Après moi le déluge ? les dérèglements du système politique

jeudi 28 octobre 2010

XXVIe université annuelle du Club de l'Horloge « La France en faillite ? Pourquoi nous croulons sous les dettes et les impôts » 9-10 octobre 2010

 

 Après moi le déluge ? les dérèglements du système politique I
intervention de Didier Maupas
vice-président du Club de l'Horloge

 

Cinq thèses introductives : (résumé)

1) Le crédit - et donc la dette - est au cœur du système économique occidental, car c'est le moyen qui a été trouvé, avec la persuasion publicitaire, (c'est-à-dire la création artificielle des besoins par la publicité), pour stimuler durablement la consommation.

De fait, tous les acteurs économiques sont endettés en Occident. L'attention portée à juste titre sur l'endettement public ne doit pas cacher la progression tout aussi remarquable de la dette privée (contactée par les ménages et les entreprises). Ce qui diffère selon les Etats et d'une façon générale entre les acteurs économiques, c'est le degré d'endettement et la capacité à dégager des ressources, notamment fiscales pour les Etats, pour y remédier.

La progression de l'endettement de tous les acteurs économiques est aussi la conséquence de la priorité donnée par le système au court terme sur le long terme. Cette préférence pour le court terme résulte de l'évolution du système économique mondialisé, qui recherche de moins en moins la longévité des entreprises, mais de plus en plus les prises de profit rapides. C'est l'autre aspect de la financiarisation, de l'économie qui fait des financiers et non pas des entrepreneurs, les véritables maîtres de la création des richesses. L'ingénierie financière qui en découle maximise les rendements et les décisions à court terme. L'endettement est une caractéristique de la grande majorité des pays occidentaux.

Le soutien de la consommation par le crédit a très bien fonctionné dans les pays occidentaux après la Seconde guerre mondiale. Cependant, il supposait deux conditions pour exercer des effets bénéfiques :

- une situation de plein emploi, qui donne une assurance raisonnable à ceux qui s'endettent d'obtenir des revenus dans la durée et donc de pouvoir rembourser demain les emprunts qu'ils contractent aujourd'hui ;
- un taux d'inflation élevé, qui permet d'alléger la charge de la dette.

Or, à l'âge du libre-échange mondialiste dans lequel nous sommes entrés, ces deux conditions ne sont plus remplies, en particulier dans les pays européens. C'est pourquoi l'endettement devient un fardeau et non plus un moteur.

2) Si tout le monde est plus ou moins endetté en Occident, l'endettement public présente néanmoins des risques particuliers : les actifs publics ne produisent pas de revenus ; les Etats disposent du pouvoir exorbitant de s'endetter facilement pour financer leurs déficits ; il y a interpénétration croissante entre les dettes privées et les dettes publiques.

3) Si tous les pays occidentaux sont endettés, la France est dans la situation particulière d'avoir à la fois des dettes, des prélèvements publics et des déficits élevés et croissants. A la différence des autres pays occidentaux, la France n'arrive pas à réduire ses dépenses publiques ni à s'imposer une « rigueur » véritable. L'équilibre entre dépenses et recettes publiques a pu être assuré par la progression parallèle des prélèvements et des dépenses qui a eu lieu tout au long de la seconde moitié du XXe siècle, avec la mise en place de l'Etat-providence. Une croissance élevée, pas de chômage, un budget en équilibre, donc un faible endettement.

Mais ce système a commencé à décrocher à partir de 1975 après le premier choc pétrolier : pour contrebalancer l'impact sur la croissance, le budget de 1975 est construit en déséquilibre. Ces déséquilibres ne vont plus cesser à partir de 1981.

Le type de régulation dynamique que l'on a connu jusque dans les années 70 ne peut plus fonctionner en outre, pour trois raisons :

  • (1) d'abord, l'économie occidentale est désormais plus déflationniste qu'inflationniste ; la croissance n'est plus au rendez-vous, ce qui impacte négativement les recettes fiscales et pousse au contraire à la dépense sociale ;
  • (2) ensuite, la progression des prélèvements n'est plus aussi élastique qu'au siècle dernier ;
  • (3) enfin et surtout, c'est la progression des dépenses qui est de plus en plus difficilement contenue dans notre pays.

Le développement de l'endettement public signifie que les régulateurs traditionnels des dépenses publiques ne jouent plus leur rôle. Selon l'orthodoxie budgétaire et ce que l'on a appelé aussi la "démocratie financière ", à l'origine des Parlements, ce sont les autorisations de recettes accordées par les représentants de la nation qui conditionnent les dépenses. Mais, en réalité, c'est l'inverse qui se produit de nos jours, car les dépenses obéissent désormais à leur dynamique propre, en particulier les dépenses de fonctionnement et de transfert. Les dépenses d'avenir sont en outre aisément sacrifiées, car elles ne renvoient pas facilement à des clientèles politiques identifiables. En d'autres termes, ce sont les fondements du système représentatif qui sont remis en cause.

4) La progression des déficits et de l'endettement publics a des causes structurelles qui vont donc au delà de l'activisme des "marchés" ou des "spéculateurs". L'endettement est en soi un problème, mais il est aussi un révélateur des dysfonctionnements croissants du système occidental.

- Des causes économiques : la conjoncture est moins favorable - surtout en Europe - pour la résorption des dettes et la suppression des frontières économiques fait peser sur les finances publiques des charges croissantes qui sont externalisées par les entreprises transnationales. Mais surtout les Etats sont aujourd'hui contraints de pallier les effets sociaux pervers du libre-échangisme mondialiste sur les sociétés occidentales : ces effets sont le chômage, la précarité et l'immigration.

- Des causes idéologiques : la volonté de maintenir envers et contre tout l'Etat-providence dans une période de croissance atone et de dénatalité. C'est la tyrannie du politiquement correct qui empêche de s'attaquer aux trois causes principales de l'explosion des dépenses publiques en France c'est-à-dire à trois tabous :
 

  • - le tabou du libre-échangisme mondialiste, alors que ce dernier provoque la désindustrialisation et le chômage en Europe ;
  • - le tabou des vertus de l'immigration de peuplement et de l'obligation morale de l'accueillir, alors qu'elle conduit à une augmentation continue des dépenses sociales (qui provoque à son tour un effet d'encouragement à l'immigration) ;
  • - le tabou keynésien, c'est-à-dire la théorie selon laquelle l'augmentation des dépenses publiques favorise le bien-être général ou assure la croissance, alors que les dépenses publiques excessives engendrent les déficits et les dettes.

- Des causes politiques : l'exécutif est de moins en moins légitime à imposer des sacrifices au nom du bien commun. Le système politique s'est enfermé dans le clientélisme, qu'il a d'ailleurs théorisé avec le discours sur les droits des "minorités" et sur la démocratie réduite à la défense des minorités ou des acquis sociaux. L'exécutif est d'autant moins légitime qu'il s'est enfermé dans le politiquement correct, c'est-à-dire qu'il va à l'encontre de la volonté majoritaire : s'il mobilise les minorités, c'est qu'il a perdu l'appui du peuple !

Or, le clientélisme est justement l'un des moteurs des dépenses sociales, car une dépense publique d'intervention, c'est une dépense au service d'une clientèle politique potentielle. Dans un tel contexte, l'endettement est une solution fatale : une solution de facilité qui évite justement d'avoir à assumer et à imposer des choix douloureux en matière de recettes et surtout de dépenses publiques. C'est le comportement de "l'Etat cigale " qui ne se préoccupe que du présent et qui repousse les sacrifices à demain et si possible sur les autres, car il est plus difficile de revenir sur une dépense - ce qui suppose de s'opposer à des clientèles précises - que d'augmenter les prélèvements, qui se diluent dans la masse des contribuables.

La France se complaît dans le spectacle de la rigueur, mais ne la pratique pas vraiment. Il suffit de comparer avec ce que font nos voisins. La préférence pour le spectaculaire à court terme résulte du fait que dans le domaine économique et social l'Etat est nu : il s'est désarmé, car il a perdu ses principaux leviers d'action au profit d'organisations supra-nationales, sur l'autel du nouveau dieu dérégulation ou à cause du politiquement correct... Déficits, dénatalité, immigration : trois exemples de fuite en avant et de comportement imprévoyant et irresponsable de la classe dirigeante occidentale !

5) La fuite en avant dans l'endettement public n'est plus possible. D'abord, parce que la progression dans la transparence des comptes publics (de nombreux Etats ont leurs comptes certifiés) conduit à mettre en lumière des risques qui auparavant étaient masqués au plus grand nombre. C'est le bon côté de la financiarisation : de plus en plus de gens informés et compétents scrutent l'état réel des finances publiques.

La crise de la dette n'est pas due à la "spéculation" des marchés : spéculer suppose d'avoir de la bonne information et d'être réactif ; cela veut surtout dire qu'aujourd'hui les acteurs économiques transnationaux sont mieux informés et plus réactifs que les gouvernants. Ce qui ne veut pas dire, bien sûr, qu'ils soient pour autant bienveillants !

Ensuite, la fuite en avant dans l'endettement suppose que les opérateurs maintiennent un minimum de confiance dans la capacité des Etats à honorer leurs engagements. Or, la question de la faillite des Etats est désormais posée par les opérateurs mondiaux, alors que la protection assurée par la supranationalité européenne apparaît de plus en plus factice.

Conclusion

La fin des déficits et des dettes publiques passe donc par une "réforme intellectuelle et morale" et celle ci suppose de renverser les idoles de l'idéologie dominante qui nous ont conduits dans l'impasse dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui.

Vaste programme ? Sans doute. Mais les crises qui s'annoncent offrent aussi l'occasion d'une prise de conscience et elles rouvrent donc le jeu politique. La crise de l'endettement fait prendre conscience de la nécessité de réformes structurelles, c'est-à-dire de la nécessité de réformer le système dans lequel nous vivons. Nous allons enfin être obligés de faire de vraies réformes, de conduire de vraies ruptures. C'est une bonne nouvelle.

Didier Maupas
Vice- président du Club de l’Horloge

Correspondance Polémia – 28/10/2010

Image : Antoine Carrache, Le Déluge vers 1616

Archives Polemia