L'étrange affaire Williamson : politique et religion (édito 02/09)

dimanche 8 février 2009

L’annonce, courant janvier 2009, de la prochaine levée de l’excommunication des évêques lefebvristes a immédiatement soulevé les passions, y compris chez de nombreux laïcs connus… pour leur absence de sentiments religieux.

1. Or la décision préparée par Benoît XVI relevait à la fois de la théologie et du gouvernement de l’Eglise : les non-catholiques auraient donc pu ne pas se sentir concernés, ou à tout le moins rester sur la réserve.

Tel n’a pas été le cas : un déluge médiatique s’est abattu sur le Vatican. Il faut en comprendre les causes. Les sociétés occidentales vivent sous l’emprise d’une idéologie dominante de plus en plus tyrannique. Cette idéologie dominante repose sur quatre piliers :

- l’antiracisme ;
- le mondialisme ;
- la rupture de la tradition ;
- la « gauche » meilleure que la « droite ».

Or la décision de Benoît XVI pouvait apparaître comme un coup de balancier vers la « droite ». Surtout, et c’est là l’essentiel, elle revenait à renouer avec la tradition et à marquer un intérêt pour des rites liturgiques antérieurs à la rupture de Vatican II (la messe de Saint-Pie V, notamment).

Pour les élites en révolte contre les formes traditionnelles de la foi et de la civilisation européenne et chrétienne, contre les valeurs familiales et la loi naturelle, la décision de Benoît XVI signifiait une insupportable rupture avec l’idéologie dominante.

2. Tout a donc été entrepris pour faire revenir le pape sur sa décision. Avec les moyens habituels de ce genre d’entreprise : la campagne de diabolisation médiatique dirigée cette fois contre le Saint-Père. Opération d’ailleurs déjà tentée après son grand discours de Ratisbonne sur la foi et la raison.

L’instrument de la manœuvre fut une singulière émission de la télévision suédoise diffusant un entretien avec Mgr Williamson, l’un des quatre évêques excommuniés en 1988.

Etrange entretien que celui-ci : réalisé en novembre 2008 mais diffusé deux mois plus tard, au moment même (le 22 janvier) où la décision du pape devait être rendue publique ; entretien en forme de piège puisque, consacré au départ à des sujets religieux (le dogme, les rites, l’action de la Fraternité Saint-Pie X), il dérive vers la fin sur des sujets plus profanes : l’histoire de la seconde guerre mondiale.

Mgr Williamson y exprime ses doutes sur l’existence des chambres à gaz homicides : propos licites en Suède (où ils furent d’abord diffusés), en Grande-Bretagne (pays de Mgr Williamson) et en Argentine (où il exerce son magistère), mais propos éminemment choquants dans le monde et pénalement répréhensibles en Allemagne (où ils furent enregistrés) et en France (où ils furent abondamment diffusés par les grands médias).

La campagne de promotion des propos de Mgr Williamson apparaît d’ailleurs bien singulière. En ces matières placées sous le contrôle répressif de la loi pénale les journaux font d’ordinaire silence : or, du « Figaro » au « Nouvel Observateur », pour ne citer que la France, l’audience donnée aux propos de Mgr Williamson fut immense. Il est vrai que l’inspiratrice de l’entretien n’était autre que Fiammetta Venner, une trotskyste exemplaire, militante pro-avortement et pro-mariage homosexuel. L’objectif du pouvoir médiatique était clairement d’obtenir du pape qu’il retire sa décision.

3. Et ce au rebours de toute logique : en effet, le choix pontifical, d’ordre théologique, consistait à revenir sur un acte pris en 1988. Le pape n’avait donc aucune raison de prendre en considération des propos profanes tenus en 2008.

De plus, les autorités ecclésiastiques – Mgr Fellay, supérieur de la Fraternité Saint-Pie X et les milieux autorisés du Vatican – n’eurent aucun mal à faire valoir que les propos profanes de Mgr Williamson ne relevaient pas de son magistère. Ce que celui-ci reconnut d’ailleurs bien volontiers. Ces opinions, aussi contestables et condamnables qu’elles puissent paraître, n’avaient pas à relever du débat.

4. Mais la logique et la raison sont rarement victorieuses dans les campagnes médiatiques. Le pape ayant maintenu, le 24 janvier, sa décision de lever les excommunications, une campagne s’engagea pour obtenir des autorités catholiques des déclarations fermes et définitives sur la seconde guerre mondiale.

Trois forces conduisirent cette campagne : des grands médias, des gouvernements (la chancelière allemande, notamment), les religieux juifs en Italie et en France où le grand rabbin Bernheim se montra particulièrement déterminé.

Cette ingérence extérieure dans la vie de l’Eglise catholique peut paraître étrange. Tout comme est surprenant le fait que les autorités catholiques, après avoir observé que le sujet évoqué par Mgr Williamson ne relevait pas de son magistère, aient abordé le même sujet dans le cadre de… leur propre magistère. Erreur en janvier ? Vérité en février ?

A cet égard la déclaration, sur Radio Vatican, de Federico Lombardi, porte-parole du Saint-Siège, est troublante. Affirmer « Celui qui nie le fait de la Shoah ne sait rien ni du mystère de Dieu, ni de la Croix du Christ » peut interpeller aussi bien d’un point de vue catholique que d’un point de vue agnostique, pour ne pas dire voltairien.

D’un point de vue catholique, il peut paraître surprenant de placer un fait d’histoire, certes douloureux, dans le corpus théologique du mystère de Dieu et de la Croix. Sans doute s’agit-il de diplomatie vaticane. Car un simple père, fut-il « communiquant », ne peut faire évoluer le dogme catholique et y incorporer la Shoah. Et rien ne permet de penser que, pour les autorités de l’Eglise en tout cas, Auschwitz ait vocation à remplacer la crucifixion du Christ comme événement ontologique central. De tels bouleversements du credo catholique exigeraient à tout le moins un concile, ce qui ne semble guère d’actualité. D’autant que l’Eglise, qui incarne l’éternité, n’a pas vocation à céder à l’immédiateté.

D’un point de vue voltairien, la déclaration du père Federico Lombardi et surtout les pressions qui l’ont précédée peuvent aussi paraître surprenantes à plus d’un titre. La civilisation européenne a depuis longtemps distingué les vérités religieuses et les vérités scientifiques, qui ne sont pas de même nature. Usuellement un fait d’histoire repose sur des constats, des discussions, des débats et il se peut même que la vision qui en est donnée soit révisée. C’est le point de vue de ceux qui défendent la liberté pour l’histoire. D’ailleurs on voit mal en quoi des déclarations émanant de hautes autorités religieuses pourraient conforter des vérités historiques qui relèvent d’un autre ordre. Cette confusion peut même apparaître comme une régression de la pensée.

Une fois de plus les esprits libres devraient résister au tumulte médiatique. Car, comme l’a fort bien dit Benoît XVI au début de son pontificat, « (il ne faut pas) se dérober, par peur, devant les loups. »

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