« Les théories de la mondialité » de Gérard Dussouy : gagnants et perdants du sans-frontiérisme

mercredi 9 septembre 2009

Le livre du professeur Gérard Dussouy sur Les théories de la mondialité est une mine d’informations et de réflexions sur la mondialisation.

La « mondialisation heureuse »: une illusion ?

Le point de vue dominant libéral/mondialiste y clairement exposé : le libre échange mondial, la dérégulation des économies nationales et la globalisation des grandes firmes et des services (Elie Cohen) déboucherait sur « la mondialisation heureuse » (Dominique Strauss-Kahn). Selon ces théories, le libre échange mondial présenterait deux caractéristiques :

1-Il s’agirait d’un jeu à somme positive ;
2-Tout le monde y gagnerait !

Le premier point mérite discussion : il est possible qu’en termes de croissance du produit intérieur brut (PIB) mondial, la mondialisation ait des effets positifs. Reste à savoir si le produit intérieur brut est à lui seul une bonne mesure du bien-être des individus et du fonctionnement harmonieux des nations.

Quant au deuxième point selon lequel « tout le monde gagnerait à la mondialisation », il relève clairement de l’illusion : « il n’est pas possible que tous soient gagnants » (p. 17) ; « contrairement à la doctrine officielle la globalisation a ses gagnants et ses perdants » (p. 78).

Alors qui sont les gagnants et les perdants du « sans frontiérisme » ?

Gagnants : les grands oligopoles mondiaux

Les grandes firmes transnationales tirent profit et puissance de la mondialisation : celle-ci leur permet de développer, à l’échelle de la planète, gains de productivité, économies d’échelle, extensions de leurs parts de marché et généralisation de la sous-traitance.

Gagnants de la mondialisation, les oligopoles mondiaux en sont aussi des acteurs majeurs ; ils disposent en effet d’une puissance financière et d’influence considérable qui leur permet de faire valoir leurs intérêts dans le façonnage du monde à venir.

Gagnants : « la super classe mondiale »

La mondialisation a généré une classe de « transnationaux » (Huntington) : plus liés les uns aux autres par delà les frontières que reliés à leur peuple d’origine.

La part du revenu et du patrimoine, gagnée ou détenue, par les 1% des plus riches a fortement augmenté, au cours des vingt dernières années aux États-Unis, au Royaume Uni et au Canada mais aussi en France et dans l’ensemble des pays développés.
La situation de ces plus riches s’est d’autant plus améliorée que l’immigration leur a fourni une main-d’œuvre à bon marché pour les servir dans leurs tâches domestiques.

Les grandes capitales mondiales, New York et Londres (et à un moindre degré Paris) présentent, à cet égard, un spectacle étonnant : la juxtaposition d’une classe d’hyper-riches servis par une classe d’hyper-pauvres, se livrant à de tous petits boulots.

Voir : Essor de la superclasse mondial et crise des classes moyennes par Gérard Dussouy :
http://www.polemia.com/article.php?id=2278

Gagnants : les pays émergents

En termes de développement économique et de création d’emplois et de richesses, les pays émergents font incontestablement partie des gagnants de la mondialisation ; leur puissance s’est aussi renforcée : à travers leurs entreprises et leurs fonds souverains, l’Inde et la Chine ont pris le contrôle de nombreuses entreprises du nord et d’innombrables ressources stratégiques du sud. De ce point de vue là, il est permis de parler d’ « d’asianisation » du monde.

Les perdants : les pays anciennement développés

Le fondement du libre échange repose sur la théorie des avantages comparatifs du Ricardo. Dans la formulation initiale de la théorie, l’Angleterre du XIXème siècle avait intérêt à se spécialiser dans la fabrication des draps et le Portugal dans la production de vins.

Un modèle simple qui ne s’applique guère à la mondialisation du XXe siècle : car certains pays n’ont plus d’avantages comparatifs !  D'abord parce qu'il ne s'agit plus d'un jeu à deux mais d'un jeu réunissant un très grand nombre de partenaires ; et surtout parce qu'une des conditions du modèle ricardien - l'immobilité des facteurs de production au niveau international - n'est plus remplie.

Aussi à la suite de Samuelson, Gérard Dussouy observe que « les délocalisations high tech privent les pays développés de tout avantage comparatif » (p. 86). Et de citer, un auteur bien connu des lecteurs de Polémia, Paul Craig Roberts, pour qui « si le capital et la technologie migrent là où le travail est le moins cher, il n’y a plus d’avantages comparatifs ».

Perdants : les classes moyennes et populaires des pays développés

Or c’est très exactement ce qui se passe dans le cadre d’une double délocalisation :

- délocalisation de la production de nombreux biens industriels (la Chine : usine du monde) et des services (l’Inde : paradis de l’informatique) et même des centres de recherches (transferts massifs de technologies –automobile, aéronautique, nucléaire) dans le cadre de grands contrats ;

- « délocalisation à domicile » des services aux personnes, du bâtiment, des travaux publics et de la restauration par le biais d’une immigration de masse ;

Ces deux phénomènes sont lourds de conséquence pour les classes moyennes et populaires des pays développés :

- le nombre des emplois qui leurs sont offerts diminuent et la destruction des sites économiques s’accompagne souvent de la disparition des cultures sociales et locales enracinées ;

- leurs salaires subissent la pression à la baisse de la concurrence d’une main-d’œuvre abondante, voire infinie, celle des pays émergents et des pays pourvoyeurs d’émigration.

Perdants : agriculteurs du nord et consommateurs du sud


Le cycle de Doha sur la libéralisation des marchés agricoles n’est pas achevé. Mais la libéralisation en cours des marchés agricoles ne fera pas que des gagnants ; il y aura aussi des perdants !

Certes, certaines grandes exploitations agricoles du Brésil et d’Argentine verront croître leurs profits ; certes, les grands fonds d’investissement chinois ou coréen notamment, s’implanteront en Afrique ; certes, les fonds spéculatifs trouveront un nouveau terrain de jeu et de profits.

Mais dans le même temps les agriculteurs du nord qui verront disparaître des subventions nécessaires à leur équilibre économique et utile à l’indépendance stratégique de leur pays y perdront. De même, les consommateurs du sud, là où leur pays n’est pas en situation d’autosuffisance, seront les premières victimes des tensions sur les marchés.

On oublie trop souvent que la production agricole est soumise aux aléas climatiques et que la régulation est doublement protectrice : des producteurs d’une part contre les risques de surproduction, des consommateurs d’autre part contre les dangers de la pénurie.

Là aussi, la mondialisation à tendance à oublier une sagesse millénaire.

Les périls de la « société mondiale »

La crise financière a souligné l’un des dangers de la mondialisation : la répercussion et l’amplification des crises d’un endroit à l’autre du monde.

Mais ce n’est qu’une explication concrète de la faille majeure de la mondialisation, l’impossibilité d’une gouvernance mondiale. Gérard Dussouy souligne à juste titre que « l’humanité n’est pas et ne peut pas être un acteur ». Et de citer (p. 175) un auteur pourtant favorable aux idées transnationales mais pour lequel : « Considérer comme unité de base la société humaine vue comme un groupe indifférencié de 6 milliards d’individus n’est guère pertinent pour comprendre la réalité internationale. »

Une interdépendance de plus en plus coercitive et dangereuse

En fait, la mondialisation impose une interdépendance de plus en plus « coercitive ». Et celle-ci entre en conflit avec le désir des Etats (et des peuples) de maintenir leur indépendance économique, leur autonomie et leur souveraineté. C’est là le talon d’Achille politique de la mondialisation.

Mais il y a un autre péril : la constitution croissante d’une classe de travailleurs composée de façon disproportionnée de travailleurs non blancs fait émerger à terme le risque d’une « lutte des classes racialisée », voire d’une lutte des classes d’âge racialisée.

Et Gérard Dussouy de citer les conclusions du politologue Robert Putnam:

- « Plus la diversité raciale grandit, plus la confiance entre les individus s’affaiblit ;
- dans les communautés, non seulement la confiance interraciale est plus faible qu’ailleurs mais la confiance intra raciale l’est aussi ;
- la diversité conduit à l’anémie et à l’isolement social. » (p. 93).

L’autre face de la diversité :
http://www.polemia.com/article.php?id=1568

La société mondiale ? Une hypothèse hasardeuse !

L’immense mérite du traité de Gérard Dussouy est de présenter un panorama aussi complet que possible des théories de la mondialité : ce panorama montre à quel point le fossé est profond entre :

- d’une part, la vulgate dominante imposée par les médias qui veut faire de la mondialisation une prophétie auto-réalisatrice,

- d’autre part, de nombreux économistes, politologues, sociologues qui en partant des faits montrent à quel point la réalisation d’une « société mondiale » est une hypothèse hasardeuse.

Les théories de la mondialité : Un livre à lire d’urgence !

Jean-Yves Le Gallou
08/09/2009

Polémia
09/09/08

Image : Les théories de la mondialité : Traité de Relations internationales, Tome 3

Gérard Dussouy, Les théories de la mondialité : Traité de Relations internationales, Tome 3, : L'Harmattan, 2009), 313 p.



 

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