La modernisation de l’Etat : rupture ou illusion financière ? (« La Polémia » du 29/09/2009)

vendredi 30 octobre 2009

Polémia a organisé l’audition d’un praticien de la Révision générale des politiques publiques (RGPP). Les résultats de cette pratique ne sont pas à la hauteur des discours ni des espérances : 7 milliards d’économies pour un déficit de 140 milliards d’euros, c’est bien peu ! Il est vrai que les tabous du « politiquement correct » et du « syndicalement correct » ne sont pas touchés… ce qui limite les possibilités d’action. De même, la RGPP n’a guère porté sur les collectivités territoriales ni sur le secteur sanitaire et social qui sont pourtant les secteurs les plus dépensiers (les trois quarts de la dépense publique). Au final, c’est principalement le domaine de l’Etat régalien – défense, diplomatie, patrimoine – qui est concerné par les économies, pour la plus grande satisfaction des puissances étrangères et de la superclasse mondiale.

Explications
:

L’actuel président de la République, Nicolas Sarkozy, a été élu, en 2007, sur le thème de la « rupture », entendue comme une rupture avec la social-démocratie. C’est le sens de l’engagement de la Revue générale des politiques publiques, qui s’en veut l’illustration à la fois la plus symbolique et la plus opérationnelle, et qui se caractérise par :

- une « revue » dont la feuille de route visait à interroger, et donc potentiellement remettre en cause, l’ensemble des politiques publiques, sans tabous ;

- un niveau d’arbitrage élevé (le secrétaire général de l’Elysée) ;

- une mobilisation de moyens inédite (120 à 150 personnes issues des grands corps d’inspection de l’Etat et des cabinets conseils les plus puissants).


1/ « Rupture » : du discours à la réalité

Concrètement, la RGPP vise à :

- mesurer la performance et la productivité des services, conformément à la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF) qui entend réformer en profondeur la gestion de l'Etat ;

- procéder, pour faire des économies, à des regroupements de services, à des externalisations et à des réductions d’effectifs, dont la mesure phare, la plus symbolique, repose sur le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.

Sous cet angle, la RGPP constitue bien une rupture avec l’Etat bureaucratique.

Même si elle était déjà inscrite dans les recommandations du Club de l’Horloge et le programme RPR-UDF de 1986, la réduction des effectifs de la fonction publique est sans conteste la mesure la plus forte, y compris financièrement lorsque l’on sait que plus de 50% du budget de fonctionnement de l’Etat sert à la rémunération des traitements et pensions des fonctionnaires. Concrètement, ce sont ainsi 23.000 postes budgétaires qui auront été supprimés en 2008, et 34.000 proposés à la suppression pour 2010.

Mais au-delà de cette mesure, qu’en est-il en pratique ?

La mise en œuvre de la RGPP se caractérise finalement par :

- beaucoup de « meccano institutionnel », tant au niveau de l’Etat central que de l’échelon local ;

- une logique de fusion d’organismes et de services, inspirée du secteur privé mais dont la recherche d’économies se heurte à l’organisation même du secteur public. Ainsi de la question des systèmes d’information, dont l’interopérabilité constitue un défi, ou encore de celle des statuts, qui conduit à l’extension des mesures les plus favorables (la fusion ANPE/UNEDIC en vue de la création de Pôle Emploi aurait ainsi coûté 250 M€). Et la logique de regroupement, telle qu’instaurée notamment par la réforme de la carte judiciaire, engendre également un coût immédiat : 500 M€ de constructions nouvelles pour le seul ministère de la Justice, que la seule vente des bâtiments libérés ne pourra compenser compte tenu de la conjoncture du marché immobilier, mais également de la mise aux normes de ces bâtiments – notamment au regard des mesures imposées par le « Grenelle de l’environnement » !

Plus généralement, la transposition pure et simple des méthodes du privé, préconisée par les grands cabinets conseils sollicités, est en soi contestable. Il en ressort souvent des mesures qui relèvent de la seule approche cosmétique, ne modifiant en rien la réalité du poids de l’administration. Ainsi, par exemple, du secteur emblématique de Jean-Louis Borloo, le « ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement durable et de la Mer en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat » (incluant l’aménagement du territoire et les transports) a fait l’objet d’annonces triomphalistes : sa création aurait conduit au regroupement dans 5 directions centrales des 35 existantes auparavant sur le même périmètre administratif ; mais il s’agit de modifications de pure apparence : il y a bien 5 directions générales, flanquées d’un secrétariat général et d’un commissariat général au développement durable mais il reste en réalité autant de subdivisions de niveau direction ou service qu’avant. Au final la simplification apparaît d’autant moins évidente que la multiplication des structures « transversales » conduira bien des fonctionnaires à se donner en toute bonne conscience du travail les uns aux autres.

2/ Les limites du discours de la rupture : le politiquement correct et le syndicalement correct

Au-delà des facteurs intrinsèques, les principales limites à la mise en œuvre de la « modernisation de l’Etat » sont de nature idéologique.

Ainsi de la diminution du nombre d’enseignants.
Deux mesures structurelles permettraient réellement de « dégraisser le mammouth » de façon objective :

- la mise en concurrence (c’est-à-dire l’augmentation du nombre de places dans les établissements privés, aujourd’hui strictement limité) ;

- l’augmentation du rendement (c’est-à-dire du nombre d’élèves par enseignant – ce qui ne conduit pas forcément à l’augmentation du nombre d’élèves par classe mais simplement à la suppression des nombreuses décharges, partielles ou totales, dont bénéficient de nombreux enseignants).

C’est évidemment une autre logique qui s’est imposée dans la réalité :

- la diminution des horaires d’enseignement (permettant de faire assurer le même « niveau de service » à un nombre de personnels plus limité) ;

- la diminution du nombre d’élèves, à la fois par le haut (vers l’université en « donnant » dans les faits le baccalauréat à tous les lycéens, ce qui conduit à un transfert de charge et non à une réelle économie), et par le bas (en repoussant de 2 à 3 ans l’âge d’entrée à l’école maternelle).

Deux autres exemples illustrent les freins idéologiques à la RGPP :

- le refus de traiter la question de l’immigration (ainsi une tentative d’étude globale sur le coût, et donc les marges d’économie dans ce domaine, a-t-elle été refusée par Bercy, deux seules études techniques ayant été finalement menées, dont l’une sur le coût des reconduites à la frontière… pour souligner celui-ci, bien sûr, et donc s’interroger sur son « utilité » !) ;

- le rapprochement police/gendarmerie (qui va conduire mécaniquement à une augmentation à terme des coûts par un alignement des contraintes de service des gendarmes sur celles des policiers).

Pour le reste, la RGPP revient à « mettre sous tension » ce qui fonctionne, tout en évitant de s’attaquer à ce qui ne marche pas et qu’il faudrait en effet réformer en profondeur. De fait, c’est le périmètre régalien de l’Etat qui constitue la cible principale des réformes en cours.

3/ Le sacrifice de l’Etat régalien : affaires étrangères, défense, patrimoine

L’un des principaux ministères « ciblés » par la RGPP est celui des Affaires étrangères, considéré comme inutilement budgétivore.

Mais le deuxième réseau consulaire au monde après celui des Etats-Unis, le lustre de ses bâtiments officiels et la qualité des réceptions « à la française » ne constituent pas des dépenses inutiles, bien au contraire : c’est l’image, et donc l’influence internationale de la France, qui est en cause. Ainsi, la position de la France sur la guerre en Irak, en 2003, a été d’autant mieux partagée par la plupart des pays que nos ambassadeurs ont pu, dans chaque poste, expliquer la position de la France ; et qu’une partie de leur autorité venait de l’image que l’ambassade de France et ses réceptions continuent d’avoir dans de nombreux pays, une image qui coûterait une vraie fortune s’il fallait la recréer à partir de rien. Souvent jugée peu « productive », la diplomatie française est en fait porteuse d’une forte valeur immatérielle.

Le ministère de la Défense constitue l’autre cible privilégiée de la RGPP, et même le 1er budget touché.

Il y a trente ans, la France consacrait 4% de son PIB à la Défense (autant qu’à l’Education nationale) ; aujourd’hui, cette dépense est en-deçà de 2% du PIB (tandis que l’Education atteint désormais 6% du PIB). Et les décisions prises pour réduire les dépenses militaires ne sont pas sans conséquences directes sur les capacités d’influence du pays, comme en atteste le choix de fermer la plupart des bases militaires en Afrique, ou ses capacités d’intervention, les matériels mais également les hommes ne bénéficiant pas toujours des conditions opérationnelles requises (outre la proportion de matériels inutilisables sur les théâtres compte tenu de leur vétusté ou manque d’entretien, l’obligation faite aux soldats de compléter leur paquetage par des achats personnels conduit à faire de… Décathlon le 1er fournisseur réel de l’Armée de terre !).

Une troisième illustration de l’affaiblissement de l’Etat dans ses fonctions régaliennes concerne son patrimoine immobilier.
La vente de celui-ci est en effet censée assurer une partie du financement de la réforme, mais cette vision irénique se heurte à la réalité de la situation, les bâtiments en question étant pour l’essentiel :

- soit des bâtiments construits dans les années 1960, sans valeur au regard des exigences de l’immobilier de bureau actuel ; a fortiori compte tenu des exigences du « Grenelle de l’environnement » ;

- soit des bâtiments historiques, dont la cession relève d’une démarche de dilapidation du patrimoine national (ainsi de l’Hôtel de la Marine, place de la Concorde, appelé en cas de vente à échoir… à un émir du Golfe ou à un fonds spéculatif).

Un quatrième exemple renvoie au problème de l’évaluation de la performance.
Là encore, théoriquement, la question est valide, et l’évaluation parfaitement fondée, sauf qu’il conviendrait de définir précisément ce qu’il importe de mesurer : la satisfaction du client, et lequel (l’usager, le décideur politique) ? Le temps consacré à chaque mission ? Dans les faits, les aspects quantitatifs et qualitatifs se confondent. Et l’on peut légitimement se demander si un fonctionnaire qui consacre 3 minutes à l’instruction d’une demande de naturalisation est plus « performant » que celui qui y consacre 20 minutes…
Il en va de même pour la délivrance des titres de séjour, sachant que l’obtention d’un titre de séjour par un seul étranger entraîne une dépense indirecte de 100.000 € pour la collectivité liée à sa présence sur le territoire national (accès aux soins et à la couverture sociale, usage des services publics, construction de logements sociaux, etc.).

4/ L’illusion financière

Le dernier aspect de la RGPP tient à l’aspect totalement illusoire de son objectif au regard des enjeux.

Officiellement, cette démarche a permis la mise en œuvre de 7,7 milliards d’économie, ce qui n’est pas à l’échelle :

- cela correspond à 1/5e du déficit public de 2007 (et 1/20e du déficit actuel…) ;

- c’est pratiquement annihilé par la poursuite des décisions de dépenses nouvelles (ainsi le jour même de cette Polémia, le 29 septembre 2009, Nicolas Sarkozy engageait de 500 M à 1 milliard de dépenses nouvelles en un seul discours, il est vrai consacré à la jeunesse…).

Par ailleurs, les économies réalisées par la RGPP ne portent que sur le budget de l’Etat, soit 173 milliards d’euros (hors pensions et dette), alors que la dépense publique effective est plus importante dans les collectivités locales (200 milliards) et les organismes sociaux (le double). Il y a donc indéniablement un paradoxe à vouloir contrôler la dépense centrale (celle de l’Etat, a fortiori dans ses fonctions régaliennes) tout en laissant filer les dépenses sociales et des collectivités locales, où les volumes sont tels que les économies potentiellement réalisées pourraient être de facto plus massives.

Il convient en effet de rappeler que la part des dépenses de l’Etat dans le PIB est en baisse constante depuis 30 ans, contrairement aux deux autres :

- s’agissant des dépenses sociales, outre le poids des dépenses médicales liées au vieillissement de la population, de nombreuses décisions politiques contribuent à leur augmentation massive, la dernière en date étant le Revenu de solidarité active (RSA) – a fortiori étendu aux moins de 26 ans !

- quant aux collectivités locales, leurs dépenses ont doublé ces 25 dernières années en part du PIB. La décentralisation coûte cher aux finances publiques dans la mesure où l’Etat ne transfère jamais l’intégralité des charges liées aux politiques et dispositifs décentralisés (notamment les charges de personnel, l’Etat conservant sa fonction de réglementation et de contrôle) et où le service, plus proche du citoyen-consommateur, est plutôt mieux rendu mais dans une logique de clientélisme électoral propre à la démocratie locale, les lois de décentralisation dues à Gaston Defferre ayant pour ainsi dire conduit à l’extension du système marseillais à l’ensemble de la France !

Les seules dépenses de collectivités locales réduisent à néant les efforts déployés par la RGPP, la fonction publique territoriale recrutant chaque année davantage d’agents que l’Etat central en « supprime »…

Mais la charge principale reste la dépense de nature sociale (d’ailleurs en partie transférée aux collectivités locales !).

Le système régalien est un système par nature limitatif : ses budgets sont prévus à l’avance, et leur exécution contrôlée au fur et à mesure de leur engagement – de manière assez bureaucratique d’ailleurs.

Le système social se développe, lui, en revanche, sans aucune maîtrise politique.
Il repose en effet sur l’initiative individuelle : c’est le malade, le demandeur, bref l’« ayant droit » qui a l’initiative de la dépense ; ou ses intermédiaires, comme par exemple des praticiens hospitaliers qui, en conseillant à des malades étrangers de se faire soigner en France, engagent des dépenses en totale irresponsabilité. Et il en est de même s’agissant de l’obtention de faux papiers ou de certificats de mariage de complaisance – l’immigration nuptiale constituant aujourd’hui la principale porte d’entrée en France et de voie d’accès aux « droits » en découlant…


En guise de conclusion provisoire


Que reste-t-il aujourd’hui des discours de la campagne présidentielle de 2007 sur la limitation de la dépense publique, et donc la réduction des impôts ?

Des économies, d’ailleurs pas toutes pertinentes, estimées à 7 milliards d’euros, à rapprocher d’un déficit actuel de 140 milliards d’euros issu, certes, pour un gros tiers des effets de la crise mondiale qui a amputé les recettes en augmentant certaines dépenses, mais pour deux autres petits tiers des initiatives politiques et fiscales prises depuis 2007, d’une part, et du report du déficit 2007, d’autre part.

Le discours sur les économies budgétaires va reprendre de la vigueur à l’approche des échéances électorales de 2010. Cela a déjà commencé avec l’augmentation de 2 euros du forfait hospitalier, médiatiquement porteur (car il frappe les esprits) mais très en-deçà, bien sûr, des enjeux.

Ce discours, et la RGPP qui s’en veut la mise en œuvre opérationnelle, aboutit ainsi à affaiblir l’Etat régalien tout en permettant le développement d’un déficit croissant, tout simplement parce qu’il ne pose pas les bonnes questions (sur les collectivités locales et le système de protection sociale), et notamment élude le déséquilibre central lié à la politique d’immigration.




Questions/débat

— La suppression d’un échelon administratif (par exemple, le Département) n’est-elle pas de nature à participer de la nécessaire maîtrise des dépenses publiques locales ?
Non, il s’agit à la fois d’un serpent de mer et d’un leurre, car l’objectif principal est la modification du système électoral, l’UMP ayant intérêt à un scrutin uninominal à un tour. Il suffit pour s’en convaincre de relever que l’histoire des modifications de la loi électorale, sous la Ve République, est intimement liée aux objectifs électoraux immédiats du parti politique au pouvoir.

Au-delà des aspects électoraux, il convient de souligner que les « progrès » de la décentralisation se sont toujours bâtis sur une augmentation de la dépense locale. Ainsi de la loi Chevènement sur l’intercommunalité : cela faisait 30 ans que les différents gouvernements essayaient, par voie de subventions aux collectivités volontaires, d’inciter au regroupement des communes ; Chevènement a réussi en étant plus incitatif encore : par l’augmentation des indemnités attribuées aux élus des intercommunalités…

— Au-delà des résultats, somme toute modestes, la RGPP n’a-t-elle pas au moins une vertu pédagogique à l’intérieur de l’appareil d’Etat, de l’administration (cf. le modèle des « notes de frais » – ou services généraux – dans les entreprises cherchant à réduire leurs coûts) ?
Non, ce qui est observé sur le terrain, c’est une immense résignation.

— Quel cercle vertueux pour la nécessaire maîtrise des dépenses publiques ?
Il convient d’être raisonnablement pessimiste sur les possibilités d’aller plus avant à ce stade dans la mesure où la baisse de la dépense publique se heurte à l’absence de demande sociale objective et au poids du politiquement correct, alors que les principaux gisements d’économie sont justement, en raison de leur seule masse, dans le social et l’éducation, lesquels ne sont finalement que des « fonctions soutiens » pour l’Etat régalien.

Des scenarii d’effondrement comme en ont connu l’Argentine ou la Russie ne peuvent donc plus être écartés pour la France…



© POLEMIA
29/09/2009
 

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