Affaire Mitterrand : leur morale et la nôtre

samedi 24 octobre 2009

À chaque époque ses scandales, à chaque homme ses travers. Frédéric est donc bien le digne neveu de son oncle. À la différence que celui-ci, pendant son règne, avait réussi à étouffer toutes les affaires qui risquaient de détériorer son image, avec la complicité jamais prise en défaut du pouvoir journalistique : les écoutes téléphoniques, les images subliminales au journal de 20 h 00, la fille cachée, la Francisque, rien ne filtra jamais alors que « tout le monde » – comprenons le tout-Paris de la caste médiatique – était au courant.

Le scandale

Frédéric a eu moins de chance. Alors que la révélation de l’existence de Mazarine Pingeot par le journal Minute, dès 1989, était restée lettre morte,  la grande presse claquant avec docilité les talons devant le « Duce », cette fois deux éléments ont changé la donne. D’abord, le fait qu’une figure politique de premier plan, Marine Le Pen, prenne la responsabilité de l’attaque. Ensuite et surtout, la révolution d’Internet, qui offre à l’« extrême droite » une tribune  inespérée.

Évidemment, on aurait aimé que quelqu’un d’autre que Frédéric Mitterrand soit victime de ce scandale. Quelqu’un de plus caricaturalement représentatif de cette caste qui, depuis trente ans, nous dit ce que nous devons faire, comment nous devons penser, ce que nous devons aimer et ce que nous devons détester. On aurait adoré, évidemment, que cela arrive à un B.H.L., philosophe bling-bling qui a poussé l’outrecuidance (mais pourquoi pas ? Tous les journaux sont à sa botte de toute façon) jusqu’à s’élever contre le « nouvel ordre moral » qu’il croit percevoir derrière la polémique.

On croit rêver, mais non : B.H.L., le plus grand moralisateur de ces dernières décennies, véritable Schtroumpf à lunettes de Saint-Germain-des-Prés, dont la fonction principale, depuis sa percée médiatique, est de nous dire, à nous Français, que nous devons à tout prix avoir honte de tout : Auschwitz, la colonisation, l’esclavage, la collaboration, l’affaire Dreyfus, la guerre d’Algérie…

Cet homme ose dénoncer le « nouvel ordre moral »…

Le véritable « nouvel ordre moral », c’est justement ce catéchisme culpabilisateur apparu il y a quarante ans, et dont B.H.L. est le porte-drapeau, sinon l’emblème. L’ordre moral qui se fait sentir actuellement avec cette nouvelle affaire Mitterrand, c’est l’ancien : cet ordre moral issu du christianisme et du judaïsme, et qui prohibe, contrairement à ce qui se passait dans l’Antiquité gréco-romaine, les rapports charnels entre adulte et enfant.

On aurait aimé, disions-nous, que quelqu’un de plus représentatif de l’hyper-caste soit le dindon de cette farce. Frédéric Mitterrand n’a pas le profil idéal. Homme de lettres pétri de culture classique, assez peu idéologique, donc assez peu « de gauche », son livre ne vise qu’à relater un parcours personnel et  intime, sans ériger la pédophilie en obligation morale, ou l’inscrire dans on ne sait quel discours politique libertaire.

Mais voilà : pédophilie, le mot est lâché. Et il faut l’utiliser, même si Alain Finkielkraut s’est plaint de ce qu’il ait été vidé de son sens originel, affaire Dutroux oblige. Effectivement, le sexe tarifé avec un prostitué de douze ou treize ans dans un pays où justement, à cet âge, on n’est déjà plus un enfant (l’enfance est une notion au moins autant culturelle que biologique), ce n’est évidemment pas la même chose que le rapt et le viol suivi de meurtre.

Principe de précaution très honorable, mais qui n’a néanmoins jamais empêché le philosophe de traiter d’antisémites ceux chez qui la communauté juive ne déclenchait pas forcément une sympathie particulière. Ils ne souhaitaient pas obligatoirement l’extermination du peuple juif. C’est pourtant à cela que le terme « antisémite » renvoie, affaire Hitler oblige.

Frédéric Mitterrand, homme honnête, lucide, très peu enclin à la démagogie soixante-huitarde, mérite sans doute moins que d’autres ce qui lui arrive.

Ce qui ne veut pas dire qu’il ne le mérite pas.

Le procès moral (car il s’agit effectivement de cela, même si c’est une autre morale que celle de B.H.L.) qui lui est fait, et à juste titre, ne doit pas faire oublier l’autre procès qu’il faudra un jour ou l’autre mener à bien, celui de l’hyper-caste citée précédemment : les élites médiatiques, politiques, culturelles et économiques, dont la consanguinité va croissant.

Si l’intéressé, malgré l’ambiguïté de ses écrits, est au ministère de la Culture, c’est qu’il y a eu quelqu’un pour l’y nommer. S’il n’a pas démissionné suite à son soutien à Roman Polanski, c’est qu’il y a eu quelqu’un pour ne pas le démissionner. S’il a apporté ce soutien, c’est aussi parce que l’ensemble du « monde de la culture » l’y poussait.

Il faut maintenant bien mesurer l’écart qui existe entre un pays normal et ce qu’est devenue la France.

Et il faut calmement expliquer, avec toute la patience qu’on se doit d’avoir face à des gens qui ne connaissent rien du monde réel, ce qu’est pour nous la normalité.

Dans un pays normal, un ministre en exercice ne pourrait s’indigner du fait qu’un homme soupçonné de viol sur une enfant de treize ans soit extradé, sans être déchargé immédiatement de toute fonction gouvernementale.

Un pays normal n’aurait de toute façon pas accordé l’asile pendant trente ans à un violeur présumé sans le livrer aux autorités américaines ou le juger sur place.

Dans un pays normal, un homme qui avoue avoir pratiqué le tourisme sexuel avec de jeunes adolescents n’aurait de toute façon jamais été nommé par le chef de l’État à quoique ce soit.

Dans un pays normal, Frédéric Mitterrand aurait de toute façon, lors de la parution de son livre, et bien que l’aspect autobiographique de l’ouvrage ne soit pas complètement assumé, fait l’objet d’une enquête et, le cas échéant, aurait été condamné à de la prison ferme.

Voilà ce qu’est pour nous la normalité. Voilà ce qu’est pour nous la morale.

Il ne s’agit pas de conserver cette morale dans le champ médiatique et politique, puisqu’il y a belle lurette qu’elle ne s’y trouve plus. Il s’agit de mettre fin à la parenthèse de l’idéologie de 68, qui a amené la France au bord du gouffre comme auparavant seul un conflit armé aurait pu le faire. De 1968 à 2009, l’étendue de la catastrophe est maintenant discernable par tous.

Ne parlons plus de conservation, non plus de révolution. Le projet dans lequel nous nous inscrivons est ni plus ni moins qu’un projet de rétablissement des valeurs normales, celles qui ont toujours eu cours dans nos sociétés européennes christianisées.

André Waroch
18/10/2009

Source :
http://www.europemaxima.com/


Correspondance Polémia
23/10/2009

Image : Frédéric Mitteran et Marion Cotillard
 

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