« Le conflit, la femme et la mère » Par Elisabeth Badinter

mardi 2 mars 2010

De l’aliénation par le « maternage proximal » et les brocolis.

Les femmes entre elles, c’est quelque chose. Il y en a une qui est en train de se faire lâcher méchamment par les copines, c’est Elisabeth Badinter. Mais il faut reconnaître qu’elle les cherche. Dans son dernier livre, Le conflit, la femme et la mère, Elisabeth Badinter explique avec emphase que la femme moderne est en train de passer subrepticement d’un joug à l’autre: de la domination masculine à l’asservissement par l’enfant. Et de qualifier aussi sec de réactionnaire les militantes de l’allaitement, les fondamentalistes du bio, les intégristes de la couche lavable, bref toutes les néo-écolos qui ont contribué à la grande offensive naturaliste terriblement aliénante pour la femme et pour sa carrière professionnelle (même l’OMS, qui prône l’allaitement complet de l’enfant jusqu’à ses 6 mois révolus est soupçonnée par Madame Badinter d’être infiltrée par les chrétiens traditionalistes américains…). Et vache jusqu’au bout, elle donne les noms : Nathalie Kosciusko-Morizet (qui en septembre 2008 a lancé l’idée d’une taxe sur les couches jetables) et Cécile Duflot (selon laquelle, d’après Madame Badinter : « La bonne mère écologique est une femme qui allaite, lave elle-même ses couches, fait des brocolis bio pour ses enfants »), en prennent spécialement pour leur grade. Et elles n’apprécient pas du tout : si vous croyez que c’est drôle de passer pour une cryptopétainiste… Cécile Duflot proteste vigoureusement : « Elisabeth Badinter multiplie les clichés sans aucune analyse, aucune synthèse, aucune réflexion ».

L’hebdomadaire Marianne lui emboîte le pas et persifle : Badinter se trompe de combat ! Quand on lui parle asservissement par la burqa, sujet brûlant s’il en est, Elisabeth Badinter botte en touche et répond aliénation par la couche-culotte. C’est vrai, Marianne a raison : à moins que certaines s’avisent d’enfiler une pampers sur la tête, on ne voit pas bien le rapport. Et même une féministe de gauche est capable de comprendre qu’à tout prendre, il vaut mieux être condamnée à faire cuire quelques brocolis au fond d’une casserole qu’à garder sur le dos la panoplie de Dark Vador pour le restant de ses jours.

Pourtant à certains égards, Elisabeth Badinter a vu juste : la théorie du « maternage proximal » qui fait fureur parmi les trentenaires bobos risque bien d’avoir des conséquences délétères sur le travail des femmes. On doit ses fondements théoriques au psychiatre anglais John Bowlby. Elle a ensuite été largement développée aux Etats-Unis par le pédiatre américain William Sears sous le nom d’« attachment parenting ». Selon elle, la qualité du développement physique, intellectuel et affectif de l’enfant est directement fonction de la proximité avec la mère durant les premiers mois – voire les premières années – de vie. Mais l’allaitement, le portage en écharpe et le couchage côte à côte sont, de nos jours, choses plus aisées à pratiquer à Calcutta ou à Yaoundé, qu’à Paris dans une salle de marché ou un séminaire de formation. De là à renvoyer les femmes au foyer… On comprend mieux pourquoi le projet de réduction du congé parental imaginé par Nicolas Sarkozy est en passe de faire un flop : pas franchement dans l’air du temps.

Monde & vie 823

20/02/2010

Correspondance Polémia

02/03/2010

Elisabeth Badinter, Le conflit, la femme et la mère, Flammarion Lettres, février 2010, 256 p.

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