Austerlitz : de la repentance à l’autoflagellation

samedi 10 décembre 2005
En choisissant sciemment de faire l’impasse sur les célébrations du deux centième anniversaire de la Bataille d’Austerlitz et de céder ainsi à la « pression venue d’outre-mer », Jacques Chirac et Dominique de Villepin ont délibérément tourné le dos à l’Histoire, faisant ainsi de coupables et sérieuses infidélités à Clio qu’ils ont tout simplement sacrifiée sur l’autel de la repentance et de l’autoflagellation érigées en véritable système politique depuis 1995.

A un moment où le passé colonial de la France reste un sujet de vives polémiques, le gouvernement a donc pris le parti de ne pas fêter la plus connue (et la plus symbolique) des victoires de Napoléon, celle qui a consolidé le Sacre de 1804 et conduit à la dislocation du Saint Empire romain germanique qui avait été fondé par Othon en 962 et avait, huit siècles durant, constitué une menace permanente pour la France. La bataille des Trois Empereurs (Napoléon, François II d’Autriche, Alexandre Ier de Russie), une des plus belles et des moins coûteuses de l’histoire de la Grande Armée, permit en outre le rattachement de Venise au royaume d’Italie et le début de la dynastie des Napoléonides.

Profil bas, donc, pour le triomphe de 1805, célébré le 2 décembre dernier Place Vendôme avec une discrétion de violette, au moment même où, sur le plateau enneigé de Slavkov, plus de 4 000 figurants et quelque 30 000 spectateurs assistaient à la « marche de guerre » reconstituant la bataille qui conforta pendant dix ans le pouvoir de notre pays et de son Empereur, ce qui n’est pas rien !

La publication récente d’un brûlot antifrançais et antinapoléonien, écrit par Claude Ribbe, un historien qui se définit comme « ultramarin », est à l’origine de la coupable défection de Chirac. Dans cet ouvrage, il revient sur le rétablissement de l’esclavage par l’Empereur qu’il accuse de « l’extermination industrielle » de dizaines de milliers d’hommes sur des critères raciaux, allant même jusqu’à le comparer à Hitler et appelant à se mobiliser « contre le révisionnisme historique et les commémorations historiques de Napoléon » (sic).

Il n’en fallait pas davantage au gouvernement français pour tomber à pieds joints dans le piège et satisfaire ainsi au « politiquement correct » qui est décidément dans l’air du temps, comme a pu récemment le constater à ses dépens l’historien Olivier Petré-Grenouilleau.

Son crime ? Dans un ouvrage scientifique, reconnu par une majorité d’historiens de droite comme de gauche et consacré à une histoire globale de l’esclavage, il ne s’est pas contenté de mettre seulement en accusation les seuls Européens mais a rappelé que l’esclavage avait principalement pris ses racines dans la péninsule Arabique. Que n’avait-il pas dit !… Aussitôt, les habituels chasseurs de chercheurs, censure en bandoulière, ont déclenché un véritable feu nucléaire sur un disciple de Fernand Braudel qui a eu le tort de vouloir faire simple œuvre d’historien et non de réécrire l’histoire à la sauce tiers-mondiste.

N’en déplaise à Jacques Chirac et à tous les nouveaux censeurs qui ont ses faveurs, l’Histoire est un TOUT, avec ses grandes époques, ses faits d’armes et ses heures glorieuses, mais aussi ses heures sombres, ses colonnes infernales et ses exécutions sommaires, ses défaites comme celle de Trafalgar et ses victoires comme celle d’Austerlitz.

L’anachronisme imbécile qui consiste à vouloir juger le passé à l’aune des valeurs du présent est aussi délétère que l’autoflagellation à laquelle se livrent en permanence le locataire de l’Elysée et les autorités autoproclamées de la bien-pensance.

Il est devenu de bon ton, par exemple, de ne plus fêter les victoires mais de commémorer les défaites. C’est ainsi que le porte-avions Charles-de-Gaulle était de la fête lors de la célébration du désastre naval de Trafalgar et que le 21 octobre dernier, lors d’une soirée franco-britannique organisée précisément pour commémorer Trafalgar, Jacques Chirac plastronnait au côté de la Reine Elizabeth. Si la victoire d’Austerlitz n’éclipse pas Trafalgar, l’attitude de Chirac et sa présence officielle à Londres est la reconnaissance du droit des thalassocraties anglo-saxonnes à diviser le continent européen.

Quant au devoir de mémoire, il est devenu sélectif. En 2004, le même Jacques Chirac avait refusé que la célébration du deux centième anniversaire du Sacre de l’Empereur connût un éclat particulier.

Le symbole des troupes de la Grande Armée mettant en déroute les forces de la coalition russe et autrichienne est–il finalement trop fort et le pouvoir craint–il que, dans l’inconscient populaire, ne se fasse l’amalgame avec les nouvelles forces que nous sommes incapables de repousser ? Il faut dire qu’à l’époque Napoléon disposait d’hommes motivés et fidèles…

Cependant, certains grognards de la Chiraquie n’ont pas hésité à ruer dans les brancards en fustigeant la « tendance bien moderne de la repentance à tout prix » et en exprimant leur mécontentement.

Ces réactions ne sont malheureusement pas suffisantes pour effacer le malaise, celui d’un pays qui a honte de son passé.


Françoise Monestier
© Polemia
5/12/2005
Archives Polemia