« Comment peut-on être païen ? » de Alain de Benoist

mercredi 31 mars 2010

Sous-titré Un recours aux racines - Une spiritualité pour notre temps, cet essai est la réédition, révisée et augmentée, d’une première version publiée en 1981 chez Albin Michel.

Il y a trente ans, le terrorisme intellectuel, la bien-pensance ne sévissaient pas avec la même ampleur qu’aujourd’hui, aussi le livre fut-il largement recensé, du Figaro au Monde, de L’Express au Nouvel Observateur, de France catholique à Information juive… Au total, une centaine d’articles lui furent consacrés, en France et à l’étranger où il a été traduit en plusieurs langues entre 1984 et 2008.

Sans être hostiles, nombre de ces recensions témoignèrent d’une incompréhension totale ou partielle de l’objectif de l’ouvrage qui était, comme le rappelle son auteur dans la préface de cette nouvelle édition, à la fois de montrer « les différences essentielles » existant entre le paganisme et le christianisme, et de se demander en quoi des « idéologies modernes d’apparence tout à fait profane pouvaient être considérées comme les héritières sécularisées du christianisme ».

Il ne saurait bien sûr être question dans le cadre de ce bref compte rendu d’énumérer l’ensemble des éléments qui différencient le paganisme et le christianisme, non plus que les points précis qui les opposent fondamentalement. On ne mentionnera simplement que quelques caractéristiques majeures du christianisme, à savoir : qu’il est « une ontologie dualiste » qui opère une distinction « entre l’Être créé et l’Etre incréé », ce que refuse le paganisme ; qu’il est, comme l’a souligné Nietzsche, un « dire non » à la vie et au monde (« N’aimez pas le monde, ni ce qui est dans le monde » dit Saint Jean), alors que « sont païens ceux qui disent oui à la vie » ; qu’il est une religion historique quand le paganisme est une religion cosmique ; qu’il développe une conception linéaire de l’Histoire qui s’oppose à la conception cyclique ou sphérique du paganisme (Saint Augustin dénonce, dans la Cité de Dieu, « les sages de monde qui ont cru devoir introduire une marche circulaire du temps pour renouveler la nature ») ; qu’il procède au renversement de toutes les valeurs païennes (beauté, bonheur, noblesse, puissance…) ; qu’il se définit comme un universalisme et rejette toute singularité, tout enracinement, tout attachement à une terre…

Au-delà de ce constat, il s’agit, pour l’auteur d’Avec ou sans Dieu (Beauchesne, 1970) de « se référer à la “mémoire” du paganisme, non d’une façon chronologique, pour en revenir à “l’antérieur”, mais d’une façon mythologique pour rechercher ce qui, au travers du temps, dépasse le temps et nous parle encore d’aujourd’hui ». Il n’est donc pas question d’un retour mais d’un recours au paganisme, comme « point de départ d’une nouvelle aventure de l’esprit, une nouvelle aventure de l’âme faustienne ».

Être païen, c’est adhérer à une certaine conception du sacré, de la spiritualité. Ce n’est pas adorer Apollon ou vénérer Odin, même si l’on peut se rendre à Delphes et méditer sur le mythe apollinien, ou visiter Gamla Uppsala et se recueillir sur les tertres funéraires des divinités nordiques.

Ce qui importe aux yeux d’Alain de Benoist c’est de saisir quelle forme d’appréhension du monde représente le paganisme, de comprendre à quel univers intérieur il renvoie. Le paganisme pose entre l’homme et l’univers une relation fondamentalement religieuse, il sacralise le monde et le célèbre quand le christianisme le sanctifie et l’en détache.

Dans un entretien avec Charles Champetier publié dans la revue Éléments en juillet 1997 et repris en appendice dans cette nouvelle édition, l’auteur de L’éclipse du sacré (La Table Ronde, 1986), répond à ceux qui assimilent paganisme et athéisme que pour lui « le paganisme est incompatible avec l’athéisme, entendu « comme négation radicale de toute forme de divin ou d’absolu ». Critique à l’égard du christianisme, il ne se définit pas « comme antichrétien, mais plutôt comme achrétien ». Il estime par ailleurs qu’on ne peut ignorer que nous avons « derrière nous deux siècles d’histoire non païenne (ou fort peu) » et qu’« on ne peut faire comme si cette histoire n’était pas advenue, en s’efforçant de renouer […] avec une tradition interrompue ».

On ne peut que vivement recommander la (re)lecture de ce foisonnant et stimulant essai qui nous permet de mieux connaître et de mieux comprendre deux grandes visions spirituelles et deux grandes conceptions du-monde. L’ensemble de l’ouvrage est de surcroît riche de belles citations sur lesquelles Alain de Benoist nous incite à réfléchir et à méditer. Nous en avons retenu deux. La première est de Ernst Jünger qui écrit dans son Essai sur l'homme et le temps (Christian Bourgois, 1970) : « On ne revient pas en arrière pour reconquérir le mythe ; on le rencontre à nouveau quand le temps tremble jusqu’en ses bases sous l’empire de l’extrême danger ». La seconde est de Fernando Pessoa qui affirme dans Le retour des dieux (Champ libre, 1973) : « Les dieux ne sont pas morts : seule est morte notre perception des dieux. Ils ne sont pas partis : nous avons cessé de les voir […]. Mais ils continuent d’être là et de vivre comme ils ont toujours vécu, dans la même perfection et la même sérénité ».

Didier Marc

11/03/2010

Correspondance Polémia

31/03/2010

Alain de Benoist, Comment peut-on être païen ?, Avatar Éditions, Collection Polémiques, 2009, 32 €.

Image : Comment peut-on être païen

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