L’animal est-il une personne ?

vendredi 19 juin 2009

L’animal est-il une personne ? Non, ont longtemps cru les scientifiques de laboratoires utilisant l’animal comme du simple matériel biologique.

Les sachants, les philosophes et M. Toulemonde

L’animal est-il une personne ? Non, ont bien souvent répondu les « sachants », ironisant sur l’opinion commune de M. Toulemonde trouvant des sentiments chez son chien, son cheval ou son canari ; et cédant souvent au risque d’interprétation anthropomorphique de l’animal.

L’animal est il une personne ? Non, ont toujours pensé les philosophes, de Descartes à Heidegger, opposant les concepts abstraits « d’homme » et « d’humanité » à celui « d’animalité ». « Animalité » allant pour eux de l’huître au chimpanzé, regroupement contraire à toute logique d’observation des faits !

L’animal est il une personne ? Pour le biologiste Yves Christen la question se pose vraiment et la réponse pourrait bien être : oui !

Des êtres doués de raison et d’émotion

Contrairement au mythe de l’animalité conçue comme absence, les animaux sont des êtres doués de raison, de vie sociale, d’émotion, de langage, de théorie de l’esprit (la capacité de se mettre à la place d’un autre), de conscience, de culture et même de morale. C’est en tout cas ce que révèlent de très nombreuses observations scientifiques en éthologie (science du comportement animal), génétique, psychologie, primatologie, neurosciences). Et ce, pour des espèces très variées : les grands singes bien sûr, mais aussi les fauves, les éléphants, les mammifères marins, mais aussi les oiseaux, voire les poissons. Yves Christen évoque même l’hypothèse d’une zoo-histoire et d’une histoire animale, même s’il est plus difficile de le suivre sur ce point que sur d’autres.

L’animal comme l’homme, fruit de l’évolution

Dans « L’animal est il une personne », Yves Christen bouscule bien des préjugés, moins ceux d’ailleurs de l’homme de la rue que ceux des philosophes et des scientifiques s’écartant de la réalité des faits. Yves Christen souligne ici un paradoxe : commémorer Darwin d’un côté, refuser l’unité du vivant de l’autre, c’est intellectuellement incohérent. Pour l’auteur, que l’animal soit une personne « traduit le fait que tous les vivants, humains compris, sont le fruit de l’évolution des espèces par le moyen de la sélection naturelle et le jeu des mutations. Il n’y a pas une évolution pour les bêtes et les végétaux, et une autre pour les hommes. Nous résultons de l’action de processus similaires ». (p. 360). En clair c’est la pression de son environnement qui a rendu nécessaire à l’homme le langage et la coopération avec les autres. Mais le même type de pression a existé dans le règne animal.

La culture produit de la nature

Au passage Yves Christen (qui décidément est un critique sévère des philosophes !) fustige Luc Ferry qui « sépare le monde de la culture de celui de la nature ». Yves Christen qui répugne aux affirmations coupées de l’observation, commente ainsi le propos : « Exactement comme s’il agissait de deux entités. Comme si on pouvait situer dans deux univers différents le cerveau et l’esprit. La réalité est bien entendu que l’un produit l’autre ; le cerveau secrète l’esprit, et la nature crée la culture. » (p. 361). « Et, oui la culture est une production biologique. » conclue Yves Christen.

On peut partager ou non tout ou partie des démonstrations et des conclusions d’Yves Christen. Mais on ne peut que recommander la lecture et (pourquoi pas pour les vacances ?) de « L’animal est il une personne ? ».

« L’homme à qui parlaient les léopards et les bonobos ».

D’abord parce que c’est un essai profond sur la nature de l’homme et de l’animal qui pose de vraies questions philosophiques et scientifiques. Mais toujours sur la base d’observations expérimentales. Ensuite parce que c’est un livre agréable à lire, bien écrit, et appuyant ses démonstrations sur la narration de faits divertissants.

Chercheur, directeur d’une grande fondation scientifique, l’auteur n’oublie pas qu’il a aussi été journaliste scientifique : il sait rendre clair ce qui est compliqué.
Son livre s’inscrit d’ailleurs dans la lignée de deux des grands fondateurs de l’éthologie : Konrad Lorenz et Irenäus Eibl-Eibesfeldt.

A côté de ses opus scientifiques, Konrad Lorenz avait écrit un ouvrage plus léger : «Il parlait aux mammifères, aux oiseaux et aux poissons »». A lire certains passages de la narration d’Yves Christen on se dit qu’il aurait pu appeler son ouvrage : « L’homme à qui parlaient les léopards et les bonobos ». Car l’homme de science toujours exigeant sur les conditions d’une expérimentation sait aussi laisser s’exprimer sa sensibilité. Et évoque comme des amis, ces animaux qu’il a croisés. Un très beau livre où la rigueur scientifique pour l’objet de l’étude s’accompagne d’une profonde empathie pour les sujets - pardon les personnes - étudiées.

Andréa Massari


Yves Christen, L’animal est-il une personne ?, Flammarion 2009, 537p.
http://www.amazon.fr/Lanimal-est-il-personne-Yves-Christen/dp/2081224879/ref=sr_1_1?ie=UTF8&s=books&qid=1245082043&sr=1-1


Correspondance Polémia
19/06/2009
 

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