La méprise

samedi 10 novembre 2007

Six mois après son élection, le sondage IFOP/« Le Journal du dimanche » fait apparaître que 59% des Français considèrent que l’action du président de la République et de son gouvernement n’a pas amélioré leur situation. Seuls 3% considèrent qu’il est encore trop tôt pour juger de son action (« Les Echos » du 05/11/2007).

Il y a plusieurs explications à cette performance.

1) N.Sarkozy a bénéficié pour son élection d’une conjoncture politique exceptionnelle :

– une candidature de gauche non crédible ;
– l’effondrement du Front national, qu’a renforcé l’habilité du candidat à reprendre une partie de son vocabulaire.

Mais il y a seulement un an son élection n’était pas du tout assurée : ce qui veut dire que cette conjoncture exceptionnelle n’est pas suffisante à elle seule pour fournir un appui politique durable au président, a fortiori si celui-ci veut engager une politique de rupture.
La gauche reste, en effet, une force politique qui s’appuie sur de nombreux relais intellectuels et sociaux ; le courant identitaire reste une composante durable du paysage politique européen que l’erreur stratégique du Front national, parti à la conquête illusoire des Beurs pour la campagne présidentielle de 2007, ne saurait masquer durablement. Enfin, l’ouverture à gauche a ébranlé la majorité présidentielle.

Le président est institutionnellement fort mais politiquement faible en réalité, ce qui explique qu’en décalage évident avec le discours de rupture lui et son gouvernement manifestent une peur certaine du retour du syndrome de 1995 : les mâles prétentions affichées masquent mal la réalité d’un pouvoir qui négocie sur tout pour calmer le jeu. Bref, un discours dur associé à une pratique molle. C’est une recette qui conduit habituellement au désastre en politique car elle génère l’inquiétude sans convaincre. Elle ne peut qu’encourager toutes les résistances, notamment syndicales, et donc générer les conflits au lieu de les prévenir.
Au demeurant, le président, qui promet la rupture, s’est doté d’un gouvernement médiocre et en particulier d’un premier ministre faible ; il est donc dépourvu de réel fusible, d’autant plus qu’il se met en première ligne sur tout.
Car c’est aussi en raison de cette faiblesse politique qu’il déploie un activisme médiatique permanent dans l’espoir de la compenser.

2) La victoire de N. Sarkozy en 2007 repose sur un malentendu pour ne pas dire une manipulation autour du thème de la rupture.

Les Français ont vu en lui l’homme de la rupture avec le système. Mais N. Sarkozy est surtout l’homme qu’a propulsé le système pour rompre avec l’exception française.
La conséquence est que le président de la République met pour le moment en œuvre une action qui ne peut répondre à l’attente du corps électoral qui l’a élu. Trois exemples :

a – une « ouverture » uniquement à gauche ;

b – le lancement de chantiers qui ne concernent pas le quotidien immédiat des Français : mini-traité européen, posture ambiguë sur la Turquie, alignement « atlantique » pro-américain et pro-israélien marqué, promotion de l’union méditerranéenne, présidentialisme, commission pour libéraliser (plutôt que libérer…) la croissance, Grenelle de l’environnement, multiples initiatives internationales (Darfour, infirmières bulgares, Arche de Zoé…), etc. ;

c – pas de remise en cause réelle de l’immigration de peuplement (M. Hortefeux se considérant autant « le ministre du droit d’asile » que le ministre de l’identité) et de la logique d’intégration (que l’on va renforcer dans un sens discriminatoire à l’égard des Français de souche).

Ce faisant, le président paye ainsi sa dette vis-à-vis du système en engageant les ruptures que celui-ci réclamait. Mais, a contrario, une fois celles-ci réalisées, il perd progressivement de son utilité et risque de devenir lui-même le fusible du système.

Cela conduit à s’interroger sur la signification, en termes de dynamique sociale, de l’élection de N. Sarkozy.
Valéry Giscard d’Estaing incarnait la droite moderne face au gaullisme sur le déclin, F. Mitterrand incarnait le peuple de gauche face à la droite, J. Chirac incarnait une certaine image du gaullisme (même si c’était à tort) et en 2002 la France immigrée aussi (qui en 2007 s’est, en revanche, massivement portée sur S. Royal).
N. Sarkozy n’incarne pas d’autre force que celle de la survie du système : ses seuls réels soutiens sont la classe médiatique, le MEDEF et les patrons du CAC 40. Et, bien sûr, la solidarité internationale de tous les tenants du système.
En d’autres termes, son élection exprime la prétention de la nouvelle classe économique issue de la mondialisation à exercer le pouvoir souverain ou, pour le dire encore autrement, la domination des valeurs marchandes (qu’exprime le couple marché/morale qui est au cœur du modèle anglo-saxon, modèle qui fascine la nouvelle classe). Or le problème est que cette nouvelle classe s’impose justement par la négation des peuples et des nations. Sa rencontre avec le peuple français ne peut donc qu’être conflictuelle.

De fait et symboliquement le nouveau président, hier si habile à soigner son image, ne cesse curieusement, depuis qu’il est élu, d’accumuler les fautes de goût : croisière luxueuse après son élection, vacances aux Etats-Unis, soirée au « Fouquet’s », revalorisation de sa rémunération, divorce « people » avec Cecilia…
Tout cela ne correspond pas à l’image traditionnelle d’un président de la République mais s’accorde très bien avec la mentalité arrogante de la nouvelle classe. Cela a en tout cas laissé des traces durables et négatives dans l’opinion et donne une dimension nouvelle à la coupure entre la France d’en haut et celle d’en bas.

3) Les Français croyaient avoir élu un président ; ils découvrent qu’ils n’ont élu qu’un candidat.

« Ensemble tout est possible » : tel était le slogan de la campagne présidentielle, manière emblématique de traduire l’habile communication du candidat, capable de promettre tout à tout le monde.
Mais, devenu président, N. Sarkozy continue pourtant sur le même registre : chaque jour apporte son nouveau lot de déplacements éclairs, de promesses, de « lettres » ou de déclarations tonitruantes autour du thème « Je veux » ceci ou cela.

Hélas, gouverner implique de dépasser le stade du discours pour se confronter au réel et pour rendre possible le souhaitable.
Ainsi dans sa Lettre aux enseignants il déclare par exemple : « Je souhaite » que les élèves se lèvent quand le professeur entre dans la classe… Fort bien. Mais quels moyens sont mis en œuvre pour réaliser cette volonté ? Mystère…

L’activisme présidentiel commence en outre à donner une image non d’activité mais d’instabilité : image inquiétante pour celui qui est en charge de nos intérêts vitaux dans un monde dangereux.

L’activisme médiatique conduit aussi parfois à s’interroger sur les curieuses priorités présidentielles : recevoir un lycéen victime « d’injures racistes », faire lire la lettre de G. Môquet dans les écoles ou aller au Tchad négocier en personne la libération des membres d’une obscure association…

En réalité, ce « volontarisme » est uniquement destiné à la médiatisation et non à l’action. Or, sans effet positif mesurable sur leurs conditions réelles d’existence, les envolées périodiques sur le thème de la « volonté » présidentielle finiront à la longue par lasser les Français, puis à devenir proprement ridicules, et enfin odieuses.

Tout nouveau pouvoir connaît, bien entendu, une période d’ajustement et de maladresses. La différence est que celles-ci n’ont pas l’air de se réduire avec le temps mais ont plutôt tendance à s’amplifier.
Les Français commencent à se demander si, dans le spectacle présidentiel qu’on leur présente depuis six mois, il n’y a pas une grave erreur de casting.
La question est donc de savoir si le pouvoir médiatique sera suffisant dans la durée pour garantir la pérennité d’une politique qui semble manifestement plus destinée à convaincre le Congrès américain que nos concitoyens.

Michel Geoffroy
© Polémia
08/11/07

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