Martine Aubry et les 35 heures

dimanche 6 mai 2007
« Le Figaro magazine » a publié, le 28 avril, le courrier d'un de ses lecteurs rappelant cette déclaration faite par Martine Aubry en 1994 devant une assemblée de chefs d'entreprise : « Les 35 heures payées 39, c'est une supercherie » – déclaration rapportée par le mensuel « Capital » en décembre 1999. Dommage que ce lecteur n'ait pas apporté davantage de précisions sur l'hostilité aux 35 heures que Martine Aubry montrait à cette époque, car l'affaire mérite d'être contée.

En 1982, lorsqu'elle était la proche collaboratrice (très proche, murmurait-on) du ministre du Travail Jean Auroux, elle l'avait convaincu, ainsi que François Mitterrand, de la nécessité d'ajourner le passage progressif à la semaine de 35 heures promise par ce dernier avant son élection à la présidence de la République. On en était donc resté aux 39 heures décidées l'année d'avant. La CFDT, encore traversée par les utopies de ses jeunes années, en avait été fort marrie, car c'était là une de ses revendications. C'est même à l'instigation de cette confédération que François Mitterrand avait inscrit les 35 heures dans son programme.

Le 12 septembre 1991, Martine Aubry, devenue ministre du Travail, fut conviée à expliquer sa politique devant 5.000 militants de la CFDT réunis dans la salle du Zénith à La Villette. Ses propos ne recueillant qu'une médiocre approbation, elle lança :

« J'ai bien compris qu'ici, pour se faire applaudir, il faut parler de la réduction du temps de travail ! »

La salle, en effet, éclata en applaudissements. Depuis une vingtaine d'années, lors de tous les congrès de la CFDT, le vote d'une loi en ce sens, censée créer des emplois, était demandée.

« Eh bien, vous allez être déçus, enchaîna Martine Aubry, non sans courage. Je ne crois pas qu'une mesure généralisée de réduction du temps de travail créerait des emplois. »

Cette fois, les militants sifflèrent longuement le ministre, crièrent à la trahison (Martine Aubry avait été membre de la CFDT lors de sa création), tapèrent des pieds… Le tumulte s'apaisant, elle poursuivit :

« Il n'y a pas de recette miracle, il faut étudier les situations, faire du cas par cas, négocier la réduction du temps de travail là où c'est possible. »

Seuls quelques applaudissements isolés ponctuèrent son discours lorsqu'elle quitta la tribune.

Deux ans plus tard, dans la revue du ministère du Travail « Partenaires », elle mettait à nouveau en garde contre une réduction générale de la durée du travail par la loi. Ce sont les partenaires sociaux, expliquait-elle, qui devaient la négocier pour tenir compte à la fois « des aspirations des salariés » et de « la variété des situations des entreprises ».

En avril 1997, Jacques Chirac, mal conseillé et croyant faire un coup de génie, décida la dissolution de l'Assemblée nationale… ce qui porta à l'hôtel de Matignon Lionel Jospin. Celui-ci, influencé par ses amis trotskystes, avait promis, lui aussi, la semaine de 35 heures « pour créer des emplois » et il entendait s'y tenir. Martine Aubry, désireuse de redevenir ministre, accepta de reprendre le ministère du Travail, même si c'était pour y pratiquer une politique en laquelle elle ne croyait pas. Elle prépara donc une modification de la loi sur la durée légale du travail, tout en ouvrant avec les partenaires sociaux, pour la forme, une négociation… qui fut interrompue presque aussitôt lorsqu'elle déposa son projet de loi.

Ainsi Martine Aubry prit-elle rang, si modeste soit celui-ci, sur la liste des politiciens ralliés par souci de carrière à une politique contraire à leurs convictions.

Chronique économique, syndicale et sociale
Morvan Duhamel
© Polémia
04/05/07
Archives Polemia