Finances publiques françaises : le péril argentin

lundi 3 septembre 2007
On prête au président de la République la formule suivante : « Jusqu’ici tout va bien ; le seul problème, c’est Cécilia ». Or, indépendamment des indisponibilités passagères de Madame Sarkozy, la France devra faire face à de grosses difficultés telles que l’argentinisation de ses finances publiques, la grave crise financière connue par l’Argentine de 1998 à 2001 s’expliquant notamment par l’incompatibilité entre, d’un côté, sa dette extérieure et sa dette publique (50% du PNB) et, de l’autre, l’alignement de sa monnaie, le peso, sur une monnaie étrangère, en l’occurrence le dollar. En étant dans la zone euro tout en acceptant de voir les fondamentaux de son économie s’écarter notablement de ceux de ses partenaires, les autorités françaises font courir au pays des risques pour sa prospérité, sa puissance et son indépendance.

Explications :

Durant la campagne présidentielle du printemps 2007, sans tenir compte de l’encours de la dette publique – 1180 milliards d’euros, les deux tiers du PIB –, les deux candidats finalistes ont proposé près de 30 milliards de déficit supplémentaires : plutôt sous forme de dépenses pour la candidate socialiste, plutôt sous forme de moins-values fiscales pour le candidat de l’UMP. C’est ce dernier programme qui commence à être mis en œuvre. On peut, certes, juger préférable une diminution des recettes fiscales à une augmentation des dépenses. Il reste que cela ne manquera pas d’aggraver le déséquilibre des comptes publics, d’autant plus que dans une économie ouverte les politiques de relance par la consommation de type keynésien ne fonctionnent pas.

1/ Déficit annuel des finances publiques : plus de 55 milliards en 2008 ?

Le solde négatif prévu pour le budget de l’Etat pour 2007 s’élève à 42 milliards ; s’y additionne le déficit prévu des comptes sociaux à hauteur de 12 milliards. A ces sommes viendra s’ajouter en 2008 l’impact des mesures budgétaires nouvelles : de l’ordre de 12 à 15 milliards, compte tenu des décisions du Conseil constitutionnel atténuant le coût des dégrèvements fiscaux au bénéfice des acquéreurs de logement. Même en tenant compte des plus-values fiscales mécaniquement attendues de la croissance, au demeurant modeste de l’économie, cela portera probablement à au-delà de 55 milliards le déficit pour 2008. Ce qui conduit le prévisionniste Patrick Artus, de chez Natexis, à annoncer, selon les critères de Maastricht, une remontée du déficit français à hauteur de 3% du PIB.

2/ Les limites du non-renouvellement du départ en retraite d’un fonctionnaire sur deux

Le gouvernement a verbalement « gagé » les avantages fiscaux consentis aux contribuables en annonçant qu’un fonctionnaire d’Etat sur deux partant à la retraite ne serait pas remplacé. Proposée, il y a plus de 20 ans, par le Club de l’Horloge et l’association « Printemps 86 », cette mesure va dans le sens d’une gestion plus rigoureuse de l’Etat. Mais il ne faut ni en surestimer l’impact réel, ni sous-estimer les difficultés pratiques de sa mise en œuvre.

La France comptait en 2004 5.108.000 fonctionnaires ; la moitié seulement, 2.573.000, appartenaient à la fonction publique d’Etat ; les autres relevaient des collectivités territoriales ou de la fonction publique hospitalière. En ne remplaçant en moyenne que 35.000 fonctionnaires d’Etat sur les 70.000 appelés à partir en retraite chaque année d’ici 2011, le budget épargnerait 7,5 milliards d’euros en 2012, soit à peine le sixième du déficit actuel (hors déficits sociaux) ! Encore convient il de souligner qu’une partie de ce gain sera mécaniquement absorbée par l’augmentation du nombre de retraités de la fonction publique, celle-ci étant due à l’arrivée de classes d’âge à gros effectifs à l’heure de la sortie d’activité, alors même que les retraités plus anciens que la mort fait disparaître appartiennent, eux, à des cohortes moins nombreuses.

Enfin les économies annoncées supposent des changements profonds dans l’organisation de la fonction publique ; réformes que le gouvernement a mises opérationnellement à l’étude dans le cadre de la revue générale des politiques publiques (RGPP). Celles ci ne pourront toutefois se borner à toucher les armées, l’intérieur, l’équipement ou les finances mais devront aussi pleinement concerner l’éducation nationale qui, à elle seule, emploie la moitié des fonctionnaires d’Etat. Or, réduire les effectifs de cette grande administration suppose des mesures drastiques telles que :

- ne pas payer des décharges horaires indues ; solution envisagée par les décrets Robien adoptés début 2007 mais ensuite retirés par le gouvernement Fillon ;
- diminuer le volume horaire des enseignements délivrés ; ce qui suppose une réflexion de fond sur les points d’application d’un tel dispositif ;
- augmenter le nombre d’élèves par professeur ; facile à justifier puisque l’amélioration du taux d’encadrement pédagogique des élèves au cours des 30 dernières années ne s’est pas traduite par de meilleures performances… Mais difficile à faire accepter ;
- donner une réelle possibilité au secteur privé – conventionné ou non conventionné – de développer librement sa part de marché au détriment de l’enseignement public.

Chacune de ces solutions est envisageable : mais toutes se heurteront à de fortes oppositions des syndicats d’enseignants, bien sûr, mais aussi, pour certaines d’entre elles, des parents d’élèves (ou de leurs associations) et des élus locaux.

Ainsi, aussi justifiée et populaire qu’elle puisse paraître, la réduction du nombre de fonctionnaires ne peut à elle seule permettre la résorption du déficit des finances publiques.

3/ L’explosion des « droits à… »

On peut distinguer deux sortes de crédits publics : ceux qui sont fixés en début d’année de manière limitative par les autorités publiques ; ceux dont le montant final dépend de décisions individuelles de faire jouer des droits à prestations. C’est cette dernière catégorie de dépenses qui a explosé au cours des vingt dernières années, pesant notamment sur l’équilibre des finances locales qui se sont alors retournées vers l’Etat pour obtenir des abondements de recettes correspondants.

Créé en 1988, le RMI concerne, en 2005, 1,1 million de personnes et coûte 5 milliards ; deux allocations voisines, l’allocation de parent isolé (API) et l’allocation de solidarité spécifique (ASS) (post allocation chômage) intéressent 200.000 personnes pour la première et 400.000 pour la seconde, coûtant au total 3 milliards. L’allocation d’adulte handicapé (AAH), que touchaient 400.000 personnes il y a vingt ans, compte aujourd’hui 800.000 attributaires recevant 5 milliards d’euros. La nouvelle prestation de compensation du handicap (PCH), qui concernait 100.000 personnes en 2005, aura 400.000 bénéficiaires en 2010. Et l’aide personnalisée à l’autonomie (APA), qui s’adresse aux personnes âgées dépendantes, a coûté 3,88 milliards pour 912.000 allocataires en 2005 mais bénéficiera à 1,5 million de personnes en 2015. Créée en 1999, la couverture médicale universelle (CMU) avait 1.200.000 allocataires en 2001, 1.700.000 en 2005 : le chiffrage du coût de la CMU n’est pas connu puisque celui-ci est intégré dans le budget global de l’assurance maladie ; toutefois, le seul coût de la CMU complémentaire s’élevait à 1,4 milliard en 2005. Quant à l’aide médicale d’Etat (AME), sorte de Couverture médicale universelle – CMU – pour les étrangers clandestins, elle avait 60.000 bénéficiaires en décembre 2002, 200.000 en 2005 pour un coût de 406 millions.

S’élevant à près de 20 milliards, ces prestations de solidarité et d’assistance sont en forte expansion sous un double effet :

- d’aubaine : toute prestation nouvelle fait émerger des besoins inédits, y compris venant de l’étranger, et suscite des demandes supplémentaires, parfois mais pas toujours justifiées ; le coût de toute prestation nouvelle se révèle donc constamment plus élevé que les prévisions initiales ;
- démographique : le vieillissement de la population entraîne l’augmentation du nombre des personnes handicapées et dépendantes.

4/ Le financement incertain d’un cinquième risque social alors que la couverture des risques vieillesse et maladie est déjà en déficit

Le président de la République a annoncé que le « handicap » serait désormais traité à l’avenir comme un cinquième « risque social » pris en charge par la solidarité nationale au même titre que la maladie, la vieillesse, la famille ou les accidents du travail et les maladies professionnelles. Annonce d’apparence généreuse mais dont il reste à savoir quel en sera le financement, alors même que l’équilibre des régimes de retraite n’est pas garanti et que la progression très rapide des dépenses de l’assurance maladie a conduit à la mise en œuvre de la procédure d’alerte en juin 2007 !

5/ La mondialisation des prestations sociales

Là aussi, la France doit faire face à une croissance structurelle des besoins sous le double effet de la montée du vieillissement (inscrit dans la pyramide des âges) et de la pression migratoire (conséquence des politiques adoptées). La poursuite des mouvements d’immigration à hauteur de 200.000 entrées régulières par an traduit notamment le fait qu’un nombre croissant de résidents étrangers ou de Français d’origine étrangère procèdent au regroupement familial de leurs proches à des fins médicales ; cette attitude, humainement bien compréhensible, n’en pose pas moins un problème structurel au système de santé français : comment éviter son déséquilibre financier durable alors que ses recettes sont fondées sur une assise territoriale limitée (la production française) tandis que ses prestations, et donc les dépenses induites, sont potentiellement étendues au monde entier ?

6/ L’inconnue de l’évolution des taux d’intérêt

Ce n’est donc pas seulement en diminuant les effectifs des ministères de l’équipement ou des finances que l’Etat peut espérer remettre de l’ordre dans ses comptes ; c’est aussi en posant le problème des prestations d’assistance ou de solidarité qu’il verse, et là les réformes seront infiniment plus dures à conduire ! La remise en ordre est pourtant à terme inévitable.

Elle pourrait d’ailleurs se révéler nécessaire plus rapidement que prévu.

Pour refinancer sa dette de 1.180 milliards l’Etat s’adresse au marché des capitaux : toute hausse des taux d’intérêts se répercuterait rapidement sur la charge de la dette et augmenterait d’autant le déficit public aggravant lui-même le volume de la dette. De plus, indépendamment de l’évolution générale des marchés, le maintien d’un déficit structurel des différents comptes français pourrait un jour conduire les agences de notation des emprunteurs à baisser la valeur de la signature de la France, entraînant mécaniquement une hausse des charges de refinancement de l’Etat.

7/ Le risque argentin

La situation financière de la France est d’autant plus préoccupante que son système idéologique et politique rend difficile la prise en charge des problèmes.

Idéologiquement : le poids du politiquement correct interdit le traitement de certains sujets ; ainsi les mesures inspirées par la logique de l’Etat-providence sont souvent jugées intouchables et même inévaluables dans un régime politico-médiatique fondé sur le clientélisme émotionnel ; quant aux bien réelles questions sur l’impact financier de l’immigration, elles sont considérées comme taboues.

Politiquement : le régime français n’est pas une démocratie parlementaire où des coalitions pourraient s’entendre pour agir (comme en République fédérale d’Allemagne, par exemple) mais un populisme médiatique où l’illusion et l’émotion dominent les processus électoraux, comme l’a montré l’élection présidentielle du printemps 2007.

A l’heure de la tyrannie médiatique, le présidentialisme français, voulu par le général de Gaulle, se révèle un régime politique bien proche du péronisme argentin. Ce n’est pas une garantie contre les crises financières !

Polémia
29/08/07
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