Obama s'ennuie dans les réunions avec l'UE: à qui la faute?

dimanche 7 février 2010

En «snobant» le sommet entre l’Union européenne et les Etats-Unis prévu à Madrid en mai, le président américain déclenche le débat sur l’absence de politique extérieure et de voix commune dans l’UE.

On appelle cela le « syndrome de Topolanek ». Quand en avril 2009 Barack Obama participa à son premier sommet européen, sous présidence tchèque à Prague, il eut à subir le premier ministre Mirek Topolanek, qui avait qualifié dix jours avant de « chemin vers l’enfer » son plan se relance et qui, en plus, venait d’être destitué. Bref, un interlocuteur aussi désagréable qu’inutile. A un moment donné, le président américain glissa à ses aides: « Je perds mon temps! »

Rebelote à Copenhague le 18 décembre quand, embourbé dans une séance de négociations à laquelle participaient plusieurs leaders européens désunis – mais pas le premier ministre chinois Wen Jaiobao –, Obama a quitté la salle pour rejoindre ce dernier et discuter, avec lui et quatre pays émergents, le projet d’accord final du sommet sur le climat, qui fut ensuite soumis aux Européens.

Pour s’éviter une troisième séance de bâillements, le président américain a fait savoir lundi qu’il ne se rendrait pas à Madrid les 24 et 25 mai prochains au sommet entre l’Union européenne et les Etats-Unis, un des quinze (!) raouts internationaux qu’organise l’Espagne pendant ses six mois de présidence.

Ce n’est pas que Barack Obama n’aime pas l’Europe. Il est juste le premier président américain qui n’a pas de liens affectifs et familiaux avec ce continent, et il n’aime pas les réunions où les photos souvenirs et les postures se substituent aux décisions. Le gouvernement espagnol accuse le coup sur le ton élégant de l’autocritique: « Nous devons pouvoir démontrer à nos amis américains que l’Europe existe », a dit jeudi le ministre des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos. Zaki Laïdi, directeur de recherche au Centre d’études européennes à Paris, ne voit pas moins dans la non-venue d’Obama à Madrid « une immense gifle » qui coïncide avec le voyage du premier ministre José Luis Zapatero à Washington.

Le président américain avait annoncé la couleur: « Nous voulons des alliés forts », déclarait-il lors de son premier voyage transatlantique. Message non reçu. L’attitude des Européens face aux Etats-Unis reste « fondamentalement infantile et fétichiste », écrivent Jeremy Shapiro et Nick Witney, du European Council on Foreign Relations, dans une analyse qui circule beaucoup depuis quelques mois.

Certes, il y a des domaines où l’UE défend ses intérêts sans complexes – le commerce, la politique de concurrence et les questions financières par exemple. Mais dès qu’il s’agit de sécurité internationale, l’Union peine à se comporter autrement que comme « une espèce d’ONG géante », poursuivent Jeremy Shapiro et Nick Witney.

Barack Obama, lui, est aussi commandant en chef de l’armée. Quand L’Afghanistan s enfonce dans le chaos, il dépèche 30.000 hommes en renfort, tandis que les Européens en alignent quelques centaines en maugréant. Quand la situation se tend au Proche-Orient, ce n’est pas l’envoyé spécial britannique Tony Blair qui désamorce la bombe. Quand la Russie durcit le ton, ce n’est pas l’UE qui lui tient tête. Quand la Turquie cherche le dialogue et des alliés, l’UE est souvent aux abonnés absents. Quand un tremblement de terre dévaste Haïti, c’est encore une fois le vide face aux Etats-Unis. I

Il ne suffit pas à l’Europe « d’exister », elle doit encore accorder ses violons, et cela n’était manifestement pas le cas à Copenhague, a admis hier Miguel Angel Moratinos.

Le Traité de Lisbonne est dorénavant en vigueur, donnant à l’Union un président du Conseil européen (Herman Van Rompuy), et une haute représentante pour les Affaires extérieures (Catherine Ashton). Or cette nouvelle architecture a pour effet immédiat de multiplier les sources de conflits de compétences avant d’améliorer les choses – peut-être

« La question est de savoir si le Traité de Lisbonne crée plus de problèmes qu’il n’en résout », se demande Stanley Crossick, président-fondateur du European Policy Center (EPC)

Là, les avis divergent. Pour Antonio Missiroli, directeur de recherches à l’EPC, il faut un peu de temps avant que les rouages se rodent. Selon luiles dirigeants de l’UE prendront leurs marques au second semestre 2010 sous présidence belge, ce qui facilitera la tâche. Quant aux postures nationalistes de certains chefs d’Etat, «elles traduisent le besoin de se montrer parce que la substance va dans l’autre sens – celui d’un renforcement de l’approche communautaire». Par ailleurs, la pression des enjeux extérieurs (climat, Afghanistan, etc.) va précisément forcer les pays européens à forger des positions communes. Le passage est difficile, mais «il n’y a pas de crise fondamentale», dit-il au Temps..

Zaki Laïdi n’en est pas si sûr: «L’UE est championne pour se donner de nouvelles institutions, mais le problème est ailleurs. Ce qui est grave, c’est le manque de volonté et d’appétence pour insuffler un vrai contenu à ses politiques, en particulier extérieures.» Nicolas Sarkozy critique Barack Obama «par dépit de ne pas apparaître en interlocuteur privilégié»; Angela Merkel «se désintéresse profondément» de l’Europe. A côté de cet axe franco-allemand tournant à vide (lire ci-contre), la Grande-Bretagne voit s’étioler sa « relation spéciale » avec les Etats-Unis sans savoir par quoi la remplacer..

Qu’est-ce qui peut relancer la dynamique collective européenne et la relation transatlantique? « Une crise », répond Zaki Laïdi. A moins que, plus prosaïquement, la perte d’influence des Etats-Unis et de l’UE face aux puissances émergentes les amène à se serrer les coudes

Jean-Claude Péclet

05/02/2010

Le Temps

Correspondance Polémia 07/02/2010

Image : Le président Barack Obama au sommet du G8 à L’Aquila en juillet dernier. (AFP)

Archives Polemia