Toujours plus d'Irlandais disent « Non » au Traité de Lisbonne

jeudi 20 novembre 2008

L’Irlande est le seul des 27 pays de l’Union européenne à avoir pu soumettre le Traité de Lisbonne à sa population. Cela grâce au professeur d’université d’économie irlandais, Raymond Crotty, qui fit introduire dans la Constitution irlandaise, en 1998, un nouveau paragraphe, soumis à l’approbation de la population et accepté par 69,9% des votants. Depuis lors, l’Irlande soumet obligatoirement toute modification des traités d’intégration au vote populaire. L’Irlande a donc voté Non au Traité de Lisbonne, le 12 juin 2008. Cela au grand dam des 27 chefs de gouvernement, notamment de France et d’Allemagne. Ils décidèrent, lors du sommet de l’UE, tenu en été, de mettre la pression sur l’Irlande. Il s’agissait d’ignorer le résultat du vote irlandais et de faire ratifier ce traité par les instances des autres Etats. Avant le sommet de l’UE des 15/16 octobre, un politicien allemand de l’UE menaça le gouvernement irlandais de « conséquences désastreuses » au cas où ce Traité de Lisbonne resterait ignoré du pays.

Le 9 octobre, le député européen allemand Elmar Brok (CDU) exigea du gouvernement irlandais qu’il présente, lors de la réunion des chefs de gouvernement et d’Etat du 16 octobre, des propositions concrètes d’une démarche tactique en vue de gagner un second référendum sur le « Traité de Lisbonne ». A Bruxelles, on parle même de sanctions contre l’Irlande au cas où il ne serait pas possible d’imposer la ratification dans un bref délai ; on pense même à retirer au représentant de l’Irlande le droit de siéger à la Commission européenne. Du même coup, des parlementaires allemands de haut rang se sont mis à lancer une campagne contre les opposants irlandais au Traité de Lisbonne. Ils leur reprochent de mettre en place une alliance des eurosceptiques s’étendant sur toute l’Union européenne en vue des prochaines élections de l’UE en juin prochain.

Avec des pressions et des menaces contre le Non irlandais…

Pour en revenir aux menaces, exprimées par Elmar Brok, il faut aussi mentionner le député européen allemand Jo Leinen (SPD) qui s’en prit au ministre des Affaires étrangères irlandais, exprimant son attente d’une ratification avant les élections au Parlement européen, fixant comme terme le mois de mars de l’année prochaine. Les parlementaires allemands mettent la pression sur Dublin du fait qu’il pourrait y avoir, en Angleterre, un changement de gouvernement. Il est vrai que ce pays a déjà ratifié le Traité de Lisbonne par son Parlement (on ne se préoccupa pas de demander l’avis de la population, comme d’ailleurs dans les autres 25 Etats de l’UE) ; mais le parti conservateur a laissé entendre la possibilité d’un référendum pour le cas où il reviendrait au gouvernement lors des prochaines élections.

…ou bien en insistant, en contraignant et en appliquant des sanctions

Certains membres du gouvernement irlandais espèrent toujours qu’un « Oui » sortira des urnes lors d’un second référendum et, de ce fait, ils sont heureux de l’insistance allemande. Toutefois, l’ambiance régnant dans la population inquiète les partisans du traité, car selon les sondages ce sont plus de 70% des Irlandais qui refusent la tenue d’un deuxième référendum. S’il devait avoir tout de même lieu, les deux tiers diraient « Non », soit plus qu’avant ! Comme le gouvernement craint un deuxième échec, il pense reporter ce deuxième référendum à la fin 2009, espérant alors avoir plus de chances de le gagner. Mais pour Berlin, Bruxelles et d’autres tenants du traité c’est trop tard. C’est pourquoi on évoque dès à présent des sanctions contre l’Irlande pour lui imposer de revoter immédiatement. Le président du groupe parlementaire libéral au Parlement européen propose qu’on retire à l’actuel commissaire irlandais, Charlie McCreevy, son mandat (selon le Traité de Nice actuellement en vigueur, la prochaine Commission européenne qui sera mise en place en juin 2009 devra être réduite d’au moins un commissaire). Et un ancien commissaire belge a même exigé que le gouvernement irlandais se retire au cas où il ne serait pas capable d’imposer la ratification à son peuple. On s’interroge, face à tout ceci, sur le sens de la démocratie.

« Les menaces renforcent notre détermination »

Toutes ces pressions et ces tactiques ne mènent à rien, car ce « Non » du peuple irlandais ressort du large scepticisme de la population face au Traité de Lisbonne. On comprend ainsi mieux ce qu’expriment les citoyens irlandais, comme par exemple : « L’Irlande a eu l’expérience d’une colonisation britannique séculaire et nous ne manquons pas de mémoire. Nous faisons partie de l’Europe, mais nous ne voulons pas devenir une colonie de l’UE. » « Aucun politicien ne s’est donné la peine de nous éclairer sur le Traité de Lisbonne ». « Les menaces allemandes et les tracasseries incessantes à propos de ce Traité de Lisbonne ne font que nous renforcer dans notre détermination. Plus ils nous menacent, plus ils tentent de nous contraindre, plus nous sommes décidés à poursuivre notre propre voie. Est-ce que les Irlandais ont fait preuve de craintes envers qui que ce fût? »

« Horizons et Débats » n°45, 10 novembre 2008
http://www.horizons-et-debats.ch/index.php?id=1251

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