Le monde après le G20.

jeudi 23 avril 2009

Rien n’a changé, sauf pour le FMI qui voit tripler ses ressources, mais nullement ses méthodes et procédures (1). Pour le reste du monde, la problématique reste entière.

En effet, à la suite de l’effondrement de 2008, le souhait le plus ardent, tant au niveau des individus que des responsables, est que tout redevienne comme avant, et le plus vite possible. Et sans rien changer. C’est humain. D’où la solution, simple comme le bonjour, consistant à inonder le marché de liquidités. Au risque de le noyer et de déclencher, avec ou sans reprise, une véritable « tornade » inflationniste (2) ;

1° Sur le plan international, le face-à-face sino-américain reste immuable, comme figé. Il ne peut en aller autrement. Il ne sera pas commode de s’en sortir sans de redoutables dégâts. C’est que le dispositif innocemment mis en place pendant la période Clinton/Bush était terriblement pervers car générateur de redoutables déséquilibres commerciaux et financiers.

Il permettait à la Chine d’inonder le marché américain de ses exportations à bas prix (pour le plus grand bonheur du consommateur) et d’obtenir ainsi une croissance rapide à des taux de 8 à 10% l’an. Au surplus, ce pays pouvait accumuler d’énormes réserves en bons du Trésor américain (2000 milliards de dollars).

Les Etats-Unis, de leur côté, accumulaient de gigantesques déficits commerciaux (réputés éternels et excellents pour la santé du monde, selon l’évangile des « gourous » de l’époque). L’Amérique de ce fait subissait quand même un lourd handicap de croissance (moins d’exportations et d’investissements). Ce handicap était néanmoins compensé par une progression ininterrompue de la consommation financée par un gonflement des crédits en tout genre (rappelons que PNB=Co+In+Ex).

C’était beau comme l’antique. Mais le système est aujourd’hui bloqué. Si l’Amérique réduit ou élimine son déficit commercial, c’est l’excédent chinois qui se contracte et la croissance de ce pays qui se ralentit. Si la Chine réduit ses achats de bons du Trésor américain ou fait mine de vendre ses dollars, le dollar chute et les taux d’intérêt grimpent. Si bien que la Chine voit ses réserves fondre comme neige au soleil. C’est le syndrome de Don Juan et de son tailleur. Apparemment, l’Amérique d’Obama et la Chine de Wen Jiabao ont choisi de continuer comme si de rien n’était. C’est la fuite en avant (3). Mais pour combien de temps ?

2° Pour ce qui concerne l’économie américaine, les choses ne se présentent guère mieux. Deux excellents économistes américains, Paul Krugman et Joseph Stiglitz (prix Nobel bien sûr), après avoir chanté en chœur les louanges du candidat Obama pendant la campagne, s’époumonent aujourd’hui à dénoncer ce que l’un d’entre eux qualifie « d’ersatz de capitalisme ». Ce qui en dit long sur la confiance qu’ils accordent à Timothy Geithner, le Secrétaire d’Etat au Trésor.

Là encore, le problème est d’une simplicité biblique : le bilan des banques américaines, après des décennies de « capitalisme » délirant, est largement gangrené de créances douteuses ou irrécouvrables et leurs fonds propres sont insuffisants ou inexistants. Le mécanisme imaginé par M. Geithner, qui croit encore fermement aux vertus du marché, est d’allécher les investisseurs privés en mettant en place un mécanisme fort complexe de rachats conjoints aux enchères des créances bancaires douteuses assortis de généreux crédits ou de garanties offerts par l’Etat ou le Federal Reserve (4).

Ce qui revient, selon la formule de Stiglitz à « privatiser les gains et à socialiser les pertes » Et cela au prix de déficits fédéraux potentiels proprement abyssaux (5). Car, en fin de compte, c’est le contribuable américain, et derrière lui, l’endettement public, donc la Chine, qui vont payer l’addition. L’Amérique risque de se noyer dans un océan de dettes. En tout cas, la voilà bien partie pour s’endetter pour 100 ans (6).

3° Le grain de sable qui risque d’enrayer ce mécanisme ingénieux réside dans les réactions de l’opinion publique de part et d’autre de l’Atlantique et serait-on tenté de dire, du Pacifique (Chine). Combien de temps le public américain, pourtant remarquablement endurant, va-t-il continuer à faire confiance au « magicien » Obama à raison de 600 000 chômeurs supplémentaires par mois (7) ?

En Europe, les choses risquent d’aller beaucoup plus vite et l’opinion, peu tolérante, risque fort de se cabrer devant le prolongement et l’aggravation de la crise (8).

Dès lors, le dos au mur, les gouvernants ne vont-ils pas être tentés de céder aux sirènes du protectionnisme ouvert ou camouflé, de la planche à billet, et donc de l’inflation, nonobstant les prescriptions européennes ? A l’heure du péril, ce sera sans doute chacun pour soi et le fragile barrage de papier de la construction européenne risque de ne pas résister longtemps à la bourrasque qui s’annonce.

En fait, ce que les uns et les autres, particuliers comme responsables, ne semblent pas avoir compris est que le monde a profondément changé et les règles qui le régissent aussi (9). Rien n’est encore réglé.

Yves-Marie Laulan
06/04/09
Président,
Institut de Géopolitique des Populations

Correspondance Polémia


Notes :

(1) Pour changer cela, il faudrait renouveler le staff habitué depuis des décennies à agir conformément à la doctrine traditionnelle du Fonds. Ces comportements ne sont pas aisément modifiables.

(2) J’avais déjà évoqué ce danger au cours du colloque de l’IGP de mai 2008. Il est frappant de voir se multiplier dans la presse américaine les avertissements sur ce même thème.

(3) « Pourvou que ça dure » disait Laetitia Buonaparte en son temps.

(4) L’International Herald Tribune parle de 10 000 milliards d’engagements potentiels de l’Etat américain sous diverses formes.

(5) Rappelons que le déficit fédéral américain, -1750 milliards de dollars pour un budget de 3 552 milliards- représente 13 % du PNB. Et les années suivantes ne s’annoncent guère mieux.

(6) Les Etats-Unis seront bien incapables de rembourser leurs dettes avant bien longtemps. C’est la raison pour laquelle ils se cramponnent au dollar, monnaie de réserve mais aussi source de financement.

(7) Obama, séduisant et sympathique, ne comprends manifestement pas grand chose à ce qui se passe chez lui. Mais il n’est pas le seul. L’Amérique risque fort de sortir d’un chômage à deux chiffres pour déboucher sur une inflation à deux chiffres.

(8) Il ne faut nullement exclure des réactions imprévisibles et d’une brutalité inouïe. Les institutions résisteront –elles à un « coup de chien »  d’une grande ampleur ?

(9) On peut se demander si nous n’assistons à la première phase d’une crise dans la crise, l’une s’emboitant dans l’autre, comme une poupée russe (voir les Actes du colloque de l’IGP du 29 mai « inflation et croissance au XXI° siècle ».)


Annexe
Alors que faire ?

Les diverses mesures adoptées aux Etats-Unis ont toutes les chances :

A) de ne pas relancer l’économie

B) de déclencher une inflation d’une violence extrême.
Que pourrait-on faire pour prévenir un tel cataclysme,
En fait, les options sont réduites. Mais, à situation d’exception, mesures d’exception, heureusement provisoires, du moins peut-on l’espérer. Il faut instaurer une économie de commandement, comme en temps de guerre. :
– nationaliser toutes les banques de quelque importance. Mais où trouver les hommes pour les faire fonctionner ?
– bloquer arbitrairement la valeur des créances bancaires douteuses à leur niveau d’avant la crise, quitte à les amortir petit à petit au fil des ans avec le retour à la normale
– instituer une fiscalité punitive visant à :

a) à réduire les grossières inégalités de la période Clinton/Bush
b) gonfler les rentrées fiscales ;
c) confisquer les gains illégitimes engrangés par banquiers et financiers pendant cette période euphorique.

– amortir les crédits hypothécaires (« subprimes » et autres crédits douteux sur une très longue période (20, 30 ou même 50 ans) ou les transformer en viager ou en titres de location vente
– instituer sur le modèle français un système de RMI en faveur des plus démunis.


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