Les contribuables islandais refusent de payer pour l'aveuglement des banques

vendredi 12 mars 2010

« Le Non des Islandais à un référendum sur la dette bancaire les éloigne de l’Europe », titrait Le Monde du 09/03/2010.

Ce petit peuple de 320.000 habitants, qui a mis en place dès le Xe siècle l’assemblée parlementaire la plus vieille du monde, a réussi à garder sa personnalité malgré les colonisations successives norvégienne et danoise dont il ne s’est émancipé qu’à partir du milieu du XIXe. L’Islande a donc vécu très tôt avec un système politique des plus équilibrés et sa société a évolué, dès ses débuts, sous une république particulièrement élaborée, caractérisée par une quarantaine de comtés indépendants. Ses traditions de liberté, d’individualisme et d’égalité se sont maintenues.

Aujourd’hui, avec le récent référendum du 6 mars, on constate que la mondialisation de la finance fait changer les choses. A partir de cette réaction unique, brutale et sans appel dans l’Europe en crise, on peut faire deux observations : d’une part part, la population islandaise a osé se désolidariser de son parlement en rejetant massivement (93,3 % avec une participation de 62,7 %) un accord financier avec l’étranger, le Royaume–Uni et les Pays-Bas, sur le règlement de la dette d’Icesave ; d’autre part, on peut facilement imaginer que ce rejet résulte en partie d’une intense campagne menée sur le net et comprendre la volonté des gouvernements, et en particulier en France, de resserrer les contôles par des dispositions réglementaires telles les lois Hadopi et Doppsi.

Ne faut-il pas voir dans cette aventure islandaise un premier signal d’alarme lancé aux démocraties socio-libérales occidentales ?

Polémia

Les contribuables islandais refusent de payer pour l'aveuglement des banques,

Le peuple islandais vient de dire non. C'est une bonne nouvelle pour les peuples européens en proie aux diktats de plus en plus insupportables de l'industrie financière internationale, relayés par les gouvernements et l'Union européenne.

En 2008, en pleine crise économique, le système bancaire islandais s'écroulait et avec lui, la banque en ligne Icesave, filiale de Landsbanki, une des trois grandes banques islandaises, qui opérait au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Cette banque avait pris tous les risques, dans un pays où le monde de la finance, en lien étroit avec le gouvernement, misait à fond sur la dérégulation et les combines. A l'autre bout figurent des clients britanniques et néerlandais appâtés par des rémunérations mirobolantes de leurs dépôts. La grande majorité des contribuables islandais refuse aujourd'hui de payer l'addition pour les errements du système bancaire privé et d'un gouvernement irresponsable.

Face à l'écroulement d'Icesave, les autorités britanniques ont recouru en 2008 à la législation antiterroriste pour geler les avoirs islandais au Royaume-Uni. La manœuvre aggrava encore les problèmes en étouffant davantage l'économie islandaise, prise en otage dans cette affaire. A présent, le Royaume-Uni et les Pays-Bas réclament à l'Islande le remboursement des sommes qu'ils ont dépensées pour dédommager individus, entreprises et institutions lésées par la faillite d'Icesave. Ils prétendent s'appuyer sur le droit européen, ce que les Islandais contestent : selon ces derniers, le fonds de garantie des dépôts était de la responsabilité exclusive des banques islandaises, sans garantie en dernier ressort de l'Etat islandais.

Quoi qu'il en soit, la note présentée est inacceptable pour les 320 000 habitants de ce petit pays : 3,8 milliards d'euros, soit 40 % du PIB islandais, 12 000 euros par habitant ! Pour faire payer cette dette, sans doute sur plusieurs générations, le Royaume-Uni et les Pays-Bas multiplient les menaces d'isolement économique. Ils reçoivent l'appui du Fonds monétaire international et des autres pays riches. A la clé : annulation des soutiens promis pour la reconstruction du pays et refus d'adhésion à l'Union européenne. Le choix est clair : mieux vaut sauver l'image du secteur bancaire européen face aux agences de notation et au monde financier, que porter secours à un pays qui s'écroule.

Pour ce faire, il s'agit d'obliger l'Islande à adopter une loi rétroactive reconnaissant sa responsabilité dans la faillite du système bancaire islandais. Sous les menaces, le Parlement islandais a voté une première loi dans ce sens, plafonnant cependant les montants remboursés selon une certaine proportion du PIB islandais. Le texte ayant été refusé par le Royaume-Uni et les Pays-Bas, le Parlement a revoté une loi levant toute condition au remboursement. Face à une pétition signée par un quart des électeurs, le président islandais a alors refusé de signer le texte de loi et a suspendu la décision au référendum du 6 mars. Le non a été soutenu par de nombreuses organisations de la société civile dont Attac, qui vient de se créer en Islande

Bien entendu, les agences de notation ont rétrogradé l'Islande au plus bas. Les lobbies financiers accusent déjà les Islandais de ne pas prendre leurs responsabilités et de reporter les conséquences sur les contribuables britanniques et néerlandais. Mais ne pourrait-on pas, au contraire, considérer que les Islandais prennent la seule position responsable et envoient ainsi un signe vers le reste de l'Europe ? Pour la première fois, de façon concrète, les citoyens refusent de payer pour les énormes risques pris par des banques privées et des investisseurs dans le seul but d'une super rentabilité de leur capital. N'ayant guère vu la couleur de ces profits toujours croissants au doux temps de l'euphorie financière, les contribuables ne se résignent pas à devenir les dindons de la farce.

Les avoirs qui subsistent de la banque Landsbanki devraient servir à dédommager en partie le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Au-delà subsiste une question : qui doit payer pour les dégâts et les énormes déficits publics provoqués par la crise financière ? Ces dernières semaines une vague de grèves a secoué la Grèce : là aussi les salariés et les contribuables refusent de payer les pots cassés de la crise sous la pression de la spéculation monétaire. Nul doute que dans de plus en plus de pays, les contribuables refuseront de laisser libre cours à un système financier prédateur qui, après avoir été sauvé du gouffre par les Etats, veut maintenant les mettre à genoux. Les gouvernements se retrouvent face à leurs responsabilités : imposer de fortes régulations publiques au système financier, à commencer par la suppression des hedge funds et des marchés de gré à gré, un encadrement très strict des marchés de dérivés, une mise sous contrôle public des agences de notation, un démantèlement des paradis fiscaux, la construction d'un pôle financier public européen sous contrôle démocratique et enfin, une taxation internationale sur les transactions financières, seule à même de juguler la finance et de financer les urgences sociales et écologiques au plan mondial.

Aurélie Trouvé, coprésidente d'Attac France,

Einar Mar Guömundsson, écrivain et memebre d’Attac Islande

Le Monde.fr

09/03/2010 |

Image : Pingvellir, là où se réunissait l’Alping, l’assemblée parlementaire islandaise créée en 930

 

 

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