La déflation réglementée serait-elle le remède à la crise?

jeudi 4 mars 2010

 Le site Les Echos.fr publiait, le 24 février 2010, sous le titre Keynes, Blanchard et les vaches sacrées un article de l’économiste et universitaire Jacques Delplat, qui a été le conseiller économique de différents ministres dont Nicolas Sarkozy. Il y suggère, pour résoudre la crise actuelle de la zone euro, deux solutions. Celle, qui a sa préférence et qu’il expose ci-après, a provoqué un certain nombre de commentaires dont nos lecteurs pourrons prendre connaîssance en se rendant sur le site activé in fine.

Polémia

Keynes, Blanchard et les vaches sacrées

La crise actuelle de la zone euro dans huit de ses pays offre deux solutions. Le retour aux déflations dures des années 1930. Ou bien de l'innovation keynésienne et européenne : baisses et gels immédiats et coordonnés de tous les prix et salaires, avec aide européenne massive.

La crise grecque est le point extrême d'une crise plus large affectant Gipec (Grèce, Irlande, Portugal, Espagne et Chypre, 18 % du PIB des pays de l'euro), et de moindre manière M2S (Malte, Slovénie, Slovaquie, 1,2 %). Leurs larges déficits externes sont insoutenables (12 % du PIB pour Gipec et 6 % pour M2S en 2008) et vont devoir être corrigés par des remèdes de cheval, car banques et marchés vont devenir réticents à leur prêter.

Sans dévaluation possible, si on ne croit pas à une augmentation exceptionnelle et rapide de la productivité dans ces pays, restaurer leur compétitivité implique une baisse significative de leurs prix et salaires. Avec une inflation à 2 % en zone euro, deux options sont possibles. Premièrement, laisser le marché ajuster, avec des récessions brutales sur plusieurs années, des resserrements budgétaires violents, des taux de chômage à 20 %, afin de faire baisser prix et salaires. C'est la Lettonie aujourd'hui. La seconde option est proposée par l'économiste en chef du FMI, Olivier Blanchard. Il ne s'agit pas de son dernier article qui fait tant de bruit, mais d'un autre - « Adjustment within the euro. The difficult case of Portugal » (Portuguese Economic Journal, 2007). Les gouvernements de ces pays devraient imposer une "dévaluation interne" immédiate, avec des baisses coordonnées et imposées de 10 % à 30 % selon les cas de tous les prix, salaires et transferts sociaux à l'intérieur de leur propre pays, suivies d'un gel temporaire de trois mois. Cela revient à une dévaluation sans dévaluation de la monnaie. C'est une solution keynésienne : elle résout les problèmes de coordination. Les gens accepteront baisses des salaires et pensions, car les prix des biens et services internes baisseront pareillement ; seuls les biens importés renchériront. C'est plus acceptable politiquement (fardeau équitablement réparti). C'est plus efficace (gains de compétitivité immédiats). C'est plus équitable, car cette option évite de faire monter le chômage à des niveaux stratosphériques.

Il y a cependant un écueil majeur, non évoqué par Blanchard : les dettes publiques et privées de ces pays seront aug-mentées d'autant par ces "dévaluations internes" alors qu'ils ont un problème à refinancer ces dettes. Pour les dettes publiques, je suggère une aide, sur plusieurs années, de l'Union européenne. En l'absence de vrai fédéralisme budgétaire, il faut une réallocation massive des budgets actuels de l'Union Européenne de l'ordre de 70 milliards d'euros par an, vers Gipec et M2S (4 % de leurs PIB), un montant correspondant à l'ensemble des fonds structurels et la moitié de la politique agricole commune. Cette aide, conditionnelle aux réformes, servirait à payer une partie du service de la dette publique de ces pays. Pour les dettes privées, il y aura probablement des faillites, des abandons de créances, des restructurations de dette et des renflouements de banques locales par les Etats (financés en partie par l'aide européenne).

Impossible politiquement ? Cette solution sera certes difficile, mais les alternatives sont pires. Soit une sortie de ces pays de la zone euro, avec récessions massives et immédiates, car plus personne ne leur prêtera, faillites privées et publiques en chaîne et échec massif de l'Union européenne. Soit, à l'intérieur de la zone, récessions et déflations comme celles des années 1930 (que Keynes condamnait avec justesse) et probablement, dans ces huit pays, rejet très fort de l'Europe et montées des extrémismes politiques.

Plusieurs bonnes nouvelles toutefois. D'abord, l'Italie n'est pas concernée, car la BCE va garder des taux bas à 1 % longtemps. Ensuite, Gipec et M2S vont devoir réformer massivement leurs économies pour les rendre plus productives et compétitives. Enfin, cela va forcer à réformer les mécanismes européens : les fonds structurels et la politique agricole, notoirement inefficaces mais otages des puissants lobbies qui en profitent, vont devoir être réformés, car sans aide de l'Union, Gipec et M2S vont imploser. Sans réforme des politiques communautaires, il n'y a pas assez d'argent pour les aider (Allemagne et Hollande sont hostiles à une augmentation des budgets de l'Union). En cas de crise majeure, les réformes prétendument impos-sibles politiquement le deviennent très vite. Les vaches sacrées, comme la politique agricole commune, vont devenir beaucoup moins sacrées !

Jacques Delpla

Membre du Conseil d’analyse économique (CAE)

Les Echos.fr

24/02/2010

Correspondance Polémia

04/03/2010

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