Il est possible de sauver l’école

lundi 11 décembre 2006
Audition d’un haut fonctionnaire, normalienne et énarque, présidente fondatrice d’une association appartenant au large mouvement militant pour « libérer l’école ».

Chaque jour, l’actualité apporte son lot de mauvaises nouvelles dans le domaine de l’éducation. La France est, en effet, secouée par un séisme éducatif qui n’est plus contesté, tant à droite qu’à gauche. Certes, certains formateurs des IUFM font assaut de démagogie pour affirmer que le niveau monte, mais sans convaincre quiconque.

On en veut pour preuve les nombreux livres – témoignages émanant d’enseignants revendiquant des idées de gauche, à l’image de Rachel Boutonnet ou de Jean-Paul Brighelli, ou même de journalistes, telle Nathalie Polony, cette journaliste à « Marianne » qui a écrit « Nos enfants gâchés ».

On ne saurait non plus passer sous silence la multiplication des films nostalgiques témoignant du désir de renouer avec un enseignement traditionnel et une véritable école. La liste est longue, des « Choristes » au film documentaire « Etre et Avoir », en passant par « Le Pensionnat de Chavagne », émission de téléréalité.

Plus éclairantes sont cependant les statistiques accablantes, publiées, bon gré mal gré, par le ministère de l’Education nationale, qui apportent la preuve que l’Ecole ne sait plus transmettre : aujourd’hui, un tiers des élèves ne sait pas lire à l’entrée en sixième, 45 % des titulaires du bac professionnel sont au chômage, sept mois après l’obtention de ce diplôme, et près de 160 000 élèves sortent chaque année du système sans qualification.

En réalité, notre pays connaît une crise structurelle et civilisationnelle sans précédent qui dure depuis maintenant près de soixante ans.

En dépit de cette crise, qui atteint maintenant aussi bien les élèves que les maîtres, aucune réforme digne de ce nom n’a été menée à bien. Le gouvernement se contente de réformettes. Encore sont-elles généralement avortées (à l’image de la récente réforme de l’apprentissage de la lecture, totalement vidée de sa substance sous la pression des syndicats).

La seule réponse gouvernementale à l’effondrement du système éducatif est l’augmentation du budget, qui ne résout rien en elle-même et renforce de surcroît la puissance des syndicats (rappelons que le ministère de l’Education est le ministère qui accorde le plus de décharges horaires au titre de responsabilités syndicales). Premier budget de la nation, avec 28 % des dépenses budgétaires en 2006, l’Education nationale absorbe 76,7 milliards d’euros ; ce qui, avec environ 4,3 % du PIB, place l’effort éducatif de la France, si l’on y ajoute les dépenses des collectivités territoriales, nettement au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE.

S’il est peu probable que les réformes nécessaires soient opérées par le gouvernement, c’est aussi parce qu’il ne dénonce jamais les causes profondes de la crise structurelle du système éducatif français. Or, comment pourrait-on remédier à un mal dont on ne comprend pas la cause ?

Si l’on veut bien admettre qu’il y a une crise éducative en France, on veut faire croire qu’elle est de nature sociale en proposant des explications bourdieusiennes, selon lesquelles les différences sociales expliqueraient tout ; les questions d’immigration sont volontairement laissées de côté, l’éclatement de la famille n’est pas pris en compte, pas plus d’ailleurs que la disparition des valeurs (travail, mérite, autorité) sur lesquelles l’école laïque s’est construite. Les ravages de la télévision, des multimédias et de la pornographie publicitaire ne sont pas même pris en compte alors qu’ils sont essentiels. Pire, les psychologues omniprésents dans notre société et les médecins fonctionnaires médicalisent ce qui n’est qu’une incapacité du système et aboutit à fabriquer chaque jour de nouveaux malades. Plutôt que dire d’un enfant qu’il a subi une mauvaise méthode de lecture, on préférera dire qu’il est dyslexique, avant de dire qu’il est discalculique, dysorthographique, puis en échec scolaire voire inadapté et parqué en CLIS ou SGPA ! Autre phénomène de régression, celui qui consiste à ne jurer que par « le droit à l’égalité des chances » alors que, dans le même temps, on renonce à l’égalité de prestations de l’école en tous points du territoire et que l’on maltraite les enfants ayant des capacités tant soit peu hors norme.

La suppression des moyens de faire respecter la discipline, le refus de sélection (qui se traduit, par exemple, par le refus de créer des classes de niveau ou de professionnalisation précoce), l’hostilité à l’égard de l’acte même de transmission au profit d’une sorte d’auto-enseignement de l’élève supposé accéder par lui-même au savoir, la déresponsabilisation organisée des parents (interdiction des devoirs à la maison, pilule du lendemain distribuée gratuitement et à l’insu des parents dans le collège par l’infirmière depuis le décret de Ségolène Royal, cours d’éducation sexuelle officiellement destinés à extirper les préjugés diffusés en famille !) … tous ces éléments sont au cœur de la crise éducative.

Au-delà de toutes ces constatations il convient de se poser les questions permettant de connaître et de comprendre la vraie nature de la crise qui est d’abord et avant tout structurelle et qui s’auto-entretient, les élèves des soixante-huitards devenant à leur tour professeurs et parents d’élèves.

Le problème éducatif trouve ses racines dans la structure même du système éducatif : il est monopolistique ; cette réalité totalitaire dans son principe, créée par Napoléon Ier à une époque de guerre idéologique, a perduré alors que toutes les valeurs des droits de l’homme et de l’Etat de droit dénoncent de telles pratiques. Comment l’école, domaine de la formation de l’esprit, pourrait-elle faire l’objet d’un monopole, dès lors que l’on reconnaît la liberté d’opinion, de conscience et de religion ?

La crise est aussi civilisationnelle et culturelle, mais surtout spirituelle puisque les maître actuels ne disent pas (et souvent ne savent pas bien) sur quelle anthropologie et métaphysique ils fondent leur pédagogie. L’Ecole souffre ainsi de l’amputation de la dimension spirituelle de l’homme.

Que faire ?

S’agissant du public, d’aucuns pensent que le système est réformable de l’intérieur, mais la réforme de l’enseignement public est impossible quand on connaît le poids des syndicats et la taille de la bête à réformer (13,5 millions d’élèves gérés par 1,5 million de professeurs). Le système va imploser de lui-même. Aujourd’hui, les jeunes professeurs veulent en finir avec l’idée de l’école comme lieu de réformisme politique de révolution dans les esprits ; de plus en plus de personnes pensent que l’école doit être repensée comme lieu de transmission de la connaissance, ce qui implique, bien sûr, la redéfinition des programmes et la reconnaissance de la liberté pédagogique des professeurs.

Pour hâter ces évolutions dans le public, il conviendrait de susciter la création de syndicats de parents d’élèves et de professeurs acquis aux réformes pour faire contrepoids aux syndicats politisés actuels, qui ne cherchent qu’à maintenir leurs privilèges statutaires. Mais c’est une œuvre de longue haleine qui ne peut porter rapidement ses fruits.

L’école privée sous contrat offrirait-elle alors une planche de salut ? Non, car si l’enseignement catholique est plébiscité par plus de 51 % des parents qui voudraient y scolariser leurs enfants, l’Etat, depuis les lois Chevènement de 1985, s’oppose à ce que le privé sous contrat scolarise plus de 20 % des enfants. Ainsi, à la rentrée 2006, a-t-il dû refuser 29 000 enfants, faute de place.

En fait, l’enseignement privé sous contrat ne peut apporter une solution face à la crise non seulement pour des raisons financières, mais surtout parce qu’il a, peu ou prou, perdu ses avantages comparatifs pour s’aligner en pratique quasi intégralement sur l’Education nationale. Il s’est affadi et banalisé, les manuels ne sont pas neutres, non plus que les programmes et les professeurs, gagnés eux aussi par l’état d’esprit dominant à tel point, d’ailleurs, que Paul Malartre, secrétaire général de l’enseignement diocésain, définit l’enseignement catholique sous contrat comme un délégataire du service public d’enseignement !

Face à une telle situation, les parents d’élèves et les professeurs des établissements sous contrat doivent mettre à profit toutes les marges de manœuvre, en suscitant notamment la rédaction de manuels scolaires conformes à la vision de l’homme traditionnel, en refusant de confier la formation des professeurs à la machine à déformer que sont les IUFM (ce qui passe par une renégociation des accords Lang-Cloupet de 1992-1993), mais aussi en utilisant la liberté totale dont ils disposent pour les matières hors contrat. On peut parfaitement, en effet, créer des enseignements complémentaires en philosophie, histoire, théologie, théâtre, histoire des idées, histoire de l’Eglise… Mieux, les responsables de l’enseignement privé sous contrat peuvent renégocier le cadre contractuel dans son ensemble pour recouvrer la liberté d’enseignement et tirer ainsi profit du rapport de force qui est extraordinairement favorable au privé aujourd’hui. L’Establishment politique et médiatique, à commencer par la gauche, y a placé à l’abri ses rejetons : ils n’accepteraient pas que tout financement soit coupé au privé sous prétexte que ce dernier aurait décidé de raviver son caractère propre.

Mais la solution réside surtout dans la création de nouvelles écoles autour de professeurs motivés et ayant une conception cohérente de l’homme afin de délivrer un enseignement structuré aux élèves. Pour ce faire, nous devons nous départir de notre étatisme atavique. Non, ce n’est pas à l’Etat de créer des écoles ! Le domaine de l’esprit ne saurait être pris en charge par l’Etat. Nous avons besoin de pluralisme afin que les différents styles d’enfant puissent réussir dans différents styles d’école, le tout dans le plein respect de leur religion. L’Eglise doit se réconcilier avec la liberté scolaire.

Il ne faudrait pas croire qu’en créant des écoles on ne s’occupe que d’une petite minorité, d’une élite, en laissant le gros des bataillons scolaires à la dérive. C’est en réalité en créant un petit secteur entièrement libre (et seulement ainsi) que l’on contraindra à la réforme l’ensemble du système éducatif français. Le développement d’écoles indépendantes n’est rien d’autre, finalement, que la mise en pratique d’une stratégie altruiste puisque, finalement, seule une vraie concurrence peut pousser l’Education nationale à se réformer. De plus, à l’image de ce qui s’est passé en Nouvelle-Zélande où la création d’écoles indépendantes accueillant 2 % des élèves a suffi pour générer une dynamique de réforme générale, ces écoles peuvent servir de laboratoires de bonnes pratiques et de lieux d’innovation.

La chance de la France est justement que ce mouvement de création d’école est déjà bien amorcé. C’est une révolution silencieuse qui ne fait pas de bruit mais qui a bien lieu. Ces nouvelles écoles seront le levain dans la pâte et contribueront efficacement au renouveau éducatif dont la France a besoin. Il en existe 450 scolarisant 30 000 élèves. Et en septembre 2006, 27 écoles supplémentaires ont ouvert leurs portes. Une association (l’association Créer son Ecole) les aide depuis 2004 à se créer sur un plan technique et juridique.
Ces écoles ont, en effet, des atouts structurels objectifs :

— elles constituent un excellent cadre éducatif qui explique la forte demande en direction de ce type d’établissement ;
— étant soumises à une obligation de résultat, elles sont gérées efficacement et poussées à se doter d’un corps professoral compétent et habité par la vocation de l’enseignement ;
— de taille humaine, elles délivrent un enseignement individualisé respectueux des personnes et utilisant des méthodes empruntées aux traditions les plus fécondes ;
— librement choisies par les familles en raison de leur projet pédagogique, elles dispensent une formation en harmonie avec l’éducation familiale.


Si l’on veut aujourd’hui donner à un plus grand nombre d’enfants la chance d’être scolarisés dans de telles écoles, il faut multiplier ces dernières. C’est pourquoi est née la « Fondation pour l’école » qui vise à financer les meilleurs projets d’école et à instituer un système de formation des professeurs alternatif à ce que proposent les IUFM :
(www.créer-son-école.com/index.php?page=17)
(www.fondationpourlecole.org; contact@fondationpourlecole.org)

Sur le site de la Fondation Polémia :
– Il faut refonder l’école primaire
www.polemia.com/contenu.php?cat_id=36&iddoc=1341
– Inutile de réformer l’Education nationale, il faur créer des écoles
www.polemia.com/contenu.php?cat_id=36&iddoc=1342
– « La fabrique du crétin : la mort programmée de l’école »
www.polemia.com/contenu.php?cat_id=36&iddoc=1254
– Colloque « La finalité de l’école »
www.polemia.com/contenu.php?cat_id=36&iddoc=1241
– Laurent Lafforgue, un grand ami de la langue française
http://www.polemia.com/contenu.php?iddoc=1112&cat_id=16

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