« Dictionnaire historique de l’islam », par Jeanne et Dominique Sourdel

samedi 11 février 2006
L’islam agite l’actualité, mais la manière dont il est médiatiquement traité est rarement intellectuellement satisfaisante. Deux écueils ne sont pas toujours évités par les analystes et les commentateurs.

Le premier écueil est celui du simplisme qui tend à donner de l’islam une version extrêmement réductrice d’une religion qui a traversé 15 siècles d’histoire, qui s’étend des colonnes d’Hercule aux Iles de la Sonde, et qui s’est mêlée à de grandes civilisations : perse, indienne, turque. Par-delà l’oumma – la communauté islamique – il y a donc d’immenses différences d’interprétation des dogmes, des pratiques et des lectures du Coran.

Mais l’écueil du simplisme n’est pas le seul à éviter ; certains « sachants », ces – plus ou moins – bons connaisseurs de l’islam en Europe tirent de leur science des conséquences souvent abusives quant à la compatibilité entre l’islam et l’Occident ou s’agissant de la capacité d’adaptation de l’islam à la modernité.

Ainsi lors de la révolution islamique iranienne de 1979, les « sachants » allaient partout répétant que le risque de contagion mondiale n’existait pas puisque les Iraniens étaient des chiites, perpétuellement en conflit avec les sunnites ; ce qui n’était pas faux mais négligeait la puissance nouvelle donnée au concept d’oumma par les moyens de communication modernes ; ce qui a permis à la révolution chiite khomeyniste de se répandre dans tout le monde musulman, y compris sunnite, par les cassettes et les paraboles ; ce qui explique que le retour du port du voile islamique par les femmes se soit souvent fait à partir du modèle visuel iranien du « tchador » tel qu’il fut véhiculé par les télévisions.

De même ceux qui, pour souligner le rôle positif de l’islam dans l’histoire des civilisations, citent Averroès commettent généralement un contresens ; certes, ce penseur andalou du XIIe siècle a joué un rôle important comme commentateur et comme passeur d’Aristote ; mais s’il a eu une postérité intellectuelle et philosophique c’est dans l’Occident médiéval de saint Thomas d’Aquin ; non dans le monde islamique où il n’eut jamais que peu de disciples et rencontra toujours l’hostilité des milieux religieux rigoristes. Ce qu’ignoraient vraisemblablement les élèves de l’ENA qui choisirent – sans doute avec un sens aigu de la bien-pensance mal informée – son nom pour baptiser la promotion 1998/2000.

Enfin la prédiction des Frères musulmans, loin d’être marginale, s’inscrit au contraire dans la longue histoire de l’islam puisqu’elle veut retrouver la foi des ancêtres ou « salaf ». Retour ainsi conçu par leur fondateur Al-Bannâ, grand-père de Tariq Ramadan : « L’islam est dogme et culte, patrie et nationalité, religion et Etat, spiritualité et action, Coran et sabre. »

Conception en pleine expansion et manifestement incompatible avec les valeurs européennes, ce sur quoi avait insisté, dès 1983, le journaliste du « Monde » Jean?Pierre Peroncel?Hugoz,
http://www.amazon.fr/exec/obidos/ASIN/286705009X/qid=1139583622/sr=1-1/ref=sr_1_0_1/402-7220431-4118563
dans « Le radeau de Mahomet », ouvrage prophétique où il dénonçait les « Turcs de profession », ces Occidentaux qui imaginent un « islam à l’eau de rose », un islam à leur image : ces « Turcs de profession » qui tiennent le haut du pavé intellectuel à Paris et qui, du haut de leurs certitudes fausses, ont diabolisé et durablement contribué à aveugler l’Occident ; car si l’islam salafiste n’est pas tout l’islam, il est incontestablement une partie de l’islam.

Il reste que l’honnête homme qui veut éviter le simplisme et la complaisance et se faire, par lui-même, une opinion juste et nuancée de l’islam dispose d’un outil incomparable : le « Dictionnaire historique de l’islam », par Dominique et Jeanne Sourdel, professeurs émérites, paru aux PUF, en 1996. Ce remarquable ouvrage dont les perspectives spatiales et chronologiques s’étendent aux limites absolues de l’univers islamique est ainsi présenté :

« Islam : soumission à Dieu. Univers monothéiste irréductible aux autres mais aussi aux univers pluralistes dans les frontières historiques et religieuses fondatrices de sa légitimité. L’extrême diversité de l’islam, sensible aujourd’hui comme hier, demeure toujours confrontée à cette volonté de ressourcement constant par méditation de l’exemple de son prophète, c'est-à-dire de la Sunna de Mohammad, qui constitue en milieu islamique la pierre de touche de la fugace notion d’orthodoxie et qui permet à ces mêmes milieux de s’unir contre les non-musulmans, même si cette union n’a jamais constitué un obstacle à la prolifération ou à la rivalité d’Etats et d’Empires aux destins le plus souvent divergents ».

Un livre de référence à posséder absolument dans sa bibliothèque.

Andrea Massari
© Polemia
10/02/06

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