« Inutile de réformer l’Education nationale, il faut créer des écoles »
Entretien : Anne Coffinier

lundi 9 octobre 2006
Anne Coffinier est une ancienne élève de l’ENA et de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm ; elle est diplomate de profession et mère de trois enfants. Confrontée au désastre de l’Education nationale, elle s’est lancée dans le conseil à la création d’écoles indépendantes avec l’association « Créer son école ».

— Anne Coffinier, vous vous êtes fait connaître en proposant tout simplement aux parents de créer leur école. Comment avez-vous été conduite à cette action ?

— Tout simplement parce qu’il m’est apparu comme une évidence que l’Education nationale ne se réformerait jamais d’elle-même. Le caractère monstrueux de cette réalité m’a prise à la gorge : des millions et des millions d’élèves vont continuer à être mutilés à vie. Si mon propos vous semble exagéré, considérez ce seul fait brut, tiré des propres statistiques de l’Education nationale : plus d’un élève sur trois ne sait pas lire en 6e. Voulons-nous vraiment accepter cela ? Cela équivaut à un suicide national. Il est donc vital de restaurer coûte que coûte un système éducatif solide. Les réformettes se sont empilées sans que le redressement attendu ait eu lieu. Car l’Education nationale est en réalité structurellement incapable de se réformer, en raison de l’omnipotence des syndicats mais aussi de son gigantisme, de sa bureaucratisation centralisatrice… Puisqu’il n’est pas de solution de l’intérieur, il faut agir à l’extérieur et à côté de ce grand corps malade qu’est l’Education nationale. Comment ? En créant des écoles, tout simplement. Des écoles à taille humaine, fermement dirigées, construites autour d’une équipe de professeurs compétents et portés par la vocation d’enseigner. Une totale liberté de moyens est laissée aux professeurs mais ils seront comptables des résultats. Il y a partout en France, dans le public ou le privé, des professeurs expérimentés et habités par la vocation de l’enseignement. C’est tout simplement en s’appuyant sur ces personnes (mais aussi sur les parents qui ont la charge de l’enseignement) que l’école sera sauvée. Car il n’est de richesse que d’hommes. C’est dans cette perspective que j’ai fondé « Créer son école » en février 2004 pour accompagner juridiquement et pratiquement les créateurs d’école. Il y a déjà 450 écoles indépendantes en France et une trentaine supplémentaire ouvrent à la rentrée.

— Quel bilan pouvez-vous faire de votre action ?

— Notre association est devenue tout naturellement la plateforme de services des créateurs d’école et le centre d’information des familles à la recherche d’écoles. Créer son école a mis en ligne sur Internet un manuel complet de la création d’école : ‹www.creer-son-ecole.com›. Une base de données actualisée de toutes les écoles entièrement libres est accessible gratuitement. Les projets d’école sont référencés ainsi que les familles volontaires qui font l’école à la maison sur la base d’une pédagogie classique. L’association repose sur un réseau d’experts en droit des associations, droit fiscal, ainsi que des créateurs d’école expérimentés… Elle mutualise le savoir-faire accumulé par les différents créateurs d’école.
En novembre, nous publierons en version papier un gros guide sur les écoles indépendantes comprenant un annuaire entièrement actualisé des écoles hors contrat classées par catégories ainsi qu’un manuel destiné aux créateurs d’école. Nous avons également élaboré une brochure-argumentaire sur les écoles entièrement libres qui est très demandée (en vente au prix de 3,50 euros sur notre site Internet).

« La fiscalité actuelle est favorable aux créations d’écoles. »

Nous participons actuellement au lancement d’une fondation (la Fondation pour l’école) dont le but est d’apporter un soutien financier aux écoles indépendantes et de mettre en place un institut de formation des professeurs.

— Vous pensez qu’il y a donc un espace pour le privé hors contrat, mais que faut-il alors penser du privé sous contrat ?

— Il y a un besoin d’écoles, de vraies écoles. Or, l’Enseignement privé sous contrat, parce qu’il est beaucoup trop contraint, ne peut pas offrir le cadre du renouveau éducatif dont nous avons besoin. L’Enseignement catholique sous contrat est asphyxié par un double carcan financier et juridique. Son avenir est compromis et son expansion impossible.
Il faut savoir que le mode de financement du privé interdit qu’il scolarise plus de 17 % des élèves et lui rend impossible de fonder de nouveaux établissements car le code de l’Education prévoit que l’Etat ne peut envisager de subventionner un établissement nouveau qu’après cinq ans d’existence.
Enfin, les dirigeants de l’Enseignement catholique français ont peu à peu renoncé au caractère propre, si l’on excepte une parenthèse catéchétique plus ou moins substantielle : en effet, les écoles catholiques sous contrat (à quelques trop rares exceptions près) ont les mêmes programmes, les mêmes manuels, les mêmes professeurs (puisqu’ils passent les mêmes examens et passent par les mêmes IUFM) dont la carrière dépend entièrement de l’Inspection de l’Education nationale. Elles connaissent une même dérive anonyme et technocratique. La récente loi Censi illustre tristement l’ampleur des renoncements puisqu’elle fait des professeurs du privé sous contrat des agents publics et retire aux directeurs d’établissement la possibilité de recruter eux-mêmes leur corps enseignant. L’avenir du sous-contrat est, fort du soutien populaire dont il dispose, de renégocier entièrement le cadre juridico-financier qui le régit de manière à recouvrer une entière liberté. En attendant ce moment, il pourrait déjà développer des classes hors contrat à forte identité au sein de ces établissements sous contrat, comme la loi le permet.

— L’espace de développement du privé hors contrat n’est-il pas trop restreint en France, compte tenu des conditions actuelles de la fiscalité ?

— Vingt-cinq pour cent des parents trouvent les moyens de payer des cours du soir à leurs enfants. Or ces derniers coûtent, pour huit heures par mois, environ 160 euros après réduction d’impôt. C’est justement le coût moyen d’un mois de scolarité dans un bon établissement primaire hors contrat ! J’en déduis donc que 25 % des parents peuvent inscrire leurs enfants dans de tels établissements ! Et puis, le cadre fiscal est en réalité favorable puisqu’il offre des déductions d’impôt de 66 % aux particuliers qui veulent aider ces écoles (et 60 % aux entreprises). Au demeurant, il serait normal que l’éducation soit notre priorité dans la gestion du budget familial. Que nous payions déjà trop d’impôts à l’Etat n’y change rien, tout au contraire, puisque par le biais des déductions fiscales nous contraignons finalement l’Etat à financer 66 % de l’école que nous avons choisi d’aider !

— Le développement du privé hors contrat ne risque-t-il pas d’accompagner la communautarisation de notre société ?

— La communautarisation de la société française est déjà en cours alors que les écoles hors contrat représentent à peine 2 % des enfants de France. Les écoles à forte identité (comme le sont souvent les écoles hors contrat) n’en sont donc pas la cause. C’est le credo relativiste de notre société qui alimente le communautarisme. Si notre société portait des valeurs positives ancrées dans le droit naturel, le communautarisme reculerait. S’agissant des écoles, il est important que les enfants, surtout s’ils sont jeunes, soient élevés dans un cadre cohérent et protégés de la fureur du monde, en continuité avec les convictions de leur famille. Enfin, il me semble important de rappeler que les parents sont les premiers éducateurs, et non l’Etat ou même l’Eglise. Ces derniers n’interviennent qu’en soutien aux parents, par délégation.

privées sera-t-il possible ? Qu’en sera-t-il de la collation des diplômes ?

— Il est toujours possible de passer d’un établissement à l’autre. Quand la réputation d’un établissement hors contrat est établie, les élèves sont accueillis à bras ouverts. Lorsque les écoles hors contrat sont récentes, les élèves sont soumis à un examen d’admission. Mais ce n’est souvent qu’une pure formalité vu la différence de niveau. S’agissant des diplômes, jusqu’au bac, il n’en va pas différemment du privé sous contrat : les élèves vont passer les examens dans des centres d’examens et obtiennent les diplômes nationaux.

— Anne Coffinier, est-il indiscret de vous demander comment vous scolarisez vos enfants ?

— Mes deux aînés (CE2 et maternelle) fréquentent une petite école catholique hors contrat de Paris, que j’ai choisie parce que des enseignements classiques y sont délivrés avec rigueur par des professeurs motivés, dans le souci d’apprendre aux enfants à rechercher le vrai, le bien et le beau, le tout dans une atmosphère familiale et chrétienne.

Propos recueillis par Olivier Pichon
Article paru dans « Monde & Vie » n° 768 du 23/09/06

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