La Nouvelle Europe :Paris-Berlin-Moscou/Le continent européen face au choc des civilisations par Marc Rousset

vendredi 19 juin 2009

Marc Rousset, économiste mais aussi et surtout dirigeant de grandes entreprises (Aventis, Carrefour, Veolia) vient de publier cette nouvelle somme. - il s’agit bien de cela - qui s’inscrit dans sa réflexion sur le destin de l’Europe, après La nouvelle Europe de Charlemagne aux éditions Economiqua en 1995 (348p) et Les Euro-Ricains aux éditions Godefroy de Bouillon en 2001, (494p).

Et si nos dirigeants se fourvoyaient complètement en politique étrangère, sur les alliances et les groupements d’intérêts ? Si au lieu de se prosterner devant les Etats-Unis d’Amérique, ils se tournaient vers la Russie, qui fait partie du continent ? C’est, la question à laquelle répond Marc Rousset, avec beaucoup de finesse, de profondeur, d’analyses précises mais aussi des anecdotes, des citations et des références historiques nombreuses.

Son ouvrage s’articule autour de plusieurs grands thèmes :
– l’alliance Europe carolingienne-Russie, les défis lancés à cette alliance par l’Angleterre et l’Amérique d’Obama
– l’implosion démographique ; l’immigration, l’islam et le terrorisme 
– les défis stratégiques en Asie Centrale notamment et dans le Caucase 
– la question linguistique en Europe, comme réponse au diktat de l’anglo-américain.

Ces thèmes convergent sur l’idée centrale que l’Europe, comme le prévoyait Paul Valéry, devient une annexe de l’Amérique, alors que ses intérêts politiques, culturels et économiques veulent qu’elle s’unisse à la Russie dans un vaste ensemble continental.

Pour Marc Rousset, l’Empire américain est non seulement un facteur de division de l‘Europe (lire notamment son chapitre consacré à la volonté d’impuissance et à la neutralisation par l’OTAN de l’Europe de la défense) mais aussi un véritable poison distillé subrepticement dans l’âme européenne,  puisque l’attitude des Etats-Unis vis à vis de l’Europe a toujours obéi aux mêmes principes : oui à une Europe du libre échange, non à l’émergence d’un concurrent ou d’un rival qui se doterait de moyens pour devenir un acteur international à part entière. L’auteur cite Volkoff, qui demandait à un diplomate américain si les États-Unis voulaient que l’Europe se fasse ou qu’elle ne se fasse pas et dont la réponse était claire : « nous voulons qu’elle se fasse, mais qu’elle se fasse mal… »

Surtout, l’Empire américain, agresseur rampant de la Russie, poursuit un objectif stratégique limpide : séparer le prometteur voisin russe de l’Europe de l’Ouest qu’il est ainsi beaucoup plus aisé de tenir sous contrôle selon la formule impériale « divide ut regnes », comme le rappelle Marc Rousset,

Pour l’auteur, la seule voie, conforme à notre histoire, notre culture, nos mœurs, malgré les incontestables différences, mais aussi notre économie, notre défense est celle d’un axe Paris-Berlin–Moscou, seule politique possible pour que l’Europe se fasse bien.

À cela, une raison d’abord morale :

Marc Rousset pense que c’est la Russie qui montre la vraie voie à l’Europe, dans la mesure où elle est un des derniers Etats européens dont le peuple ne se déteste pas lui-même, qui a encore de l’amour-propre et un idéal de grandeur patriotique. C’est, écrit-il, la  Russie qui réveillera l’Europe et fera échouer le protectorat américain sur une Europe divisée, soumise, anesthésiée, subjuguée et trompée par la propagande anglo-saxonne.

Il rappelle aussi que la Russie est européenne par le centre de gravité de sa population à l’ouest de l’Oural et que l’ethnie russe est fondamentalement blanche et chrétienne.

A cette impérieuse raison morale, l’auteur ajoute des motivations d’ordre économique, (gaz, pétrole, autres minerais et matières premières) et militaires, car l’auteur ne croit guère à la volonté des Etats-Unis d’intervenir militairement (et surtout avec l’arme nucléaire) pour défendre l’Europe, ainsi que des raisons démographiques pour contrer les effets d’une immigration non européenne grandissante.

Une note d’optimisme traverse l’ouvrage : la suprématie actuelle des Etats-Unis et de leur éthique marchande et métissante est un phénomène temporaire, du fait peut-être de sa composante multi-ethnique.

À long terme, Marc Rousset considère que la fusion de l’Europe avec le continent eurasien, dont elle fait partie, promet d’avantage que toutes les « communautés de valeurs atlantiques » : dans ce but, il estime nécessaire d’ancrer la Russie dans la grande Europe et de mettre en place une alliance continentale paneuropéenne, faisant contrepoids tant à l’Amérique qu’à l’Empire du milieu.

C’est un bel ouvrage, très documenté, soigneusement écrit. La thèse est à priori séduisante, mais elle suscite réflexion,voire hésitation, non pas sur le fait que nous n’avons rien de bon à attendre des Etats-Unis, qui nous sont chaque jour de plus en plus étrangers et dont les intérêts s’opposent de plus en plus clairement aux nôtres, non plus sur celui que la Russie n’est plus  l’ex-Union soviétique, mais sur le fait que la Fédération de la Russie catholique orthodoxe, profondémént ancrée dans son identité historique, représente un allié que nous devrions encourager et estimer et avec qui nous pouvons tisser de nombreux liens politiques et économiques.

Mais pourquoi donc vouloir changer de maître ? Les Européens ne sont-ils pas assez nombreux, assez puissants économiquement pour assurer à leurs nations la sécurité, la prospérité et la liberté qu’ils souhaitent ? Une Europe de nations indépendantes et souveraines, liées entre elles par des alliances militaires, des accords économiques ou de coopération scientifique  et culturels ne serait-elle pas de nature à créer une véritable puissance, indépendante des États-Unis comme de la Fédération de Russie, ou de l’Empire Chinois ?

C’est en pensant à cette Europe des nations que je n’ai pas commenté la dernière partie de l’ouvrage de Marc Rousset, dont je me plais à redire la grande qualité : il y défend l’idée d’une langue commune qui ne soit pas celle des américains, qui serait par exemple l’esperanto. A l’heure ou notre identité est menacée de toutes parts et notamment dans sa culture et au premier chef dans sa langue, un langage unique serait à coup sûr, même s’il ne s’agirait que d’une seconde langue utilitaire, un moyen radical pour tuer ce qui reste de l’âme des peuples européens. L’Europe des nations peut exister dans le respect des identités de chacun des pays qui y adhérent.
Mais, sur les questions stratégiques des alliances et sur le vrai visage des Etats-Unis d’aujourd’hui, Marc Rousset pose LA bonne question.

Pierre Millan
05/06/2009

Correspondance Polémia
17/06/2009


Marc Rousset, diplômé H.E.C, Docteur ès Sciences Economiques, MBA Columbia University, AMP Harvard Business School, a occupé pendant 20 ans des fonctions de Directeur Général dans les groupes Aventis, Carrefour et Veolia. Il est l’auteur de Pour le Renouveau de l’Entreprise (préface de Raymond Barre, aux Editions Albatros, 1987), de la Nouvelle Europe de Charlemagne (préface d Alain Peyrefitte, aux Editions Economica, 1995, Prix de l Académie des Sciences Morales et Politiques) et des Euro-Ricains (préface d Yvon Gattaz de l'Institut aux Editions Godefroy de Bouillon, 2001)

Marc Rousset, La Nouvelle Europe :Paris-Berlin-Moscou/Le continent européen face au choc des civilisations, éditions Godefroy de Bouillon 2001, 540p.


 

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