La crise financière (Polémia 01/09)

samedi 10 janvier 2009

La crise financière

Le 15 septembre 2008 l’ordre du monde a basculé avec la chute de Lehman Brothers.
Polémia ne prétend ni prédire l’avenir ni définir des lignes idéologiques invariables. Mais Polémia a pour vocation de poser les problèmes : or il est clair que le dogme de la « mondialisation heureuse » (DSK) est malmené par les faits.

« La crise financière peut-elle, va-t-elle ou doit-elle remettre en cause la mondialisation, telle qu'elle s'est déployée depuis vingt ans ou d'autres modèles de développement vont-ils émerger ? »

C’est le thème que s’est donnée Polémia pour sa réunion conférence/débat du 25 novembre 2008
Ont donc été reçus un consultant appartenant à un grand cabinet de conseil international dont la mission est d’analyser et d’orienter les grandes entreprises dans leur rôle comme productrices de modèles et un économiste libéral qui ont permis aux participants d’engager le débat à partir de leur exposé.

Au sommaire :

– Les grands déséquilibres macroéconomiques peuvent-ils durer? Question posée par Polémia
– La mondialisation des entreprises va-t-elle se modifier ? Quelles formes va prendre le retour du politique ? Le point de vue du consultant
– Comment le capitalisme peut-il se régénérer ? Le point de vue de l’économiste.
– Une libre discussion/réflexion avec les participants.

La crise financière

Les exposés liminaires

1) Polémia : le point de vue macroéconomique

Trois causes sont avancées pour expliquer la crise financière :

– la titrisation ;
– les crédits subprimes, qui répondent notamment à des objectifs sociaux et de lutte contre les discriminations ;
– le crédit facile et l’excès de monnaie.

J’ajouterai une cause englobante qui constitue un facteur aggravant : le moutonnisme.

Mais en réalité, deux causes majeures apparaissent :

– le crédit comme substitut à la baisse des salaires due au libre-échange et à l’immigration ;
– l’émission de monnaie américaine pour financer les déficits jumeaux de l’économie américaine (balance des paiements et comptes de l’Etat) .

On reconnaît également la tendance des sociétés contemporaines, en proie à l’hypermédiatisation, à traiter les problèmes dans l’urgence, en activant le cerveau émotionnel (cf. neurosciences). Les fluctuations actuelles des marchés financiers sont irrationnelles.

Citons des chiffres : la dette totale (particuliers, entreprises et Etat) américaine était de 250% du PIB avant la crise de 1929 ; elle est de 350 à 400% en 2008, contre, en 2006, 180% pour la France, 192% pour l’Allemagne, 224% pour le Royaume-Uni, 208% pour l’Italie. Parallèlement, le déficit courant américain est attendu à 8% du PIB en 2008, les importations représentant 160% des exportations.

Les réponses à la crise témoignent du phénomène de moutonnisme :

– alors que la crise actuelle est sans précédent, on insiste sur la nécessité d’éviter les erreurs de 1929 et on évoque un « New Deal » que lancerait Obama ;
– on appelle à une relance keynésienne bien que cette dernière soit inefficace en économie ouverte (un entrepreneur américain, réagissant au plan Bush de juin 2008, d’un montant de 600 $ par personne, soulignait que ce plan n’aiderait pas l’économie américaine, sauf à concentrer la consommation sur les prostituées et la bière) ;
– il faut poursuivre la politique du crédit bon marché et l’émission massive de monnaie, qui sont pourtant dangereuses ;
– il y a consensus pour affirmer que tout protectionnisme doit être proscrit.

A ce sujet, la crise peut-elle remettre en cause le libre-échangisme mondial ? Certes, le dogme est maintenu. Mais, en pratique, la concurrence est faussée par les plans d’aide, par exemple dans le secteur automobile. Le libre-échange a pour corollaire les prêts aux insolvables et l’aide sociale, de manière à compenser la modération salariale. La « mondialisation heureuse » décrite par D. Strauss-Kahn est assise sur le libre-échange, d’une part, et la social-démocratie, d’autre part.

Pourtant, les déséquilibres vont s’aggraver, puisque l’on crée les conditions de nouveaux déséquilibres comme en témoigne le creusement des déficits courant et budgétaire (ce dernier pouvant atteindre 10% du PIB aux Etats-Unis en 2008).

Ces déséquilibres pourraient être réglés par le basculement des actifs vers les fonds souverains et par l’effondrement du dollar. De plus grands déséquilibres peuvent encore venir.

2) Le consultant : le point de vue microéconomique

Je citerai d’abord deux conséquences de la crise.

– la première : la mondialisation de l’économie réelle va s’accélérer. Les firmes multinationales (FMN) ont besoin de nouveaux débouchés, comme les marchés des pays émergents, pour amortir leurs importantes charges fixes. Je connais de grandes entreprises françaises qui suivent cette voie, mais sans que cette tactique ne réponde à une réelle vision économique dûment justifiée par des analyses précises. Il s’agit de panurgisme, mais la réponse est cohérente : dans une économie globalisée, les entreprises doivent également être globalisées.

– la deuxième : l’industrie a retrouvé une place de choix. Les banques ont failli à leur mission de financement professionnel des entreprises. Le système financier pourrait être assaini. Ainsi, des mesures ont été annoncées et pourraient conduire à un contrôle du système financier dans 2 à 3 ans : en matière de contrôle prudentiel, d’encadrement des agences de notation, de normes de valorisation comptable, de contrôle des produits dérivés… Mais la faillite du monde de la finance spéculative ne signifie pas que les méthodes de financement des actionnaires vont changer. Or il n’est pas possible de tenir une rémunération de 15 à 20% par an, sauf à recourir à la spéculation – ce qui est mortifère et ne devrait pas changer. Je rappelle que les crises en économie capitaliste sont soit liées aux cycles d’innovation, soit dues à l’éclatement de bulles spéculatives de divers natures. Ces dernières peuvent être éliminées par une gouvernance efficace

On peut ensuite envisager le retour de l’Etat – mais pas celui des années 1960. La conception de l’Etat portée par l’école de Chicago va s’estomper. La stratégie européenne de Lisbonne met en avant l’innovation, or celle-ci doit être aidée et protégée au départ. Certes, dans ce cadre, le marché reste prépondérant, mais d’autres facteurs sont à prendre en compte. L’Etat intervient ainsi en investisseur et non en dirigiste idéologique..

S’agissant des investissements ciblés de l’Etat, le fonds stratégique d’investissement (FSI) ne constitue pas vraiment une nouveauté. L’exemple d’Alstom (apport de fonds conditionné à un changement de gouvernance, qui a abouti à une plus-value pour l’Etat et à la conservation de l’entreprise comme des emplois) témoigne de la nouvelle capacité de l’Etat à intervenir dans le cadre du marché.

On peut encore s’attendre à un rééquilibrage au sein de l’Europe. L’Union européenne s’appuie sur un pilier libéral naïf (à l’inverse de la pratique américaine) ainsi que sur un pilier visant la destruction des Etats souverains. Un rééquilibrage pourrait s’opérer vers les Etats-nations, qui connaissent des situations différentes, en termes de finances publiques (dette, déficit) comme de structure industrielle.

En conclusion, les principes de libéralisme et de création de richesse par le marché ne sont pas remis en cause. En revanche, on va se rendre compte que l’on a besoin de l’Etat. Entre l’ultralibéralisme et l’économie sociale de marché, il faut promouvoir une troisième voie, qui retrouverait une conception de l’intervention de l’Etat dans le cadre du marché mais animée par la défense des intérêts nationaux.

3) L’économiste : la mondialisation heureuse

Je défendrai deux valeurs : l’optimisme et le pragmatisme. J’évoquerai également comment se passent les choses dans les entreprises. Dans le cadre d’une expérience d’un an au sein de la direction stratégique d’une entreprise du CAC40, j’ai vu beaucoup de dogmatisme ; j’ai suivi des missions de relocalisation des productions, qui étaient l’effet du marché et non pas de l’Etat, dont l’action est déresponsabilisante.

Premièrement, sur les subprimes, les deux réhausseurs de crédit à l’origine de la crise (Fanny Mae et Freddy Mac) ont été créés par la puissance publique pour encourager l’accès à la propriété via la croissance des crédits immobiliers ; le gouvernement fédéral a couvert des opérations hors bilan qui étaient plus que limite. Le phénomène de titrisation a ensuite conduit à une mauvaise évaluation des risques, à l’origine de défauts de payement.

Deuxièmement, l’opposition entre un « capitalisme financier » et un « capitalisme industriel » est une fausse opposition. L’expression de « capitalisme financier » est un pléonasme : le premier terme désigne la propriété privée des moyens de productions, le second renvoie à l’échange de la propriété – la finance est une industrie de services.

Troisièmement, sur le libre-échange, la mondialisation ne peut s’arrêter. L’échange est un mode de circulation de biens et de services impliquant une évaluation, une négociation, un accord de deux volontés et un transfert entre les parties. Cet invariant plurimillénaire a toujours été un moteur de l’économie, dans ses différentes formes : marchandise contre marchandise, marchandise contre travail, marchandise contre protection, marchandise contre monnaie.

Sur ce sujet, il faut être pragmatique et ne pas créer de craintes : Aristote considérait déjà le commerce comme stérile ; à l’inverse, saint Thomas d’Aquin reconnaissait que l’échange dégage un surplus. Condillac a fait un sort à cette autre objection, selon laquelle on ne pourrait échanger que des biens de même valeur : chacun a intérêt à l’échange du fait de la subjectivité de la valeur et emporte une plus-value. Quant à l’idée selon laquelle le marché ne profiterait qu’aux plus compétitifs, j’évoquerai l’exemple du chirurgien-dentiste plus doué en dactylographie que n’importe quelle dactylo, qui, malgré cet avantage absolu, a quand même intérêt à embaucher une dactylo pour se consacrer à l’activité plus rémunératrice de chirurgien-dentiste. Enfin, les sociétés les plus riches sont les plus ouvertes et les démocraties modernes, liées au capitalisme, ne s’affrontent pas militairement.

Pour conclure, je me permets de vous livrer cette citation d’Hernando de Soto, économiste péruvien : « Rien, aucun des objets que vous voyez dans cette salle, n’est le produit du travail d’une seule personne. A part la mûre sauvage que nous cueillons dans les bois, toutes nos consommations sont le fruit de la collaboration et de l’échange entre plusieurs individus ».

Le Débat

Le premier intervenant , à partir d’un regard écologiste, se demande si la crise financière ne relève pas d’une crise plus globale, mettant en cause jusqu’aux postulats philosophiques d’un système qui rencontre ses limites. Si l’Occidental raisonne en termes de croissance indéfinie, il n’en est pas de même du Russe. La crise serait systémique et philosophique, victime de facteurs limitants.

L’économiste souligne que le capitalisme a quand même sorti de la pauvreté un milliard de Chinois.

Le premier intervenant pose la question de la définition des richesses : l’accumulation matérielle est une richesse, la biodiversité aussi. Aujourd'hui, on se concentre sur les aspects financiers.

Polémia évoque les limites de la notion de PIB pour apprécier le bien-être.

Le deuxième intervenant s’interroge 1°) sur un début de crise en 2006 en Islande, annonciateur de la crise actuelle ; 2°) sur le rôle de l’euro, sachant que des pays comme la Suède, le Danemark, la Pologne et la Tchéquie voudraient rejoindre la zone euro.

Polémia souligne que le cas islandais est ce qui peut arriver par exemple au Royaume-Uni à moindre échelle. S’agissant du déclenchement de la crise proprement dit, il est à mettre sur le compte de Fanny Mae et Freddy Mac. Sur l’euro, la Slovaquie se félicite effectivement de rejoindre la zone euro en 2009. Mais la diversité des Etats membres (cf. politiques budgétaires, balances des payements courants, écarts de taux d’intérêt des obligations d’Etat) fait courir le risque de tensions.

Le troisième intervenant rappelle à l’économiste que Schumpeter distinguait l’entrepreneur du financier. Il s’interroge ensuite sur les potentialités de déséquilibre de nos sociétés par la crise. Une diffusion du chômage, jusqu’à la misère, induirait une ambiance politique différente. Une politique de relance conduirait à un risque d’écroulement de la monnaie. Face à ces difficultés, l’idée de l’améro (monnaie unique pour l’Alena) pourrait être sortie du chapeau. Il souligne enfin le caractère structurel et non conjoncturel de la crise. Le vieillissement de la population avait dans un premier temps conduit à un gonflement des bourses, ces placements étant censés assurer une rente aux retraités. Aujourd'hui, personne ne parle de l’effondrement des retraites assises sur la capitalisation boursière alors qu’il s’agit du problème n°1. La politique de taux d’intérêt bas a suscité une bulle, sachant qu’un marché peut être orienté : dès lors que l’on s’achète entre soi, les valeurs se créent virtuellement. S’agissant de l’immobilier, l’inflation des actifs ne s’est pas accompagnée d’une inflation monétaire du fait de la mondialisation.

Le quatrième intervenant souligne que les prix de l’immobilier évoluaient auparavant dans un tunnel défini par le pouvoir d’achat des Français. Or l’on est aujourd'hui 40% au-dessus du plafond de ce tunnel. Revenant sur les Russes évoqués par le premier intervenant (qui conteste cependant la vision extensive des Russes qu’a le quatrième intervenant), il relève qu’iceux ont eu les mêmes appétits que les Occidentaux et que les bourses russes ont beaucoup perdu. Il constate ensuite que la finance est devenue virtuelle et, du fait d’un libertarisme financier, incontrôlée. Cela explique le développement de la crise alors que tous ses éléments en étaient connus dès février 2007 (mini-krach du fait des premières chutes des titres liés aux subprimes, discours de Greenspann annonçant une récession, verrou chinois sur la spéculation sur l’une de leurs deux bourses, report des positions de yen-carry-trade aux Etats-Unis). Il revient sur la récession et sur l’endettement cumulé des ménages et des Etats, dont Polémia souligne qu’il est massif mais que ses structures sont différentes.

Le deuxième intervenant note qu’il a été envisagé d’instaurer un quotient électoral par tranche d’âge, afin de minorer le poids électoral des personnes âgées.

Polémia relève qu’une crise est aussi une purge et peut à ce titre recouvrir des aspects positifs.

Le troisième intervenant explique que le verrou législatif séparant les banques de dépôt des banques d’affaire a été levé par Clinton sous la pression des financiers, les grands groupes multinationaux faisant la loi.

Polémia évoque à ce sujet l’explosion des dépenses de campagne aux Etats-Unis. Il souligne ensuite que, les prix guidant les choix économiques, les fortes fluctuations empêchent de faire des prévisions rationnelles. Le troisième intervenant relève la spécificité des biens immobiliers dans ce schéma.

Le consultant relève qu’un tiers du commerce international est intra-groupe, du fait de la décomposition internationale des processus de production. Il pense que le chômage va augmenter sous l’effet de la dépression de la demande et des délocalisations, notamment vers la Chine et l’Inde. Ces délocalisations résultent de positions idéologiques mais aussi du fait que les coûts de transport ont diminué et que tout peut se faire à distance aujourd'hui, y compris les activités de recherche-développement, ce qui va vider de sa substance la production en Occident.

Polémia considère que l’on ne peut supprimer une protection sociale minimale, notamment pour les chômeurs, comme en témoignent les pays anglo-saxons. Les contradictions du libre-échange peuvent être illustrées par la circonscription de Peter Mandelson (HartlePool), où les assistés doivent représenter 30 à 40% de la population.

Le premier intervenant regrette que les réponses restent sur un plan strictement économique et se demande si la crise n’est pas l’expression d’une volonté politique visant à fragiliser les pays souverains comme la Russie et la Chine.

Polémia souligne que la Chine a été mercantiliste et s’est servie d’un yuan sous-évalué.

Le quatrième intervenant explique la différence de situation entre la Chine la Russie et, évoquant l’effet-papillon, refuse toute idée de complot.

Polémia parle d’hétérotélie.

Le consultant déclare que la finance est très imprévisible car virtuelle et distingue le manager de l’actionnaire. Les intérêts des managers et des actionnaires peuvent ne pas être convergents (intérêts plus court terme et orientés, plus-value pour l’actionnaire alors que le manager vise le développement de son entreprise à moyen terme)

Le quatrième intervenant évoque le cas de l’Islande, qui a tout misé sur la finance, qu’il rapproche du cas britannique.

Le cinquième intervenant revient à Schumpeter. D’après ce dernier, le système libéral et capitaliste repose sur une infrastructure intellectuelle composée de valeurs non marchandes (l’armée, la religion, la famille) qui constituent un socle moral. Dès lors que les valeurs marchandes l’emportent, le système marchand ne tient plus et dérive en système mafieux. En témoigne le phénomène d’endettement irresponsable. A long-terme, le capitalisme aurait donc tendance à s’auto-détruire, les guerres étant néanmoins là pour retremper les valeurs morales. Le cas des Etats-Unis est particulier puisque l’existence d’une aristocratie fondée sur le don de soi leur fait défaut, de sorte que l’infrastructure culturelle y est faible.

Le troisième intervenant estime que l’idée selon laquelle tout reposerait sur l’auto-régulation du marché relève de la superstition et qu’il faut un arbitre au-dessus du marché.

Polémia s’interroge sur l’ambiance dans les milieux du conseil et de la finance.

L’économiste répond qu’il y règne une atmosphère de crise et que les jeunes diplômés en finance connaissent des difficultés de recrutement.

Le quatrième intervenant évoque le précédent de la crise de 1973.

Polémia

07/01/09

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