mais des consultations complémentaires se sont révélées nécessaires. Par sagesse et pour renforcer mon argumentation durant les discussions, car le parcours d’une loi est long jusqu’à son adoption, j’ai considéré comme justifié de répondre aux interrogations des principales organisations confessionnelles concernées, le Consistoire, pour la flilière casher, et le CFCM, pour la filière halal. Mais je le répète, cette proposition de loi n’est pas enterrée et reviendra devant l’Assemblée.

OdH : Dans quels délais la proposition de loi va-t-elle être redéposée?

N.D. : Le plus rapidement possible, dès que les consultations seront terminées. Je pense que ce sera chose faite début février.

OdH : Cette proposition de loi se situe-t-elle dans le prolongement de la proposition de règlement européen (2) sur l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires, et dont un amendement en première lecture du Parlement européen, le 16 juin 2010, l’amendement 205, propose, en ce qui concerne les viandes issues de l’abattage rituel, une information spécifiant : «Viande provenant d’animaux abattus sans étourdissement» ?

N.D. : Ma démarche législative est totalement indépendante de cette réglementation en cours d’élaboration, et elle ne s’en inspire pas. La proposition de loi que j’ai déposée en novembre dernier est le fruit d’une réflexion personnelle.
A l’heure actuelle, les confessions qui ont recours à l’abattage rituel ont besoin de sortir de leur strict cadre communautaire pour amortir leur filière. C’est-à-dire que l’ensemble des consommateurs sont conviés à absorber, sans qu’ils en soient informés, les volumes de viande non utilisés par chacune des filières.
Dans ce domaine, la filière halal s’est très bien adaptée aux lois du marché, et sa progression s’appuie sur une opacité certaine. Ce succès est illustré par des dérives commerciales, comme en attestent les doutes et contestations actuels quant au caractère authentiquement halal de bien des produits – mais cela, c’est le problème de la communauté musulmane. Ce qui nous concerne nous, c’est que les contraintes industrielles des filières de l’abattage rituel ne se traduisent pas par une atteinte à la laïcité et au choix responsable du consommateur.

OdH : Ne serait-il pas plus simple d’attendre une transposition de la réglementation européenne dans le droit français ?

N.D. : Ce serait peut-être une «position de confort», si tant est que cette réglementation européenne, quant elle aura abouti, réponde à mes souhaits, mais cela ne correspond pas à l’idée que je me fais de la souveraineté nationale.

OdH : Une autre proposition de loi, au Sénat cette fois, visant à limiter la production de viande d’animaux abattus sans étourdissement a été présentée par Nicolas About le 15 septembre 2010 (3). Est-ce le hasard ou le fruit d’une concertation ?

N.D. : C’est le hasard, je n’ai pas de contact particulier avec Nicolas About. Sa proposition de loi constate la même chose que la mienne (les volumes de viande d’animaux abattus rituellement dépassent largement les besoins des communautés concernées), mais ne relève pas de la même démarche puisqu’il s’agit, outre un étiquetage explicite, de contrôler les volumes d’animaux abattus sans étourdissement pour les mettre en adéquation avec le nombre de consommateurs réels, dans le cadre du principe d’exception. Pour établir ces quotas, il faudrait s’appuyer sur des statistiques précises (existent-elles?) ou des dénombrements de pratiquants (seront-ils fiables et sincères?) fournis par les organisations confessionnelles. Mais tout ce qui peut concourir à l’encadrement des flières d’abattage rituel est bienvenu.

OdH : Vous disiez vouloir répondre aux inquiétudes des principales organisations confessionnelles concernées, avez-vous subi des pressions de la part de ces organisations après le dépôt de la proposition de loi?

N.D. : Des discussions ont été engagées et se poursuivent, comme je l’ai dit, avec le Consistoire israélite et le CFCM [Conseil français du culte musulman], car ces organisations ont exprimé des inquiétudes sur la proposition de loi et ses conséquences. Des craintes sur la viabilité de filières dont l’encadrement serait tel qu’il remettrait en cause leur rentabilité économique, mais aussi des craintes sur des possibilités de boycott et de campagnes d’opinion. Cela dit, je ne céderai pas à des demandes d’abandon de ma proposition de loi ou de modifications qui la videraient de son contenu et l’éloigneraient de ses objectifs. OdH : A contrario, avez-vous été encouragé par des organisations laïques ou des défenseurs des animaux?

N.D. : L’OABA [Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs] s’est fait l’écho de ma proposition de loi sur son site. J’ai obtenu le soutien de particuliers et des lettres d’encouragement. Sur le terrain, je suis régulièrement confronté à des réactions d’étonnement agacé lorsque les gens apprennent qu’ils mangent sans doute halal sans le savoir et participent au financement des mosquées.

OdH : Selon vous, la généralisation de l’abattage rituel répond-il à de simples considérations économiques ou relève-t-il d’une démarche communautaire?

N.D. : Pour résumer et compléter ce qui a été dit, on peut observer trois motivations principales :

  • - La démarche confessionnelle : le souhait de se conformer strictement aux préceptes religieux.
  • -  La démarche économique : l’objectif de rentabiliser les filières avant toute autre considération.
  • - La démarche politique : une stratégie de conquête de l’espace public par la communautarisation des pratiques alimentaires – les pratiques alimentaires sont en effet un moyen important de se distinguer d’autrui et, quand elles sont affirmées à l’excès, de créer un système englobant, excluant de fait les autres croyants, les athées et les agnostiques.

OdH : Avez-vous tenté d’obtenir le soutien des organisations de consommateurs afin de les sensibiliser à ce problème?

N.D. : Non, je travaille sur le terrain politique, législatif, en amont.

OdH : Votre proposition de loi a obtenu 56 signatures, toutes issues de la majorité parlementaire ou apparentés hormis 2 non-inscrits. Avez-vous tenté d’obtenir le soutien de vos collègues de l’opposition de gauche, compte tenu que les risques de communautarisme intéressent toutes les familles républicaines?

N.D. : Je n’ai pas été approché par des députés de l’opposition ni reçu de marques de sympathie pour mon action. Et le député PC du Rhône André Gerin, contacté, n’a pas donné suite.

OdH : Aviez-vous déjà entendu parler de L’Observatoire du halal avant la publication de l’article du 10 janvier «Retour sur une proposition de loi qui embarrasse», article repris sur d’autres sites comme Riposte laïque, et pensez-vous que cela puisse vous aider?

N.D. : J’ai découvert L’Observatoire du halal à cette occasion. J’apprécie toutes les contributions et les convergences qui m’aideront pour faire aboutir ma proposition de loi.

OdH : Merci Nicolas Dhuicq.

L’observatoire du Halal
14/01/2011

Notes :

  1. N° 2976 Assemblée nationale CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 TREIZIÈME LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 novembre 2010. PROPOSITION DE LOI visant à améliorer l’information du consommateur quant au mode d’abattage des animaux, (Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
  2. Le passage en 2e lecture devant le Parlement européen doit avoir lieu à la mi-2011.
  3. Actuellement entre les mains de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Un rapporteur a été nommé le 13 octobre.

Correspondance Polémia – 20/01/2011

Image : Nicolas DHUICQ est député UMP de l’Aube, conseiller général de l’Aube et maire de Brienne-le-Château (Aube).

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