Questions sociales:analyses anglo-saxonnes / Socialement incorrect ? Par Julien Damon

jeudi 7 mai 2009

Cet ouvrage de Julien Damon, docteur en sociologie, professeur à l’Institut d’Etudes Politiques, ancien chef de service des questions sociales au Centre d’analyses stratégiques, est une synthèse de trente livres d'économistes ou d’universitaires anglo-saxons (ou localisés aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne), qui débattent de questions sociales et proposent des solutions parfois surprenantes.

Ouvrage très original, véritable mine de renseignements, d'analyses et de comparaisons des politiques sociales anglo-américaines, qui constituent autant d’interrogations sur les pratiques suivies en  France et dans d'autres pays européens, au regard des objectifs et de l'efficacité des instruments mis en oeuvre.

La méthode retenue par l'auteur est de recenser, dans des publications introuvables en France où elles n’ont pas été publiées, des opinions ou des propositions originales sur les politiques sociales, regroupées en dix questions de société et de les discuter à son tour.

La première de celles-ci porte sur le modèle social :

Julien Damon pose la question de savoir s'il faut accompagner le déclin  économique en Europe ou démanteler le modèle. Il cite des économistes exerçant aux Etats-Unis pour lesquels ce déclin est quasiment inexorable : les Européens travaillent moins que le reste du monde, leurs nations sont confrontées à des problèmes croissants d'immigration, les universités traversent une crise à laquelle ne saurait remédier l'injection de dépenses publiques supplémentaires, la place de l'Etat est inadaptée.

Pour s'en sortir, l'auteur s'appuie sur les analyses qui démontrent qu'il n'y a qu'une seule solution, le libéralisme et l'incitation individuelle.

La deuxième question porte sur la protection sociale:


Faut-il assister les défavorisés ou responsabiliser la société ? Bien entendu, poser la question est y répondre, aussi l'auteur rassemble des critiques indirectes des systèmes d'assistance français ou d'autres pays d'Europe. Il condense des analyses d'auteurs anglais ou américains lesquels démontrent qu'il est inutile de lutter intellectuellement contre la nature et l'origine des inégalités, mais qu'il faut au contraire se concentrer sur leurs effets pour permettre l'autonomie, l'indépendance et la responsabilité des individus. Dans cet esprit, la lutte contre la pauvreté ne doit pas emprunter les circuits de l'assistance classique, mais au contraire contraindre, en quelque sorte, à la responsabilisation : trois exemples « chocs » illustrent cette idée :

– donner à tout citoyen qui atteint 21ans, sans aucune condition de ressources, une allocation de 80.000 dollars dont il ferait exactement ce qu'il veut, considérant que sa réussite ou son échec serait de sa seule responsabilité, sans recours possible à l'assistanat. La somme serait remboursée en fin de vie.
– Créer un revenu universel, qui remplacerait toutes les politiques sociales, l'individu qui gaspillerait ce pécule n'aurait aucun recours public
– Remplacer tous les systèmes de sécurité sociale par un chèque santé annuel, dont le montant serait calculé sur ce qu'il est vraiment possible à l’Etat de dépenser (donc plus de déficit) ; ce chèque pourrait, mais sans aucune obligation, permettre a son bénéficiaire de souscrire une assurance privée.

Autre question, qui concerne les politiques familiales, que l'auteur formule ainsi : faut-il augmenter les prestations ou réhabiliter le mariage?

Selon les auteurs cités, l'expression « politique familiale » désigne un ensemble de transferts socio fiscaux : pour accompagner ou contrecarrer les tendances sociodémographiques affectant la famille (baisse de la natalité, mutation de la conjugalité) différentes options se présentent.

Si, dans l'ensemble, les auteurs qu'il cite se rejoignent sur l'idée qu'aider les familles en difficulté est légitime, comme l'est aussi la volonté de faire progresser la fécondité, les options divergent foncièrement quant aux formes et étendue de telles interventions.

Certains considèrent que donner plus d'argent aux familles n'aiderait pas vraiment les enfants et qu'il est préférable de développer les équipements, comme les crèches, et les services non monétaires. D'autres estiment que le mariage est une institution éternelle, essentielle pour la stabilité de la société : pour eux, soutenir le mariage, c'est permettre d'affermir la famille, seul véritable rempart contre les déviances et les dérives de la société...

Notamment, les politiques actuellement en place font des familles de la classe moyenne des oubliés.

À noter de très intéressantes statistiques sur la relation entre la destruction du mariage et la pauvreté.

Les autres thèmes concernent l'enfance, « l'exclusion », les sans-abri, la discrimination raciale, tous traités selon la même approche : une question est posée et les articles de différents auteurs y apportent une réponse possible.

J'ai retenu ceux de « l'exclusion », de l'insécurité et de la discrimination raciale.

Sur ce qui est devenu convenable d'appeler  « l'exclusion », l'auteur demande s'il faut se concentrer sur les pauvres ou aider tout le monde :

Il rappelle que ce vocable recouvre des notions distinctes selon les pays concernés : en Angleterre comme en France, « l’exclusion sociale » est devenue l'aune à laquelle sont appréciées les questions de pauvreté, d'emploi, d'inégalité, d'intégration, de relégation urbaine ou de citoyenneté. Aux Etats-Unis, le thème recouvre les ghettos urbains et leurs habitants.

Les réponses ne nient pas le rôle de l'Etat providence, mais s'interrogent sur les modalités de l'action : faut-il des interventions ciblées sur les « exclus » ou des politiques universelles, sans distinguer dans les bénéficiaires de l'aide publique. Ainsi, certains auteurs refusent de différencier l'exclusion sociale des autres problèmes sociaux et, plus concrètement, de cibler singulièrement les pauvres.

À noter un encart instructif sur « la fatigue de la compassion »...

Sur le thème de l'insécurité, Julien Damon pose une question aux antipodes du politiquement conforme : faut-il établir une police de proximité ou armer les citoyens?

Aprés avoir rappelé que l'insécurité et l'incivilité se sont invitées à la première place du débat public (avant la crise) en France, il indique en comparaison, que la criminalité et la délinquance ont considérablement décru aux Etats-Unis, en particulier dans les grandes villes.

Il cite certains auteurs américains pour qui cette baisse de l'insécurité tient à la réussite de la police de proximité et d'autres qui soutiennent que, pour répondre à la criminalité violente, il faut cesser de vouloir contrôler les armes à feu. Pour ceux-là, plus les civils sont armés, moins le nombre de crimes est élevé : empêcher les citoyens respectueux de la loi de porter des armes à feu ne met pas fin à la violence, mais, au contraire, rend les victimes plus vulnérables aux agressions meurtrières. La libéralisation de l'acquisition, de la détention et du port d'armes constitue la méthode la plus rationnelle pour combattre la criminalité.

À noter un tableau « explosif » sur le nombre comparé de crimes et délits, par 100.000 habitants entre les Etats américains autorisant le port d'armes de poing et les autres Etats.

Enfin, pour traiter le dossier de la discrimination raciale, l'auteur pose la question : intégrer universellement ou discriminer positivement ?

Ces questions comptent aujourd'hui parmi les plus épineux thèmes de la politique et de la vie quotidienne, tant aux Etats-Unis qu'en Europe. J. Damon indique qu'en matière de différences et de discrimination sociales, se pose d'abord un problème d'évaluation et que c’est sur la redoutable question des écarts constatés entre les résultats aux tests d'intelligence et de compétence des noirs et des blancs qu'il faut jeter un regard dépassionné.

Pour les auteurs cités sur ce thème, de tels écarts existent de fait et leur réduction passe par l'adoption de démarches expérimentales sérieuses et le test honnête des innovations qui   marchent ».

Certains autres  préconisent la déracialisation de la discrimination dite positive, laquelle, selon eux, ne profite qu'à la couche supérieure du groupe défavorisé ciblé. D'autres encore prônent l'instauration d'un Etat providence universel, dont le fonctionnement reposerait sur des critères sociaux et non pas raciaux pour tenter de ressouder une nation fissurée par les traitements préférentiels fondés sur la race.

À noter des études piquantes sur la façon dont les chauffeurs de taxi, à New York comme à Belfast, choisissent leurs clients.

En résumé, ce livre donne accès à des auteurs majeurs de l'expertise anglo-saxonne actuelle, dont la plupart ne seront jamais traduits en France. Cela est d'autant plus dommage et le livre de J.Damon en est d'autant plus utile, que ces auteurs, directement ou en formulant d'autres propositions, portent sur nos politiques sociales un regard résolument néo-libéral.

Toutefois, même si nombre de solutions proposées sont atypiques, voire parfois loin du « politiquement conforme » dont nous sommes gavés, les questions fondamentales des effets de la migration extraordinaire et générale que nous connaissons en direction de nos pays développés  sur les populations de souche semblent contournées, comme si l'intrusion massive que nous connaissons n'était ni négociable, ni réversible.

Pierre Millan
Avril 2009

Polémia

Julien Damon, « Questions sociales : analyses anglo-saxonnes / Socialement incorrect ? P.U.F.collection major, mars 2009, 256p.

 

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