Les Musulmans en France : une minorité de plus en plus nombreuse et de plus en plus visible

jeudi 4 septembre 2008

En termes sociologiques, la logique de l’intégration est simple : c’est le rapprochement des attitudes et des comportements d’une population minoritaire de ceux de la population majoritaire. Ce n’est pas ce qui se passe en France où la minorité musulmane est de plus en plus visible.

Issue du monde nord-américain, la notion de minorité visible est entrée dans le vocabulaire français, notamment en 2007, à l’occasion de la composition du premier gouvernement Fillon et, en 2008, lors de la composition des listes pour les élections municipales.

Une minorité peut être visible par la nature, selon la définition de la loi canadienne pour qui en font partie « les personnes autres que les autochtones, qui ne sont pas de race blanche ou qui n’ont pas la peau blanche ». Mais une minorité peut être aussi visible par la culture, c’est-à-dire par les comportements qu’elle adopte et les pratiques qu’elle extériorise.

C’est manifestement le cas en France de la minorité musulmane qui s’est rendue de plus en plus visible au cours des trente dernières années : dans le paysage architectural, à travers la multiplication des lieux de culte et l’érection récente de grandes mosquées ; dans la rue, avec une présence de plus en plus fréquente de femmes portant le voile islamique, voire d’hommes en gandourah ; dans les habitudes alimentaires, avec la contestation croissante des repas collectifs comportant du porc ainsi qu’avec la multiplication des boucheries halal et des rayons halal dans les grandes surfaces commerciales ; avec la perturbation de la vie scolaire, économique et sociale, lors de la fête du ramadan ; avec la revendication de mise à disposition de carrés musulmans dans les cimetières ; avec le contrôle de l’organisation du pèlerinage à La Mecque par le ministère du Tourisme.

L’objection selon laquelle ces observations seraient sans force parce que subjectives n’est pas recevable :
– d’abord parce que la notion même de minorité visible renvoie à un sens : la vue, et donc à une perception subjective qui est un élément de la réalité ;
– ensuite parce qu’il est possible d’objectiver, fût-ce imparfaitement, ces constats.

L’appartenance à l’islam : de plus en plus fréquente et revendiquée
(…)

Simultanément, deux pratiques alimentaires ont envahi l’espace public français : le jeûne du ramadan et la règle du halal.

Ce sont des exemples supplémentaires du retour des populations arabo-musulmanes vers les normes de leur espace civilisationnel en même temps que d’éloignement par rapport aux coutumes usuelles du pays d’accueil. Cette évolution est d’autant plus significative que les pratiques du jeûne du ramadan ou des prises de repas halal sont loin d’être cantonnées au seul espace privé et tendent à s’imposer à la société dans sa totalité : les populations majoritaires étant, de facto, priées de s’adapter aux exigences religieuses et civilisationnelles d’une minorité motivée ; ce qui est une forme d’intégration inversée.

Le jeûne du ramadan : une prescription alimentaire de plus en plus envahissante

Il y a seulement quinze ans, la pratique du ramadan était marginale en France. Elle est devenue aujourd’hui massive au sein des populations arabo-musulmanes où elle prend un caractère quasi obligatoire.

Le sondage CSA/La Vie d’août 2006 révèle que 88‑% des musulmans suivent la pratique du ramadan, 94‑% parmi les moins de trente ans. Cette pratique massive concerne de manière indifférenciée tous les musulmans, qu’ils soient de nationalité française ou étrangère, que leur catégorie socioprofessionnelle soit CSP + ou CSP -, qu’ils se sentent proches de la droite ou de la gauche, qu’ils habitent des banlieues ou des villes isolées.

Cette pratique imposant un jeûne diurne pendant trois semaines bouleverse les rythmes de vie et a des répercussions sur les non-musulmans dans la vie scolaire, dans la vie professionnelle et dans les relations de voisinage.

Alors que le carême catholique, même lorsqu’il est encore pratiqué, ne sort pas de l’espace privé, le ramadan musulman envahit, lui, l’espace public.

Observer le ramadan n’est d’ailleurs pas seulement une pratique religieuse, c’est aussi l’affirmation d’une appartenance ethnoculturelle. Appartenance qui n’est d’ailleurs pas seulement choisie mais aussi imposée par la pression sociale comme l’ont reconnu Sonia Imloul, présidente de l’association Respect 93, et l’intellectuel Ghaleb Bencheik. Ce dernier affirme : « Jusque dans les cours de récréation on ressent cet engouement croissant pour le jeûne et l’opprobre dont sont victimes ceux qui ne suivent pas les préceptes »

 

Les produits halal : un marché en pleine expansion

En France, la consommation de produits halal, c’est-à-dire « licites », ne contenant pas de produits haram – « interdits » – et préparés selon les procédures religieuses musulmanes, est restée marginale jusqu’au début des années 1990.

Dans son livre L’Islam de marché Patrick Haenni note qu’il y a seulement quelques dizaines d’années, le musulman pieux devait faire des centaines de kilomètres pour acquérir des viandes préparées selon des normes qu’il jugeait appropriées.

Aujourd’hui, il s’agit d’une consommation en pleine expansion. L’organisateur d’événements Foods & Goods, promoteur, porte de Versailles à Paris, du premier Salon halal, les 26 et 27 mars 2008, chiffre à 3 milliards d’euros le marché des produits alimentaires halal en France ; ce marché est en progression de 15‑% par an depuis 1998.

Cette expansion a d’abord concerné « le circuit traditionnel des boucheries et des magasins dédiés aux ethnies vivant en France» grâce, notamment, aux mesures prises par Charles Pasqua en 1995 sur la réglementation de l’abattage rituel musulman. Ce développement a ensuite été relayé par des multinationales de l’agroalimentaire telles que Doux, Socopa, Duc, les groupes Soviba ou Charral et les enseignes de la grande distribution telles que Carrefour, Auchan et Leclerc.

Sur l’important site francophone marocain Bladi.net Jérôme Bezié, responsable des produis frais de l’hypermarché Carrefour de Rennes, se félicite du succès de son rayon ethnique : « La demande était là. Les opérations ramadan (sic) ont clairement montré que la communauté musulmane voulait d’autres produits. Il y avait un créneau à investir. Sur ce nouvel espace, nous sommes à +30‑% sur les onze derniers mois [de février à décembre 2006]. Et pour la viande les chiffres sont également très bons. »

Cette « halalisation » de l’offre concerne aussi les plats cuisinés, à base de viande, de la cuisine mondialisée comme les pizzas, les lasagnes, les nuggets ou les nems.

L’agence multiculturelle de communication Sopi spécialisée dans la formation des entreprises à la diversité et le marketing « des produits et services destinés aux publics des diasporas vivant en France » distingue trois socio-styles de consommateurs : les immigrants récents, les « Comme au pays » qui désirent continuer à vivre comme chez eux ; les « Et, et » et leurs enfants soucieux de retrouver des plats traditionnels ; et les « révoltés identitaires », jeunes urbains adeptes des fast-foods, pizzerias et sandwicheries grecques, qui islamisent un mode de consommation américain.

En fait, c’est la troisième génération issue de l’immigration maghrébine et subsaharienne qui promeut la consommation halal, pour laquelle elle a « un attachement très fort, paradoxalement encore plus fort que chez leurs parents  », selon Florence Bergeaud-Blackler, sociologue à l’unité d’anthropologie de l’université d’Aix-Marseille ; sentiment partagé par Hassan Bouod, patron d’une entreprise agroalimentaire à Marseille, qui affirme : « Notre jeunesse est très fière d’acheter halal et a envie de consommer ce type de viande, c’est psychologique »

Ainsi, comme la pratique du ramadan, la préférence pour l’alimentation halal est un choix religieux mais aussi un marqueur ethnique et civilisationnel.

L’explosion de la demande des produits halal est une preuve supplémentaire, non d’une intégration croissante des populations arabo-musulmanes à la société française mais, au contraire, de leur retour vers les pratiques de leur pays d’origine ou de celui de leurs parents, voire arrière-grands-parents. Toutefois ce réenracinement ne va pas sans poser de problèmes : en effet, pas plus que le jeûne du ramadan, la promotion de l’alimentation halal ne reste cantonnée à l’espace privé ; au contraire, elle tend à s’imposer dans l’espace public, à la fois pour des raisons d’intérêt commercial et en réponse à des pressions politiques.

 

Les règles de l’alimentation halal s’imposent de plus en plus dans l’espace public

La logique commerciale conduit les entreprises agroalimentaires à fournir de la viande et des produits halal à ceux qui en désirent.

Mais la tentation existe aussi, dans le souci de rentabiliser les chaînes de production, d’« halaliser » des produits destinés à l’ensemble des consommateurs. Ainsi pour les moutons et les poulets (70 kg par personne et par an), viandes très consommées par les musulmans, il est impératif de développer des filières d’abattage halal répondant aux règles suivantes : animal égorgé vivant, sans être étourdi, la tête tournée vers La Mecque, par un sacrificateur agréé. Pour éviter de mettre en ligne une autre filière d’abattage classique – et donc d’augmenter les coûts d’investissement et de production – il peut être tentant, sans en avertir le consommateur, de distribuer de la viande halal dans le circuit classique. C’est largement le cas actuellement pour la volaille et les ovins : le consommateur laïc ou catholique finance ainsi, sans le savoir et souvent contre son gré, l’expansion islamique en France.

La logique de rationalisation des coûts peut donc conduire à halaliser la distribution des viandes. La logique commerciale conduit, elle, à halaliser l’offre de plats préparés : pour pouvoir vendre partout, et à tout le monde, bien des firmes, comme Maggi, éliminent le porc et l’alcool de leurs préparations et s’approvisionnent principalement en viandes halal. Dans une logique purement commerciale, c’est le groupe le plus intolérant qui dicte sa loi aux marchands d’abord, à tous les clients ensuite.

Ce phénomène est renforcé par l’importance de la restauration collective dans les écoles et les entreprises où, souvent, les règles de la minorité sont imposées à la majorité.

Les municipalités soumises à une pression croissante des associations musulmanes prévoient désormais de manière quasi systématique, lorsqu’il y a du cochon, un menu sans porc. Des mouvements laïcs se sont émus de ce qu’ils appellent l’apartheid alimentaire conduisant à discriminer dans les écoles les « sans porcs » des « porcs », ces derniers souvent qualifiés d’« impurs » dans les cours de récréation. Le phénomène est massif ; une interrogation du moteur de recherche Google sur « cantine scolaire »+» sans porc » renvoie à plus de 100 000 occurrences.

Les règles islamiques bénéficient d’ailleurs souvent d’un vrai privilège. Ainsi le site officiel de la mairie de Grenoble précise, dans les conditions de souscription au service des cantines scolaires, « qu’aucun régime alimentaire autre que les repas sans porc ne pourra être pris en compte  ».

La municipalité de Lyon est allée plus loin. Elle a mis en place, à côté des menus classiques, un menu végétarien, au motif que, dans certains quartiers, un tiers des enfants continuaient à ne pas toucher au plat principal, même sans porc, dans la mesure où les viandes servies n’étaient pas suffisamment garanties halal.

En région Île-de-France, une étape supplémentaire est en train d’être franchie. Le Siresco, syndicat intercommunal réunissant des villes principalement d’obédience communiste, qui livre 35 000 repas par jour, a banni le mot « porc » de son site internet… et des assiettes qu’il livre au moins dans certaines communes, comme Tremblay-en-France. Dans cette ville, la municipalité subit une forte pression pour halaliser tous les repas scolaires, pression qui est combattue par l’association laïque et féministe Regards de femmes.

Et selon le site TEO, au lycée professionnel laïc Lavoisier de Roubaix, « tout le lycée mange halal à la cantine, y compris les non-musulmans. Il était plus simple d’adopter cette préparation rituelle de la viande, que les autres confessions peuvent tolérer».

Cette solution présentée comme un symbole de consensus est surtout une prime au plus intolérant ! Avec deux conséquences :
-de plus en plus de Français sont en effet condamnés à manger sans le vouloir, et souvent sans le savoir, des plats halal ;
-simultanément, de plus en plus de jeunes Français se voient privés d’innombrables plats traditionnels : boudin, potée, carré de porc, choucroute, saucisses-lentilles, cassoulets, petit-salé, etc.

Ainsi, l’identité de la minorité s’affirme au détriment de celle de la majorité.

Les « carrés musulmans » dans les cimetières : une revendication nouvelle

Encore inspiré par les grandes lois du début de la IIIe République, le code général des collectivités territoriales (L.2212–2 et L2213–9 du CGCT) est formel : les pouvoirs de police de maire concernant les personnes décédées, les inhumations et les exhumations doivent être accomplis « sans qu’il soit permis d’établir des distinctions ou des prescriptions particulières en raison des croyances ou du culte du défunt ou des circonstances qui ont accompagné sa mort ».

Dans cette logique parfaitement conforme aux principes républicains, les cimetières ou carrés confessionnels font figure d’exception : il n’existe actuellement en France que trois cimetières musulmans (deux sur l’île de La Réunion et un à Bobigny), et 70 carrés musulmans dans différents cimetières, le plus important se trouvant au cimetière parisien de Thiais.

Par attachement à leurs racines et par souci de respecter les règles islamiques pour les sépultures, on estime à 85‑% le nombre d’immigrés ou de descendants d’immigrés se faisant enterrer dans leur pays d’origine ; certains consulats étrangers, comme la Tunisie, prenant même en charge le retour des corps.

Cette situation est de plus en plus contestée. En 2004, une étude menée pour l’Association des amis de la Médina et financée sur fonds publics par le Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations (Fasild) dresse un état des lieux et conclut : « Le lieu de sépulture est une des clés pour l’intégration des immigrés d’origine maghrébine à la société française. »

S’adossant à cette étude, Dalil Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris et longtemps président du Conseil français du culte musulman (CFCM), estime qu’à peine 10‑% des besoins en cimetières musulmans sont satisfaits et qu’« un millier d’agglomérations ont un besoin urgent de cimetières musulmans  ».

La limite de l’intégration est ici clairement posée : l’inhumation peut avoir lieu en France mais à condition que ce soit dans un cimetière musulman, c’est-à-dire entre musulmans et sur ce qui devient de facto une terre d’islam inaliénable.

Relayée par les instances régionales du CFCM, cette revendication d’islamisation des cimetières a reçu un coup de pouce important de Mme Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur. Dans une circulaire du 19 février 2008, la ministre expose aux préfets que « le développement d’espaces confessionnels […] paraît être la solution à privilégier » et que « pour répondre favorablement aux familles souhaitant que leurs défunts reposent auprès de coreligionnaires, je vous demande d’encourager les maires à favoriser, en fonction des demandes, l’existence d’espaces regroupant les défunts de même confession ».

Dans les faits, il s’agit de multiplier les carrés musulmans présentant deux caractéristiques : des tombes orientées vers La Mecque et des concessions de terrain illimitées dans le temps, dans la mesure où l’islam interdit l’exhumation.
Cela revient de fait à créer une discrimination positive pour les musulmans qui seront les seuls à disposer de concessions perpétuelles, et une discrimination négative pour les autres, qui ne pourront disposer de terrains que pour un temps limité, tout en se voyant encouragés à préférer la crémation, moins consommatrice d’espace.

Bien sûr, il est permis de comprendre ces exigences de respect des convictions religieuses mais il est clair que, dans ce cas comme dans tant d’autres, l’intégration qui serait l’adaptation de la minorité aux règles de la majorité ne se fait pas ; c’est le contraire qui se produit, avec l’abandon des règles traditionnelles pour se plier aux revendications croissantes des minorités.

Le pèlerinage à La Mecque de plus en plus pratiqué depuis la France

Le pèlerinage à La Mecque, l’une des obligations de principe du musulman, a longtemps été ignoré en France. Les départs à La Mecque, notamment à l’occasion de la fête du sacrifice, étaient rares : quelques milliers de pèlerins par an dans les années 1980 ; et ils n’apparaissaient pas dans l’espace juridique ou médiatique français.

Là aussi, signe d’un retour aux sources, les pèlerinages à La Mecque sont en forte croissance : 23 000 en 2005, 28 000 en 2006, 30 000 à 35 000 en 2007. Selon Le Monde du 19 décembre 2007, « parmi les pèlerins, de plus en plus de jeunes Français musulmans et convertis, ou de classes sociales moyennes et supérieures, côtoient désormais le public traditionnel des retraités, représentants de la première génération d’immigrés. “D’ici à 2010, la tendance va s’inverser et les jeunes seront majoritaires”, estime Zakaria Nana, responsable de l’association SOS-Pèlerins qui milite depuis deux ans pour un assainissement du marché du Hadj ».

Trois points méritent d’être soulignés :

– d’abord, le rajeunissement du public, preuve supplémentaire de la réislamisation des jeunes générations issues de l’immigration, ainsi commenté par Rachid Bouchaïa, chef d’entreprise, ancien pèlerin : « Pour beaucoup de jeunes qui reviennent à la religion, l’aiguillon, c’est effectivement un certain retour aux origines car l’islam ne se résume pas au Maghreb  » ;

– ensuite, l’importance du nombre de pèlerins ; le voyage à La Mecque doit se faire une fois dans la vie : au rythme de 30 000 par an, chiffre appelé sans doute à croître, ce sont 1 500  000 personnes qui ont vocation à aller depuis la France à La Mecque au cours de leur vie ;

– enfin, la prise en charge administrative du pèlerinage ; en réponse à la question d’un parlementaire UMP, le ministre du Tourisme indique, le 8 mai 2007, qu’un groupe de travail a été constitué pour améliorer les conditions d’information et de déplacement vers l’Arabie Saoudite ; en 2006, l’administration a même édité une brochure d’information en français et en arabe, ce dernier point soulignant les limites de l’intégration linguistique des intéressés.

Le grand retour des prénoms marqueurs d’une identité musulmane

Le nom et le prénom d’un homme ou d’une femme sont et restent des marqueurs identitaires : ils renvoient souvent à une histoire familiale ou à des appartenances, religieuses ou géographiques. C’est la raison pour laquelle la République, lorsqu’elle inscrivait son action dans une logique d’assimilation, a encouragé les étrangers qui se faisaient naturaliser à changer de nom et de prénom.

Ainsi une loi de 1972, reprenant des textes de 1965, eux-mêmes repris de textes antérieurs prévoit que :

a : « Toute personne qui acquiert ou recouvre la nationalité française peut demander la francisation de son nom seul, de son nom et de ses prénoms ou de l’un d’eux, lorsque leur appartenance, leur consonance ou leur caractère étranger peut gêner son intégration dans la communauté française. »

b : « La francisation d’un nom consiste soit dans la traduction en langue française de son nom, soit dans la modification nécessaire pour faire perdre à ce nom son apparence, sa consonance ou son caractère étranger. »

c : « La francisation d’un prénom consiste dans la substitution à ce prénom d’un prénom français ou dans l’attribution complémentaire d’un tel prénom ou, en cas de pluralité de prénoms, dans la suppression du prénom étranger pour ne laisser subsister que le prénom français. »

d : « Les personnes mentionnées à l’article 1er peuvent demander la francisation des prénoms ou de l’un des prénoms de leurs enfants mineurs bénéficiaires des articles 84 et 143 du code de la nationalité. Elles peuvent également demander l’attribution à ces enfants d’un prénom français, s’ils ne possèdent aucun prénom. »

Quoique toujours en vigueur, et encore récemment remaniée en janvier 2005, cette loi subit une remise en cause progressive de son application.

D’abord, les demandes de changement de nom et de prénom dans un but de francisation se font de plus en plus rares. Selon Nacira Guénif Souilamas, chercheur au CNRS, auteur de Des beurettes aux descendants d’immigrants nord-africains: « On assiste (de moins en moins) à des demandes de francisation de prénoms au moment de la naturalisation. Les descendants des migrants ne pensent plus que l’assimilation passe par l’acculturation. Et qu’il faille chercher à effacer toute référence à l’origine, au parcours migratoire. » Quant aux descendants, français de nationalité pour la plupart, « ils renouent avec des références arabes, persanes, prénoms qui ne sont pas forcément liés à leur nationalité d’origine ou à l’histoire de leurs parents ».

Ensuite, les juges des affaires familiales sont de plus en plus sollicités par des Français naturalisés ayant changé de nom ou de prénom et souhaitant retrouver leur identité d’origine. Un article du « Monde » du 13 avril 2007 intitulé « Ce prénom, ce n’est pas moi », s’intéresse à cette « nouvelle catégorie de solliciteurs » : Nadine souhaitant redevenir Zoubida ; Louis désirant redevenir Miloud pour pouvoir effectuer un pèlerinage à La Mecque et être enterré dans un carré musulman ; Pierre et Marie choisissant de s’appeler à nouveau Kamel et Leïla et de redonner à leurs descendants leur prénom de naissance pour que « dans leur école, nos enfants ne se sentent pas isolés avec des prénoms français par rapport aux autres ».

Cette attitude est évidemment radicalement différente de celle observée dans les années 1970, où bien des Arabes porteurs du prénom Mohamed se faisaient alors surnommer « Momo » pour mieux ressembler aux « Maurice » avec qui ils partageaient les emplois ou les cages d’escalier.

Loin de combattre cette évolution, les institutions françaises ont choisi de l’accompagner. La doctrine officielle est désormais la suivante : puisque les Français naturalisés ou les Français d’origine étrangère souhaitent garder des prénoms qui marquent leur identité d’origine, faisons en sorte que cela ne nuise pas à leur intégration dans l’emploi et imposons le curriculum vitae (CV) anonyme. C’est ainsi que, tour à tour, gouvernements, officines patronales et syndicales et Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) ont encouragé les curriculum vitae sans nom, sans prénom et sans adresse.

Comment ne pas penser à Tartuffe ? Cachez ce prénom que vous avez choisi mais que je ne saurais lire !

Car nous assistons à un phénomène massif de retour à des prénoms identitaires utilisés comme marqueurs de l’appartenance à la culture islamique.

L’histoire du prénom Mohamed illustre ce phénomène. Ce prénom apparaît en France, de manière statistiquement significative, au début des années 1950 et est de plus en plus fréquemment donné, jusqu’à atteindre un pic de 1 700 au début des années 1980 ; pic suivi d’un déclin notable jusqu’à la fin des années 1990 ; déclin interrompu par une vive reprise : avec 1  860 attributions, l’année 2006 est l’année record (source Insee). En fait, avec les variantes orthographiques, ce sont plus de 2  000 garçons nés en France qui ont été prénommés Mohamed en 2006. Situation d’ailleurs moins spectaculaire qu’en Grande-Bretagne où, selon l’AFP du 6 juin 2007, Mohamed est devenu le deuxième prénom le plus populaire derrière Jack !

D’autres prénoms comme Mehdi, Karim ou Youssef ont connu une progression semblable.

Il convient toutefois de noter aussi la montée de Rayan dont l’année record d’attribution est 2006, avec 1 859 choix. Rayan, qui fait donc quasiment jeu égal avec Mohamed, est un prénom qui, sous ses aspects anglo-saxons et mondialisé, a une origine arabe puisqu’il signifie « beau », « à la fleur de l’âge » ; son choix ne traduit pas un désir d’intégration à l’identité française mais une volonté d’affirmation de l’identité arabe dans un monde globalisé.

Un phénomène assez comparable peut être observé dans le choix des prénoms attribués aux filles. Dans les familles d’origine maghrébine, c’est, selon Marie-Odile Mergnac, auteur de L’Encyclopédie des prénoms , Inès qui est le plus souvent choisi. Ce prénom a été attribué à 4 900 filles en 2006. Il arrive qu’il soit la forme espagnole ou portugaise d’Agnès mais c’est le plus souvent la transformation phonétique d’Inâs qui signifie « bienveillance, caresse, compagne » : de même Nadia (« généreuse »), Sonia (« élevée, haute, sublime »), Sabrina (« patience ») sont les transcriptions de mots arabes… même si le hasard des sonorités peut parfois les faire coïncider avec un mot d’origine slave ou celtique !

© Polémia
21/08/08
Texte extrait de «  Immigration : L’illusion de l’intégration », édition Polémia, à paraître


  L’Islam de marché, Patrick Haenni, Seuil, Paris, 2005.

http://www.ville-grenoble.fr/jsp/site/Portal.jsp?page_id=214

Le Monde, 8 septembre 2006.

 Le Monde, 19 décembre 2007.

L’encyclopédie des prénoms, leur histoire, leurs stars, Archive et culture, 2004

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