Ghislain de Diesbach ou « le goût d'autrui »

lundi 20 décembre 2010

Des portraits modestement qualifiés d’« anecdotiques » peuvent-ils rejoindre et faire mieux comprendre la grande Histoire ? On connaissait Ghislain de Diesbach, descendant d’une grande famille suisse qui, au service de la France notamment jusqu’à la Révolution, s’illustra sur maints champs de bataille à la tête de son régiment, biographe inspiré (de Chateaubriand ou de la Princesse Bibesco, de Proust ou de Ferdinand de Lesseps) et polémiste redoutable (contre De Gaulle dans Le Grand Mourzouk, Julliard 1969), le voici aujourd’hui peintre.

Dans Gare Saint-Charles, le second tome de ses Mémoires publiés par Via Romana, il écrivait drôlement qu’encore adolescent, « aucun vieillard présentant un certain intérêt ne pouvait se vanter de lui avoir échappé ». Convaincu — à tort — que sa propre existence ne présenterait qu’un médiocre intérêt, le futur auteur d’une monumentale Histoire de l’Émigration (éd. Perrin) traquait en effet l’anecdote émouvante, le souvenir cocasse, le profil hors du commun que pouvaient lui offrir le colonel rabâcheur ou la douairière excentrique pourvu qu’ils fussent des vestiges d’un monde disparu… ou en voie accélérée de disparition.

Les quatre-vingts portraits que Ghislain de Diesbach vient de réunir sous le titre Le goût d’autrui (et par ordre alphabétique, afin d’éviter toute hiérarchie de rang ou d’intérêt) témoignent d’une rare connaissance du monde — et même du grand monde : le duc de Castries y côtoie la duchesse de La Rochefoucauld, la Comtesse de Paris, le prince-abbé de Saxe, etc. — mais surtout d’une inlassable curiosité. Qualité rare qui, si l’on en croit Kipling, valut sa trompe à l’enfant d’éléphants et à ses actuels descendants et qui conduit Gh. de Diesbach à s’intéresser, aussi bien aux altesses, qu'à du fretin apparemment plus menu : tels Henri Lizon, l’un de ses anciens subordonnés qui avait « beaucoup bourlingué, multiplié les expériences en tout genre et risqué souvent sa vie », ou encore Samba, jeune Africain sauvé des griffes des sorciers par Henri d’Orléans qui le plaça chez les Broglie, et devenu du coup plus snob que le plus enragé mondain.

Drolatiques et souvent incisifs, voire cruels car le peintre cultive non seulement la compagnie d’autrui mais aussi l’ironie mordante, ces « portraits anecdotiques » sont-ils véridiques ? Je peux en attester, pour avoir connu certains de leurs sujets. Les historiens Jean-François Chiappe et Marina Grey-Denikine, son épouse, qui furent des amis chers et qu’il évoque de manière très vivante, sensible et affectueuse, Mgr Ducaud-Bourget ou le « Rhénan » Joseph Breitbach, ancien marxiste auteur d’une pièce d’un féroce anticommunisme, Derrière le rideau. Encore que « bien construite, avec des dialogues incisifs, des situations cocasses », cette pièce fut descendue en flèche par la critique : « S’attaquer au communisme et surtout au grand Aragon était un crime de lèse-majesté, odieux aux bien-pensants », oublieux « qu’il n’y a pas de liberté durable si l’on ne combat chaque jour pour elle », rappelle notre mémorialiste.
Lequel se montre beaucoup moins aimable en revanche pour quelques fausses gloires comme Marie-Laure Bishoffheim, vicomtesse de Noailles, poétesse médiocre et pique-assiette redoutable, courtisant le Front Populaire puis Cohn-Bendit. Eugène Ionesco, Chardonne et les Jouhandeau ne sortent pas non plus grandis de cette galerie de portraits, alors que sont très nuancés et parfois admiratifs ceux de Benoist-Méchin, de Paul Morand, d’Arno Breker, d’Ernst Jünger, et du « couple exceptionnel, uni par son attachement au souvenir de Laval, et cette fidélité politique était le gage de leur fidélité conjugale, ainsi que leur honneur à tous deux », que formaient René et Josée de Chambrun.

Un livre tout à la fois profond et léger mais toujours spirituel, fresque intimiste d’un monde révolu.

Claude Lorne
12/12/2010

Gh. de Diesbach, Le Goût d’autrui, Editions Via Romana, octobre 2010, 378 pages, 20€.

Correspondance Polémia – 20/12/2010

Image : 1re de couverture

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