Les moines de Tibhirine victimes de l'indifférence du gouvernement français ?

mardi 7 septembre 2010

La sortie au cinéma du film Des hommes et des dieux est un hommage posthume aux moines de Tibhirine. Hommage d’autant plus surprenant que leur enlèvement, précédant leur assassinat, s’était fait dans une certaine indifférence médiatique et politique. Explications.

Depuis trente ans la France a connu de nombreuses affaires d’otages : Jean-Paul Kauffmann de l’Evénement du jeudi et plusieurs autres au Liban, Florence Aubenas de Libération en Irak, Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier de France Télévision en Afghanistan sont les cas les plus connus ; sans oublier la Franco-Colombienne Ingrid Bétancourt, ni les infirmières bulgares spectaculairement libérées par Cecilia Sarkozy et Claude Guéant.

Hypermédiatisation des journalistes, démédiatisation des moines

On ne peut qu’être frappé par la différence de traitement médiatique de ces enlèvements et de celui des moines : le tapage pour les uns, le silence pour les autres. Il y a plusieurs explications possibles à cette situation :

  • -d’abord, un réflexe corporatiste bien naturel conduit les journalistes à s’intéresser davantage aux malheurs de leurs confrères qu’à celui de moines isolés dans le silence de leur monastère ;
  • -ensuite, il y a l’idée implicite qu’un journaliste a sa place partout alors que des religieux catholiques ne sont pas bienvenus en terre d’Islam ;
  • -il y eut enfin l’attitude du Quai d’Orsay agissant pour dissuader les familles des moines de porter l’affaire sur la place publique.

Bien sûr, la médiatisation a des conséquences : inciter, voire obliger les gouvernants à trouver une solution ; a contrario, la démédiatisation permet de se désintéresser d’une question.

Une étrange communication gouvernementale

Le discours officiel de Jacques Chirac, alors président de la République, d’Alain Juppé, premier ministre, et d’Hervé de Charette, ministre des Affaires étrangères, fut univoque : « On ne discute pas avec les preneurs d’otages ». Position de principe qui ne fut pas assortie d’un complément à tout le moins indispensable : « Malheur à ceux qui porteront atteinte – ou laisseront porter atteinte - à la vie des moines ». Une attitude d’indifférence qui pouvait s’interpréter comme un véritable feu vert à l’assassinat des moines.

La responsabilité de Dominique de Villepin

Dans le système politique français de la Ve République, la tour de contrôle de l’Etat, c’est le secrétaire général de la présidence de la République, c’est dans les faits le vrai patron des « services ». Or, à la différence d’autres affaires d’otages, la présidence de la République délaissa la coordination du suivi de l’enlèvement des moines de Tibhirine ; ce fut le directeur de cabinet du ministre des Affaires étrangères qui en fut chargé sans avoir l’autorité nécessaire ni sur le renseignement militaire, ni sur la DGSE, ni sur la DST.

Dans cette affaire, Dominique de Villepin, alors secrétaire général de l’Elysée, fit preuve d’incompétence : peut-être par nonchalance, plus probablement par cynisme. La future idole des cailleras de banlieue avait choisi de soutenir le pouvoir FLN algérien dans sa lutte contre les islamistes du GIA et donc de fermer les yeux sur ses manipulations diverses. Car en tuant ou en faisant tuer les moines de Tibhirine, les généraux corrompus d’Alger faisaient d’une pierre deux coups : diaboliser leurs adversaires du GIA, d’ailleurs infiltrés et manipulés par les services algériens, tout en contribuant à évincer la présence chrétienne d’Afrique du Nord. Ils récidiveront quelques semaines plus tard avec l’assassinat de Monseigneur Claverie, évêque d’Alger, alors même que le ministre français des Affaires étrangères était en visite officielle en Algérie.

L’assassinat des moines de Tibhirine permet ainsi de jeter un regard cru sur les relations ambiguës du pouvoir parisien et du pouvoir algérien.

Andrea Massari
06/09/2010
Polémia

Image : L'affiche du film Des Hommes et des Dieux

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