Edito, Chauprade : droit à l'intelligence, droit au doute, droit à l'engagement

vendredi 6 mars 2009

Le renvoi brutal d’Aymeric Chauprade du Collège interarmées de défense est grave.

Contrairement à ce que feint de croire l’administration militaire, Aymeric Chauprade n’est pas un officier supérieur d’active, tenu à un strict devoir de réserve. C’est un universitaire, c’est un chercheur, c’est un citoyen. A ces titres, sa liberté d’opinion et d’expression est non seulement respectable, mais elle doit être protégée. D’autant que le général Desportes, patron du Collège interarmées de défense, l’a reconnu : Aymeric Chauprade ne faisait jamais part de ses convictions dans ses cours : il les laissait à la porte d’entrée de l’Ecole militaire (1).
La chasse aux sorcières dont il a été victime est donc clairement un déni du droit à l’intelligence, un déni du droit au doute, un déni du droit à l’engagement.

Déni du droit à l’intelligence

Aymeric Chauprade a commencé sa carrière de géopoliticien par une thèse de doctorat obtenue, ce qui est exceptionnel, avec les félicitations de l’unanimité du jury. Sa pensée est complexe mais claire. C’est justement ce qui lui est reproché. Contrairement aux atlantistes et aux néoconservateurs, il ne réduit pas sa vision du monde à la lutte de « l’ axe du bien » contre « le terrorisme ».

Il dresse au contraire un panorama complet du « choc des civilisations » dans l’ouvrage qui lui a valu l’anathème d’Hervé Morin, ministre de la Défense. Dans Chronique (2), il décrit l’ « Islam versus Occident », mais sans oublier l’ « Amérique versus Europe » ni l’ « Amérique et [l’] Islam versus orthodoxie ». Les chroniques de Chauprade rendent intelligible la complexité du monde, au risque de rappeler des évidences qui déplaisent : l’expansion territoriale d’Israël depuis le 11 septembre 2001, le retour de la Turquie aux sources islamiques, la disparition programmée des chrétiens au Moyen-Orient. Chauprade montre aussi l’usage stratégique du Kosovo pour les Etats-Unis, les dessous de la guerre russo-géorgienne et il s’interroge sur l’hispanisation des Etats-Unis (3).

En bon géopoliticien, il dévoile les intérêts des grandes puissances et montre que ceux de la France et des Etats-Unis sont loin de se confondre : « L’intérêt de leur civilisation – l’Europe et non l’Occident américain – devrait pousser les Européens à réfléchir face aux trois grands défis qu’ils affrontent : le réveil violent de l’Islam, l’utopie mondialiste américaine, la volonté de revanche de l’Asie. Dans cette grande compétition, la Russie et l’Amérique latine offrent des alliances naturelles. »

Mais, pour servir l’Empire, la République n’a pas besoin de géopoliticiens : c’est précisément pour cette raison qu’Aymeric Chauprade a été renvoyé de l’Ecole de guerre.


Déni du droit au doute

Il y a évidemment dans les analyses de Chauprade des propos éloignés de la politique atlantiste du gouvernement. Ce qui avait d’ailleurs conduit Chauprade à exprimer, comme officier de marine de réserve, des critiques sur le Livre blanc de la Défense qui préparait le retour de la France dans l’OTAN. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’éviction d’Aymeric Chauprade de son poste de formateur des officiers était programmée, comme l’a reconnu Jean-Dominique Merchet, journaliste de Libération proche de l’état-major des armées.

Mais c’est Jean Guisnel, ancien fondateur du journal Libération devenu journaliste au Point, qui a fourni le prétexte à l’administration militaire : une lecture partiale d’un seul chapitre (sur 54 !) du dernier ouvrage de Chauprade, à savoir la présentation de la contestation de la version officielle des attentats du 11-Septembre. Contestation qui, selon Chauprade – qui ne la reprend pas à son compte – est l’opinion dominante d’une moitié de l’humanité. Accusé d’imprudence, Chauprade a fait front affirmant dans Le Choc du mois de février 2009 (http://www.lechocdumois.fr/) : « Je revendique le droit de douter. C’est là le fondement de la recherche scientifique. En histoire et en géographie, cela consiste à s’interroger sur la vérité de tel ou tel événement historique, de la confirmer, de la nuancer ou de l’infirmer si elle est inexacte dans sa formulation. C’est cela que l’on nous refuse. Car au-delà de mon cas, ce qui est remis en question, c’est le droit élémentaire de douter, de s’interroger. Je ne suis pas le seul. Beaucoup d’autres ont été frappés avant moi. Ce qui montre qu’il y a un resserrement des libertés dans notre pays. »

Allons plus loin.

Les thèses alternatives sur le 11 septembre 2001 sont hypothétiques et en partie contradictoires les unes avec les autres. Pour autant, la thèse officielle ne va pas sans soulever de multiples interrogations : au moins sur l’effondrement de la troisième tour (non touchée par les avions), sur les images du crash sur le Pentagone et sur l’absence de réaction de la sécurité aérienne. A moins d’admettre que c’est la chasse américaine qui a abattu l’avion qui s’est écrasé dans le Massachusetts (mais alors c’est contraire à la thèse officielle). Le doute est d’autant plus légitime qu’il a pu arriver par le passé au gouvernement des Etats-Unis de mentir : sur les prétendues armes de destruction massive en Irak ou sur le prétendu massacre serbe de Rajac au Kosovo, par exemple, massacre qui a servi à légitimer les bombardements de l’OTAN.
(http://www.polemia.com/article.php?id=1866)

Surtout, une thèse officielle, quelle qu’elle soit, ne peut épistémologiquement être considérée comme vraie que s’il est possible de librement la confronter à d’autres thèses ou hypothèses. Allons plus loin : absolutiser la thèse officielle sur les attentats du 11-Septembre serait en faire un événement de nature mythologique ou religieux et nier son historicité pourtant établie par l’effondrement des tours.

Il peut arriver d’ailleurs que certaines thèses « complotistes » soient admises : ainsi Moscou a été la cible en septembre/octobre 1999 de plusieurs attentats causant plus de 300 morts ; le gouvernement russe en a immédiatement accusé les terroristes tchéchènes et a amplifié la guerre qu’il conduisait en Tchétchénie ; en revanche, les principaux médias occidentaux ont imputé ces mêmes attentats à une manipulation du FSB, les services spéciaux russes (4). Vérité à l’Ouest, erreur à l’Est ?


Déni du droit à l’engagement

Chercheur brillant, Aymeric Chauprade n’a jamais fait mystère de ses convictions : il se définit comme « homme de droite, français de civilisation européenne, d’héritage gréco-romain et chrétien ». C’est encore sans doute le cas de beaucoup d’officiers : ceux qui ne partagent pas cet héritage et ces valeurs ne trouvant sans doute pas de raison de choisir un métier où il faut accepter le sacrifice possible de sa vie. La définition de Chauprade correspond par ailleurs assez bien à la définition que le général De Gaulle donnait du peuple français : « de race blanche, de culture gréco-latine et de religion chrétienne ». Reste qu’énoncer des évidences suffit aujourd’hui pour courir le risque d’être diabolisé ! Avec toujours la même méthode : la mobilisation de l’émotion au service du conformisme.


L’imprudence ou le silence ?

Certains sans doute regrettent la purge dont Chauprade a été victime. Peut-être estiment-ils qu’en ayant été plus « prudent », il pourrait continuer de délivrer son enseignement aux officiers supérieurs de l’armée française. Et c’est vrai : en acceptant le conformisme dominant, en mettant son intelligence en jachère et son courage au repos, Chauprade aurait sûrement pu conserver son poste à l’Ecole de guerre. Mais pour quoi faire ? Attendre tranquillement, l’âge venant, les décorations et les promotions en fonction de sa soumission ?

La voix de la prudence, c’est la voix du silence : se taire pour survivre ! La voix du courage, c’est celle du fracas, c’est celle qui permet à Aymeric Chauprade, à seulement quarante ans, d’avoir recréé une école de géopolitique française et de fournir le socle intellectuel d’un possible retour dans l’histoire de la civilisation européenne d’expression française.

Chauprade n’a rien à regretter. Il a devant lui des années de batailles judiciaires, et sans doute de traversée du désert. C’est la rançon de son courage moral : une vertu qui se perd dans les antichambres et les états-majors. Mais c’est cette même vertu qui le rend plus fort que ceux qui l’accablent aujourd’hui, ces persécuteurs que les bouleversements du monde qui s’annoncent fragilisent chaque jour davantage ! Patience, Chauprade : la revanche viendra !

Polémia
06/03/09


Notes :

1.    http://www.polemia.com/article.php?id=1859
2.    Chronique du choc des civilisations, Editions Chronique ; un livre lumineux qui a sa place dans la bibliothèque de tout honnête homme soucieux de comprendre la marche du monde et de la lire sur les cartes de géographie : (http://shop.upsylon.com/cgi-bin/librediff/12202.html)
3.    Polémia vient de publier, repris de la Nouvelle Revue d’Histoire de janvier/février, un article d’Aymeric Chauprade dans lequel il expose avec une remarquable clarté les guerres hégémoniques entre les puissances maritimes et continentales qui ont été et demeurent le moteur de la géopolitique mondiale : « Permanences géostratégiques » :
(http://www.polemia.com/article.php?id=1888)
4.    Vladimir Poutine est un ancien du FSB, organisme qui a pris la suite du KGB. Andropov, avant-dernier maître de l’URSS, était un ancien patron du KGB. De son côté, George W. Bush est le fils d’un ancien directeur de la CIA, George Bush, qui fut aussi président des Etats–Unis. Enfin, en Israël, Tzipi Livni, présidente du parti « centriste » Kadima et ministre des Affaires étrangères, est un ancien agent « opérationnel » du Mossad. Tout cela ne peut que conduire à examiner avec prudence les versions officielles, d’où qu’elles viennent, les services spéciaux partageant par delà les frontières des méthodes voisines.

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