Le grand retour des prénoms marqueurs d'une identité musulmane

jeudi 21 janvier 2010

En donnant le nom hébreu de « Solal » à son fils, Jean Sarkozy a attiré l’attention sur la vogue des prénoms communautaires. Rachida Dati l’avait précédé en attribuant le nom arabe de « Zohra » à sa petite fille. Ce phénomène spectaculairement mis en évidence par des puissants traverse en profondeur la société multiculturelle française. Polémia présente ici une étude sur le grand retour des prénoms marqueurs d’une identité musulmane.

Le nom et le prénom d’un homme ou d’une femme sont et restent des marqueurs identitaires : ils renvoient souvent à une histoire familiale ou à des appartenances, religieuses ou géographiques. C’est la raison pour laquelle la République, lorsqu’elle inscrivait son action dans une logique d’assimilation, a encouragé les étrangers qui se faisaient naturaliser à changer de nom et de prénom.

De la francisation des noms et des prénoms…

Ainsi une loi de 1972, reprenant des textes de 1965, eux-mêmes repris de textes antérieurs prévoit que :

a « Toute personne qui acquiert ou recouvre la nationalité française peut demander la francisation de son nom seul, de son nom et de ses prénoms ou de l’un d’eux, lorsque leur appartenance, leur consonance ou leur caractère étranger peut gêner son intégration dans la communauté française. »

b « La francisation d’un nom consiste soit dans la traduction en langue française de son nom, soit dans la modification nécessaire pour faire perdre à ce nom son apparence, sa consonance ou son caractère étranger. »

c « La francisation d’un prénom consiste dans la substitution à ce prénom d’un prénom français ou dans l’attribution complémentaire d’un tel prénom ou, en cas de pluralité de prénoms, dans la suppression du prénom étranger pour ne laisser subsister que le prénom français. »

d « Les personnes mentionnées à l’article 1er peuvent demander la francisation des prénoms ou de l’un des prénoms de leurs enfants mineurs bénéficiaires des articles 84 et 143 du code de la nationalité. Elles peuvent également demander l’attribution à ces enfants d’un prénom français, s’ils ne possèdent aucun prénom. »

Quoique toujours en vigueur, et encore récemment remaniée en janvier 2005, cette loi subit une remise en cause progressive de son application.

…à la défrancisation

D’abord, les demandes de changement de nom et de prénom dans un but de francisation se font de plus en plus rares. Selon Nacira Guénif Souilamas, chercheur au CNRS, auteur de Des beurettes aux descendants d’immigrants nord-africains, : « On assiste (de moins en moins) à des demandes de francisation de prénoms au moment de la naturalisation. Les descendants des migrants ne pensent plus que l’assimilation passe par l’acculturation. Et qu’il faille chercher à effacer toute référence à l’origine, au parcours migratoire. »

Quand Louis désire redevenir Miloud

Quant aux descendants, français de nationalité pour la plupart, « ils renouent avec des références arabes, persanes, prénoms qui ne sont pas forcément liés à leur nationalité d’origine ou à l’histoire de leurs parents ».

Ensuite, les juges des affaires familiales sont de plus en plus sollicités par des Français naturalisés ayant changé de nom ou de prénom et souhaitant retrouver leur identité d’origine. Un article du Monde du 13 avril 2007 intitulé « Ce prénom, ce n’est pas moi », s’intéresse à cette « nouvelle catégorie de solliciteurs » : Nadine souhaitant redevenir Zoubida ; Louis désirant redevenir Miloud pour pouvoir effectuer un pèlerinage à La Mecque et être enterré dans un carré musulman ; Pierre et Marie choisissant de s’appeler à nouveau Kamel et Leïla et de redonner à leurs descendants leur prénom de naissance pour que « dans leur école, nos enfants ne se sentent pas isolés avec des prénoms français par rapport aux autres ».

Cette attitude est évidemment radicalement différente de celle observée dans les années 1970, où bien des Arabes porteurs du prénom Mohamed se faisaient alors surnommer « Momo » pour mieux ressembler aux « Maurice » avec qui ils partageaient les emplois ou les cages d’escalier.

Loin de combattre cette évolution, les institutions françaises ont choisi de l’accompagner. La doctrine officielle est désormais la suivante : puisque les Français naturalisés ou les Français d’origine étrangère souhaitent garder des prénoms qui marquent leur identité d’origine, faisons en sorte que cela ne nuise pas à leur intégration dans l’emploi et imposons le curriculum vitae (CV) anonyme. C’est ainsi que, tour à tour, gouvernements, officines patronales et syndicales et Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) ont encouragé les curriculum vitae sans nom, sans prénom et sans adresse.

Comment ne pas penser à Tartuffe ? Cachez ce prénom que vous avez choisi mais que je ne saurais lire !

Car nous assistons à un phénomène massif de retour à des prénoms identitaires utilisés comme marqueurs de l’appartenance à la culture islamique.

Mohamed et Rayan

L’histoire du prénom Mohamed illustre ce phénomène. Ce prénom apparaît en France, de manière statistiquement significative, au début des années 1950 et est de plus en plus fréquemment donné, jusqu’à atteindre un pic de 1 700 au début des années 1980 ; pic suivi d’un déclin notable jusqu’à la fin des années 1990 ; déclin interrompu par une vive reprise : avec 1 860 attributions, l’année 2006 est l’année record (source Insee).

En fait, avec les variantes orthographiques, ce sont plus de 2 000 garçons nés en France qui ont été prénommés Mohamed en 2006. Situation d’ailleurs moins spectaculaire qu’en Grande-Bretagne où, selon l’AFP du 6 juin 2007, Mohamed est devenu le deuxième prénom le plus populaire derrière Jack ! D’autres prénoms comme Mehdi, Karim ou Youssef ont connu une progression semblable. I

Il convient toutefois de noter aussi la montée de Rayan dont l’année record d’attribution est 2006, avec 1 859 choix. Rayan, qui fait donc quasiment jeu égal avec Mohamed, est un prénom qui, sous ses aspects anglo-saxons et mondialisés, a une origine arabe puisqu’il signifie « beau », « à la fleur de l’âge »; son choix ne traduit pas un désir d’intégration à l’identité française mais une volonté d’affirmation de l’identité arabe dans un monde globalisé.

Inès, Nadia et Sabrina

Un phénomène assez comparable peut être observé dans le choix des prénoms attribués aux filles. Dans les familles d’origine maghrébine, c’est, selon Marie-Odile Mergnac, auteur de L’Encyclopédie des prénoms, Inès qui est le plus souvent choisi. Ce prénom a été attribué à 4 900 filles en 2006. Il arrive qu’il soit la forme espagnole ou portugaise d’Agnès mais c’est le plus souvent la transformation phonétique d’Inâs qui signifie « bienveillance, caresse, compagne » ; de même Nadia (« généreuse »), Sonia (« élevée, haute, sublime »), Sabrina (« patience ») sont les transcriptions de mots arabes… même si le hasard des sonorités peut parfois les faire coïncider avec un mot d’origine slave ou celtique !

Des phénomènes profonds qui montrent le retour à la surface de la profondeur des attaches aux identités étrangères d’origine. Et l’échec manifeste de l’intégration.

Polémia

21/01/2010

Immigration : l’illusion de l’intégration

Image : Momo

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