Le respect de la langue française, l’exigence de la forme au service de la rigueur du fond

samedi 1 novembre 2008

Journée d’étude sur la réinformation, organisée le 25 octobre 2008 par la Fondation Polémia

Communication  d’Anne Dufresne

Quel que soit le support du message - presse écrite, radio, sites internet, blogs, mails, etc. -, une évidence s’impose : un message, pour être compris, doit être formulé dans une langue claire, immédiatement compréhensible par celui qui le reçoit.

Voici ce qu’écrivait le 30 septembre 2008 le webmestre du site « François Desouche » (1), visiblement excédé par l’incorrection des messages reçus sur son site :
« Un récent commentaire sur le site proposait l’étrange phrase suivante :
 “Police et gendarmerie ne venaient pas ensuite nous poursuivre pour agression”. Une rapide relecture permettait de comprendre qu’il fallait lire : “Police et gendarmerie, ne venez pas ensuite nous poursuivre pour agression”. Un double problème de temps et de ponctuation changeait radicalement le sens initial. Un petit exemple qui démontre l’importance primordiale du respect d’un même CODE. Appris de tous et partagé par une communauté d’utilisateurs, un code bien compris assure la compréhension réciproque et évite les malentendus…
« L’ex-culture française, bien mal en point, est un ensemble de références et de codes. Autrefois partagés par une vaste majorité de la population, ils assuraient à l’entité “France” une relative cohésion. C’est la France moisie que méprisent les BHL et consorts.
« Par idéologie ou par sottise, la France - et bien d’autres pays - sont actuellement le théâtre d’un affrontement permanent entre cultures ANTAGONISTES et entre groupes ethniques aux références profondément DIVERGENTES.
« Une idéologie, dont l’aveuglement n’a d’égal que la profonde malhonnêteté, n’offre comme seule grille d’analyse du phénomène que le racisme, l’intolérance, l’“ouverture à l’autre” et le culte de la “différence”. Ne vous y soumettez pas. »

Excellente synthèse. En effet, seule la reconnaissance des codes culturels que sont la syntaxe, l’orthographe, le choix du vocabulaire et l’art de la ponctuation nous permet de communiquer. Et mieux ces codes seront compris, plus la communication sera fine et subtile, convaincante et efficace. La langue française est donc bien un vecteur fondamental de notre identité – et pour cela déjà elle mérite notre respect.
Rappelons que le français est une langue bien vivante : 120 millions de locuteurs utilisent le français comme première langue, 150 millions comme deuxième langue. Cent millions d’élèves, avec l’aide de 900 000 enseignants, l’apprennent comme langue étrangère (2).

L’interaction entre la forme et le fond, est un débat que n’ont pas épuisé des dizaines de générations de potaches, dans des dissertations le plus souvent inodores et sans saveur… Mais l’exigence de la clarté est toujours d’actualité.
Nous n’allons donc pas entonner le chant des pleureuses mais chercher quelques arguments en faveur de notre langue, quelques pistes et quelques techniques faciles à utiliser dans le domaine de l’information et de la communication.

Un léger vent d’optimisme se lève du côté de l’enseignement ; il semble que les choses bougent un peu. L’école primaire, le collège et le lycée n’ayant pas - ou ayant mal - transmis les bases essentielles, ce sont les universités et les grandes écoles qui intègrent aujourd’hui la grammaire et l’orthographe dans leurs programmes pédagogiques. Mieux vaut tard que jamais !
De plus, dans le cadre du DIF (droit individuel à la formation), les formations demandées par les cadres concernent de plus en plus l’expression écrite, soit l’orthographe et la grammaire. Ces stages sont néanmoins proposés sous des intitulés flous, comme si la dysorthographie était une maladie honteuse ! Aujourd’hui, « une personne bonne en orthographe maîtrise environ 60 % des règles (3) ». Le marché est donc florissant et l’on voit apparaître des logiciels et des coachs en orthographe.

Ce terme de coach va me servir de liaison pour aborder la question de ce faux anglais, globish, franglais, appelez-le comme vous voulez, qui envahit nos cerveaux comme les algues vertes une plage bretonne…
Je ne vais pas non plus jouer les Cassandre, mais utiliser cette problématique comme un miroir.
Dans un essai intitulé « L’open space m’a tuer » (4) deux jeunes cadres dénoncent les horreurs du néo-management participatif et, nouveauté pour cette génération de trentenaires, font le procès du jargon des managers et des communicants dans un glossaire décapant.
On retiendra, par exemple, la définition de downsizing : “On ne dit plus ‘réduction des effectifs’, on dit downsizing. Certains mal élevés ou gauchistes s’obstinent à utiliser le mot de ‘licenciement’.”
Or ce globish n’a même pas l’excuse d’être un argot de métier comme il en a existé chez les charpentiers ou les marins… Celui qui permettait à la fois de se reconnaître entre gens du même métier et d’en exclure les autres.
Le pouvoir de nuisance de ce franglais réside dans sa superficialité, voire dans l’hébétude où il plonge ses locuteurs. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont jamais appris à traduire d’une langue à l’autre. La méthode consistant à comprendre « en gros » et intuitivement selon le contexte a fait bien des dégâts ! Ainsi « Joe est compétitif en natation (5) », « si un avion rencontre une panne… » ou « je suis très en faveur de… ». La liste pourrait s’allonger à l’infini. Ce n’est pas toujours l’emploi de l’anglais qui est en cause, mais la méconnaissance des rouages du français et de la richesse de sa grammaire ! Employer un vocabulaire flou et ignorer la syntaxe évite bien souvent d’articuler ses raisonnements.

L’une des ripostes vient de la fameuse Loi 101. Autrement dit la « Charte de la langue française », qui, en 1977, impose l’usage du français au Québec. En parallèle a été créé par le gouvernement du Québec un Office de la langue française (6) dont le site internet est d’une grande richesse. On y trouve notamment un « dictionnaire terminologique » et une « banque de dépannage linguistique » très utiles. D’abord pour le sérieux de leurs données, l’art de la pédagogie avec laquelle les exemples sont choisis. Ensuite, pour un léger décalage culturel tout à fait délicieux.
Québécois et Wallons même combat ! Joseph Hanse (7), grand linguiste wallon, à qui l’on doit un « Nouveau Dictionnaire des difficultés de la langue française (8) », invite à « lutter, avec le sourire et avec esprit plutôt qu'avec fanatisme, contre la place exorbitante que la paresse et le snobisme accordent à l'anglais dans la vie courante. »

Quelles sont les qualités d’un bon message ?
Nous ne traitons ici ni les ouvrages savants, qui utilisent un lexique complexe mais limité et une syntaxe souvent très simple, ni les ouvrages d’art – littérature, philosophie, etc. –, dans lesquels l’auteur peut se permettre autant de fantaisies que son lectorat le lui permet. Limitons-nous à la délivrance d’une information, écrite ou orale.

Quels sont les pièges de la communication ?
Prioritairement l’ambiguïté, le quiproquo et l’incompréhension. Or, le plus souvent, comme le fait remarquer Mariz Courberand dans « La phrase cent pièges (9) », « ces pièges sont dus à un défaut de lien entre les mots : un excès de lien, une erreur de lien ou une absence de lien ».
Autant d’imprécisions qui nuisent à la compréhension.
L’ambiguité : « Elle vint avec sa sœur et son mari » A qui appartient le mari ? A « elle » ou à « sa sœur » ?
Plus drôle encore cette cascade : « Nous avions un chien. Mon père l’a laissé dans le jardin. Il est sorti et a attaqué une vieille dame. Elle a porté plainte. Pour lui éviter l’euthanasie, mon père l’a confié à un vigile… »
Le quiproquo est une rupture dans le lien de cause à effet. Cette rupture peut être due à une simple ponctuation. Soit la phrase : « Les Américains qui mangent des hamburgers sont obèses », sans virgules. Elle n’a pas le même sens que : « Les Américains, qui mangent des hamburgers, sont obèses. » Ces deux virgules sont d’un anti-américanisme avéré puisqu’elles laissent entendre que tous les Américains mangent des hamburgers et qu’ils sont tous obèses… A l’oral, comme il est difficile d’entendre les virgules, il faudra sans doute s’exprimer autrement. Par exemple, en disant : « Aux États-Unis une trop grande consommation de hamburgers est un facteur reconnu d’obésité. »

L’incompréhension rompt la communication. Elle est souvent provoquée par l’ellipse. Le rédacteur ne donne pas toutes les informations, et le lecteur ou l’auditeur ne sont pas à même de combler les lacunes. Le style télégraphique est donc à manier avec précaution.
Pour la beauté de la langue, une des plus célèbres ellipses est cet alexandrin de Racine dans son Andromaque : « Je t’aimais inconstant ; qu’aurais-je fait fidèle ? » Si tu avais été fidèle…

Autre désordre : l’anacoluthe qui n’est pas seulement une injure du capitaine Haddock. L’anacoluthe est une rupture dans la construction syntaxique d’une phrase. La phrase commence mais est interrompue, et l’enchaînement attendu est remplacé par un autre, avec, le plus souvent, un changement non précisé de sujet. D’un point de vue grammatical, l’anacoluthe est considérée comme fautive puisqu’elle contrevient aux normes.
La rupture de construction est toujours dangereuse. Elle rend la lecture ou l’écoute hasardeuse et, de plus, sous-entend souvent une rupture de la pensée logique. Cette figure de style est donc à proscrire de tout écrit non littéraire.
L’anacoluthe non maîtrisée peut être franche et directe – et engendrer le rire. Exemple. : « Après les Anglais, le labrador fut la coqueluche des chasseurs français… » Elle peut être plus sournoise et générer des incompréhensions fâcheuses. « Après avoir donné sa démission, le DRH invita Paul à boire un café. »

D’où la définition d’une phrase correcte :
Son niveau de langue doit être homogène et correspondre à la teneur du message et aux capacités de compréhension du récepteur. Elle doit être grammaticalement correcte. Elle doit être construite selon un ordre qui élimine toute ambiguïté. Elle doit exprimer la pensée de son auteur. Elle doit obéir aux critères de véracité.

Les diablotins se cachent donc dans les détails. D’où la nécessité de la rigueur, qui n’est ni l’ergotage, ni le « pilpoul ».
Ces exigences sont indispensables en matière de typographie.
Une majuscule change tout :
« Les bourses américaines sont vides » signifie que les porte-monnaie américains sont vides. Alors que « les Bourses américaines sont vides » signifie que les places boursières sont désertées.
Ne pas noter un accent sur une majuscule, et c’est le drame : UN POLICIER TUE ou UN POLICIER TUÉ ? Les réactions seront bien sûr différentes.
Une frappe rapide, et l’espace entre les mots disparaît… « Elle arrive bien tôt » et « Elle arrive bientôt » n’ont pas le même sens.

Chaque mot, lettre, accent, majuscule, virgule, tiret, sont porteurs de sens. Ce ne sont en aucun cas des détails. Il suffit donc d’un rien, d’un oubli, d’une étourderie, et surtout d’une ignorance pour que le sens et le contenu du message soient modifiés.

A l’heure où chacun tape ses textes sur son ordinateur avec plus ou moins d’agilité, il s’agit de rester vigilant. Il n’y a aucune honte à consulter les dictionnaires, les grammaires et les manuels de typographie, d’autant plus que ces ressources sont aujourd’hui toutes en ligne. Ce sont des outils, dont il faut se servir à l’image du jardinier qui travaille avec son sécateur.
L’université de Caen a mis en ligne un dictionnaire des synonymes (10), le Québec une grammaire française, les sites de conjugaison sont pléthore : encore faut-il les utiliser !

 

Les exigences de clarté sont un peu différentes dans la langue parlée à la radio. Il s’agit de déterminer quelle est la meilleure manière de se faire comprendre d’un auditeur. Écouter la radio est souvent une activité seconde, en arrière-plan. Conduire, préparer un repas, repeindre un plafond demandent de l’attention. La qualité de l’audition est rarement égale. Le journaliste devra donc faire un réel effort dans la conception du message, d’autant plus quand il donne une information complexe. Expliquer la crise financière en cent cinquante mots est un exercice ardu.
Là encore, c’est la culture qui fera la différence. Cette culture, acquise par la lecture et la réflexion, permet à la fois de se définir, d’affirmer son identité et de comprendre l’univers mental de celui qui reçoit le message. Envoyer un message brouillon à sens unique et dans toutes les directions n’a aucun intérêt.
Or, le journaliste ne connaît ni ses lecteurs ni ses auditeurs. Sur quel niveau se situer pour ne pas passer au-dessus de la tête de la majeure partie de l’auditoire ? Pour ne pas lui sembler enfantin et superficiel ? Trouver le juste niveau est un exercice où l’empathie vient au secours de la rigueur. Réinformer tient de l’information et de la formation.

Quelques conseils :
— Faites des phrases courtes : sujet, verbe, complément. Peu ou pas de subordonnées, et jamais en début de phrase.

— Une idée, une phrase : si vous lancez plusieurs cailloux dans la mare, l’eau sera brouillée. Lancez vos petits cailloux l’un après l’autre, en attendant que les ondes concentriques du premier caillou aient atteint la berge, c’est-à-dire l’oreille de votre auditeur.

— Respectez la chronologie tout au long de votre sujet : le flash back est un effet de cinéma, pas d’information !

— N’hésitez pas, contrairement à l’écrit, à être légèrement redondants : « Victor Hugo, grand poète français », « Berlin, capitale de l’Allemagne »…

— Privilégiez le mot imagé, le concret à l’abstraction. Quand Le Monde (11) écrit peu ou prou : « On a noté une corrélation étroite entre le taux de féminisation des entreprises et le maintien de leur cours de Bourse », n’hésitez pas à traduire : « Plus les entreprises emploient de femmes, mieux elles résistent à la tourmente des marchés boursiers. »

— De même vous éviterez les formules alambiquées, où la suffisance le dispute souvent au ridicule ! « Les citoyens ont un taux d’acceptabilité limité de la hausse des impôts » ou « le taux d’accroissement de la population ne cessant de s’élever » sont rédhibitoires à la radio.

Mais encore faut-il que les images ne se percutent pas ! Quelques perles :
« Le tsunami irréversible dans lequel l’identité féminine peut enfin s’exposer », « cette lame de fond résonne aux quatre points cardinaux », « ce cercle vertueux en est le levier »…
Quant « à la fin prévisible d’un mauvais happy end »… j’avoue que cela dépasse toutes les capacités d’analyse tant logique que grammaticale !
Une méthode qui a pour elle d’avoir un intitulé mnémotechnique est celle des 7 C (12): un message doit être correct, clair, concis, courtois, convivial, compétent et convaincant. On ne saurait mieux dire.

© Polémia

Notes :

(1)     http://www.fdesouche.com/
(2)     http://www.canalacademie.com/Le-rayonnement-du-francais-croyons.html
(3)     Voir La Tribune du 3 octobre 2008.
(4)     Alexandre des Isnards et Thomas Zuber, L’open space m’a tuer, Hachette Littérature, 2008.
(5)     La plupart de mes exemples proviennent d’un « cahier de perles » collectées dans l’exercice de mon métier de correctrice.
(6)     http://www.olf.gouv.qc.ca/index.html
(7)     http://www.wallonie-en-ligne.net/Wallonie-Futur-1_1987/WF1-55_Hanse-J.htm
(8)     Aux éditions De Boeck.
(9)     Le Polygraphe éditeur. De nombreux exemples lui sont empruntés.
(10)   http://www.crisco.unicaen.fr/cgi-bin/cherches.cgi
(11)   16 octobre 2008.
(12)   Annick Lelli, Les Écrits professionnels : la méthode des 7C, Dunod, 2e éditions, 2008.

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