ENA , on déclasse

mercredi 1 avril 2009

Les médias ont salué avec une relative discrétion la fin du classement de sortie de l’ENA, présentée cependant comme une réforme positive.
On reste  à vrai dire stupéfait du silence assourdissant qui accompagne ce nouvel avatar de la mise à mort programmée de cette école, coupable aux yeux de certains d’incarner l’Etat français.

Les médias ont la mémoire courte. Ils ont oublié que l’ENA a justement été créée à la Libération pour unifier le recrutement de la haute fonction publique et en particulier pour mettre un terme aux recrutements « dynastiques » propres à chaque ministère. Il s’agissait aussi de former dans un moule commun les futurs cadres de l’Etat renaissant et de favoriser par un recrutement unifié, interne et externe, le brassage social, la répartition des postes se faisant au mérite sur la base du classement de sortie.

Bien entendu aucune école, aussi prestigieuse soit-elle, ne saurait mettre un terme à la « reproduction sociale » et l’ENA ne faisait pas exception. Les concours et les classements ont toujours leurs limites.
Les enfants de conseillers d’Etat ou d’ambassadeurs avaient toutes leurs chances d’intégrer l’Ecole et d’en sortir bien classés. Cependant on ne peut passer sous silence que l’ENA a permis tout au long de son existence à de nombreux français qui n’habitaient pas tous dans le 7ème arrondissement de Paris, d’accéder à la haute fonction publique et d’y dérouler des carrières brillantes. Accessoirement les fonctionnaires issus l’ENA n’étaient pas attachés à leur première affectation, fruit du classement de sortie, comme les serfs à la glèbe.

Mais la suppression du classement de sortie en substituant à des règles de compétition, claires et toujours amendables entre tous les élèves, une procédure de sélection sur dossier et sur entretien de motivation, obéit à une toute autre logique que celle de la méritocratie républicaine.

Elle traduit d’abord l’admiration naïve des procédures de recrutement en usage dans le secteur privé, pour le plus grand profit des cabinets de « chasseurs de têtes » au demeurant, de plus en plus nombreux à graviter autour des ministères.

Elle témoigne surtout que la mode est désormais à la « discrimination positive » c'est-à-dire à l’ingénierie consistant à corriger arbitrairement les données de la vie et les résultats de la compétition en société au profit de certains.

Cela explique que les concours et tout ce qui en découle aient désormais mauvaise presse : en effet leur froide objectivité contredit cette volonté d’ingénierie sociale dont se targue désormais la nouvelle classe dirigeante. Cela explique aussi la multiplication des voies de formation et de recrutement parallèles en faveur de certaines catégories de « jeunes » dont le directeur de Science Po se fait le promoteur.

En frappant à la tête le système de recrutement de la fonction publique, la décision de suppression du classement de sortie de l’ENA annonce ce qui risque de se passer demain dans tous les systèmes de recrutements publics. Elle ouvre en effet la porte à toutes les discriminations sectaires, claniques ou familiales et constitue une nouvelle illustration de la dérive oligarchique de notre société.

Mais les enfants de Conseillers d’Etat ou de patrons du CAC 40 ne doivent  pas  s’inquiéter ! Ils continueront certainement d’avoir leur dossier examiné favorablement par la future commission de sélection.

Michel Geoffroy
31/03/09
Polémia
 

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