« La barbarie intérieure : essai sur l’immonde moderne », de Jean-François Mattei

samedi 11 mars 2006
Pour le professeur de philosophie Jean-François Mattei, la crise de civilisation qui nous atteint trouve ses racines dans le marxisme et, au-delà, dans la Révolution française. Mais c’est en mai 68 qu’elle a pris une nouvelle dimension, particulièrement destructrice. L’auteur prend l’exemple de l’art, qui est très probant. La peinture moderne ne représente plus ni la figure humaine, ni les paysages, ni l’homme, ni le monde. Elle représente les états d’âme du « sujet ». Et l’on tombe vite dans l’immonde car le sujet replié sur lui-même, prisonnier de lui-même, est l’antithèse du monde civilisé. C’est la « terrible bête » aux cent appétits, aux instincts libérés de toute contrainte civilisatrice dont parlait Platon.

A la suite de Freud et de Marx, les idéologies soixante-huitardes venues des Etats-Unis (où elles ont prospéré avec l’émigration de l’Ecole de Francfort en Amérique) n’ont cessé de prôner la libération de la bête des contraintes de la civilisation bourgeoise. Et l’on s’étonne de la montée de la criminalité aux USA puis en Europe !

La barbarie a envahi l’éducation. Aux USA, en 2000, on comptait dans les écoles 11 000 agressions à main armée, 7 000 vols déclarés et 4 000 viols constatés. « Selon le département de la Justice, 25 % des adolescents font état de gangs à l’école et 66 % déclarent pouvoir se procurer de la drogue directement en classe. L’erreur pédagogique majeure a été d’ouvrir l’école sur la vie au lieu de la protéger contre les intrusions. De plus, l’erreur vient de ce que l’élève ou ce qu’il en reste, ne s’intéresse plus aux connaissances extérieures que l’école peut lui apporter et donc à ce qu’il pourrait devenir, un homme cultivé, mais à ses besoins intérieurs qui ne renvoient en dernier ressort qu’à sa subjectivité brute. Non seulement le sujet n’est plus en mesure de se hausser à l’excellence requise par la culture mais il n’est plus en mesure de se dépasser lui-même en sortant de son exclusion intérieure. »

Il y a aussi la barbarie politique qui prend deux aspects : la férocité des totalitarismes et la « vanitas » démocratique qui fait du sujet un Dieu. Pour le professeur Mattei, « le totalitarisme ne peut advenir que sur le sol d’une démocratie préalable dont les principes ruinent les sentiments, dont le formalisme subjectif ruine la substance de l’homme. Le monde démocratique a été la matrice de ces figures de la barbarie que sont le nazisme et le communisme parce qu’il avait déjà ramené l’homme à cette figure nouvelle de l’homme masse, la foule remplaçant le peuple ».

Et l’auteur cite Soljenitsyne pour nous avertir : « Un monde civilisé et timide n’a rien trouvé d’autre à opposer à la renaissance brutale et à visage découvert de la barbarie que des concessions (…). C’est l’état d’âme permanent chez ceux pour qui le bien-être matériel est devenu le but principal de leur vie sur terre. »


Yvan BLOT
© Polémia
10/03/06

Jean-François Mattei, « La Barbarie intérieure : essai sur l’immonde moderne », PUF.
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