Un chant du cygne en grec et en latin

mercredi 25 août 2010

Un chant du cygne en grec et en latin Lentement mais sûrement, l’étau se resserre autour de l’enseignement du grec, du latin et bientôt, qui sait, des Lettres classiques elles-même. Le concours du Capes (Certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré) dans cette discipline est en effet réformé de manière à être purement et simplement supprimé. Et quand il n’y aura plus de professeur de grec et de latin, que dira-t-on aux élèves ? Que la matière n’existe plus. Ils sont pourtant « encore » 500 000 cette année à suivre cette voie dans les collèges et lycées, persuadés à juste titre (on a honte d’avoir à le rappeler) que les humanités demeurent non seulement la matrice des études littéraires mais la base des études en sciences humaines et sociales, pour ne citer qu’elles. Que comprend-on véritablement du français si l’on en ignore les étymologies ? C’est là que vit l’âme d’une langue. Au moment où il est urgent de renforcer l’enseignement du français, eu égard aux difficultés de simple compréhension et décodage de la langue auxquelles sont confrontés nombre d’élèves partout en France, on abdique, on renonce, on tergiverse, on brade avant disparition. Et comme cela vient peu après les arrêtés fixant les nouveaux modes de recrutement des enseignants, qui ont pour effet de réduire le nombre d’épreuves mais de rajouter une discipline orale sous l’énigmatique intitulé « Agir en fonctionnaire de l’Etat et de façon éthique et responsable », il y a de quoi s’inquiéter. En novembre, le néo-Capes sera en principe débarrassé du latin et du grec. A peine des éclats de version latine, comme d’autres d’anglais, et basta ! Quatorze membres du jury du Capes ont donc démissionné en bloc afin de protester contre cette décision. La lettre qui accompagne leur geste (on peut la lire in extenso sur le site de Mediapart) est explicite :

« (…) Aucune autre discipline n’a eu droit a un traitement aussi privilégié; partout ailleurs, la réforme des concours a tout de même laissé debout quelques épreuves qui permettent encore de vérifier la compétence des candidats dans la discipline qu’ils s’apprêtent à enseigner; partout… sauf en langues anciennes. Aucune volonté politique établie, aucune logique de rentabilité, aucun impératif économique… Une commission de réforme des concours se réunit en petit comité; un Inspecteur général y représente les lettres, négocie les nouvelles épreuves, sans latin ni grec! Chagrin de notre Inspecteur:“Je fis ce que je pus pour vous pouvoir défendre…” Le ministre valide, pas de risque de professeurs ou de gamins dans la rue pour sauver Homère et Tacite, et d’un trait de plume des disciplines entières disparaissent des écrans de contrôle, sans le début du commencement d’une justification » (…)

Cette protestation est d’autant plus vibrante qu’elle a les accents d’un chant du cygne : celui d’une génération de professeurs de latin-grec qui se sent la dernière. Ils revendiquent haut et fort l’honneur d’être une cible. Jusqu’à quand ? Lorsqu’il rappellent que dans leurs classes aux effectifs restreints, ils bénéficient, et leurs élèves avec eux, d’un luxe inouï : le temps, ils ont conscience que c’est le seul luxe rejetté par la société du bling-bling promue au plus haut niveau, et par le culte de la vitesse associé à celui de la rentabilité et du retour sur investissement à court terme.

Pierre Assouline
24/05/2010

Correspondance Polémia – 25/08/2010

Image : Le Chant du cygne, gravure de 1655 de Reinier Van Persijn (Alkmaar, vers 16141 - Gouda, 23 novembre 1668), graveur et dessinateur néerlandais.
Le chant du cygne (expression d’origine grecque) désigne la dernière œuvre remarquable d’un poète ou d’un artiste.

 

 

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