« Le Premier Sexe », par Eric Zemmour

samedi 11 mars 2006
Il est possible d’être journaliste au « Figaro » et anticonformiste. Eric Zemmour en a déjà apporté la preuve. Il récidive dans un court pamphlet incisif et iconoclaste : «Le Premier Sexe».

La thèse est simple : le « deuxième sexe », décrit il y a plus d’un demi-siècle par Simone de Beauvoir, est devenu le premier. Et même le seul. « L’homme est une femme comme les autres » et « le père… une mère comme les autres ». Audiard, Ventura et Gabin sont morts et Michel Blanc incarne le nouvel idéal masculin. On est passé du monde du « Clan des Siciliens » à celui de « Trois hommes et un couffin » ou de « Je vous trouve très beau ». Les causes de cette mutation radicale sont nombreuses.

La plus lointaine remonte à la grande ordalie de 1914 qui a dévalorisé les valeurs guerrières par sa débauche d’offensives vaines et d’héroïsme inutile. Dans la foulée, les femmes ont découvert l’usine et le féminisme. Et le féminisme l’arme absolue en disqualifiant le « macho ». L’idéologie 68, « peace and love », a permis une nouvelle avancée des valeurs féminines. Et le capitalisme, puissante machine créant et vivant de l’indifférenciation, y a trouvé son compte ; les femmes sont devenues des producteurs comme les autres, tirant le coût des salaires à la baisse ; et les hommes des consommateurs comme les autres, créant de nouveaux débouchés aux multinationales de la fringue et de la frime. Les pygmalions du monde nouveau sont les homosexuels – pardon : les gays – et les images qu’ils véhiculent à travers la mode et la publicité façonnent les esprits et dévirilisent les hommes. L’homme moderne, ouvert à la publicité, s’épile, se pomponne, se parfume, s’achète des dessous et des bijoux et tout ça c’est bon pour la croissance !

Les conséquences de cette évolution sont nombreuses. C’est l’affaiblissement, sinon la disparition, du modèle masculin traditionnel : l’individu combatif, conquérant, courant des risques. Le sentimentalisme remplace l’énergie, l’émotion, la raison, la compassion, le conflit.

Sur les ruines de l’individu s’érige une nouvelle valeur : le couple. La société vit à l’ère de la « couplisation » éphémère qui prend la place de la famille inscrite dans la lignée de l’hérédité et de l’héritage. Dès qu’ « il y a un problème dans un couple », il se brise au détriment de la famille et des enfants. Dans cette société féminisée, où le « couple » est l’alpha et l’oméga de la vie sociale, il y a « de plus en plus d’enfants sans pères et donc sans repères ».

Dans cette société féminisée, la politique, qui est conflit, qui est combat (la distinction ami/ennemi, chère à Carl Schmitt), s’éloigne de son champ d’origine. Le vote n’est plus utile, il est futile. Longtemps « macho », Jacques Chirac devient et redevient président de la République, en se coulant dans la communication soft et conforme que lui prépare sa fille. Les priorités de son quinquennat sont la lutte contre le cancer, la lutte contre l’insécurité routière, la lutte contre le handicap, bref, un « beau programme pour président du conseil général ».

Cette évolution (involution ?) produit aussi une perte de dynamisme de la société qu’Eric Zemmour attribue moins au vieillissement qu’à la féminisation : car la femme conserve, elle ne crée pas, elle ne transgresse pas. L’érection (si l’on ose dire) du « principe de précaution » en principe central de la société ne va pas, il est vrai, dans le sens de l’innovation et de la rupture !

Dernier point soulevé par Eric Zemmour, la persistance de modèles masculins chez les minorités ethniques et religieuses. Ainsi « Le jeune Arabe est le non-dit le plus lourd de la société française » car « il appartient à un univers ou les hommes ne sont pas féminisés ». L’auteur retrouve ici une thèse développée par Alain Soral dans « Misères du désir ». Eric Zemmour voit même dans l’agression dont furent victimes de la part de Noirs et d’Arabes des jeunes Blancs, lors de la manifestation lycéenne du 8 mars 2005, une conséquence de la féminisation : pour lui c’est moins comme « riches » ou comme « blancs » qu’ils furent tabassés que comme « jeunes hommes gonzéifiés et méprisés ». C’est aussi à travers la féminisation de la société qu’Eric Zemmour interprète la crise identitaire des « jeunes juifs des quartiers populaires » qui « ont, eux aussi, trouvé une virilité par procuration, ils sont sionistes ». Eric Zemmour n’en parle pas, mais il y a aussi d’autres groupes de jeunes hommes blancs virils ou machos : skinheads, supporters de foot, militants d’extrême droite, mais ceux?là sont, il est vrai, d’autant plus marginalisés qu’ils sont l’objet d’une répression très sélective.

Au terme de l’ouvrage on s’interroge avec l’auteur sur les suites possibles du phénomène ainsi décrit : la disparition programmée par crise démographique et crise d’énergie d’un peuple français féminisé ? Son remplacement par les minorités ethniques restées viriles ? Un réveil progressif des modèles masculins, comme on l’a vu aux Etats-Unis où l’idéologie cow-boy remplace progressivement le féminisme des années 70 ?

Le livre d’Eric Zemmour irritera beaucoup. Il n’est exempt ni de parti pris, ni de contradictions. Mais il pose de vraies questions. Et il réhabilite un genre littéraire bien viril : le pamphlet.


Andrea Massari
© Polémia
10/03/06


Eric Zemmour, « Le Premier Sexe », Denoël.
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