L’Homme nouveau dans l’Europe fasciste (1922-1945)

vendredi 14 octobre 2005
Les régimes totalitaires, apparentés aux dictatures, ont souvent, sinon toujours, été taxés d’avoir inventé le concept de l’homme nouveau, comme la marque d’une culture politique commune aux mouvements et régimes fascistes apparus en Europe durant l’entre-deux-guerres.

Sous la direction de Marie-Anne Matard-Bonucci et de Pierre Milza, déjà auteur d’une monumentale biographie de Mussolini (Fayard 1999), un groupe d’universitaires européens a publié en novembre 2004 les actes d’un colloque intitulé L’Homme nouveau dans l’Europe fasciste (1930-1945) et qui s’est tenu en mars 2000 sous l’égide du Centre d’Histoire du vingtième siècle de l’Institut politique de Paris.

Cette réflexion collective est intéressante à plus d’un titre. Par Europe fasciste, il faut inclure l’Italie fasciste, qui est en quelque sorte la pierre angulaire de l’ouvrage, l’Allemagne nationale-socialiste, l’Espagne franquiste, le Portugal de l’Estado Novo et, dans une moindre mesure, l’Etat français avec ses partis collaborationnistes (notons au passage que l’Union soviétique stalinienne n’y figure pas). Il faut reconnaître que si ces régimes ont fait l’objet de nombreuses études, d’ailleurs de qualité très inégale, peu d’historiens se sont intéressés à cette volonté d’exercer un contrôle absolu sur les individus, pourtant caractéristique des idéologies totalitaires.

La conclusion première des contributeurs est que la volonté de changer l’homme avait été une ambition commune à tous ces Etats. La doctrine de l’homme nouveau s’adosse à l’héritage d’une tradition religieuse (le christianisme en la circonstance) et intègre en même temps une idée laïque de l’homme issue de la Révolution française et des mouvements révolutionnaires du XIXe siècle. L’avenir de cet homme nouveau se fera aussi au contact de l’histoire réelle. En Allemagne comme en Italie, la Grande Guerre constitue un élément fondateur. Néanmoins, marqué par son histoire nationale, par sa culture, par son style, l’homme nouveau conservera une personnalité propre liée à la nation à laquelle il appartient. Et c’est là un des intérêts de ce livre qui à travers cet homme nouveau permet de découvrir ou de redécouvrir philosophie et doctrines de chacun de ces régimes réunis par les auteurs sous le vocable de fascistes.

La période hésitante politiquement et économiquement de l’entre-deux-guerres était, pour les raisons que l’on sait, favorable à la mise en place de régimes autoritaires et l’on aurait pu penser qu’il y aurait eu un modèle type de l’homme nouveau. C’est d’ailleurs la deuxième conclusion à laquelle auraient souhaité aboutir les membres du colloque dont l’orientation politique n’échappera pas au lecteur. Eh bien non ! Même si certaines similitudes se retrouvent, Mussolini, Hitler, Franco et Salazar auront façonné leur système avec des modes et des objectifs différents. Il y a évidemment deux éléments de base communs dans les mécanismes de ces régimes : l’autoritarisme de l’Etat, soit directement de la part du chef suprême au pouvoir absolu et non partagé soit sous l’égide d’un parti unique fort, et la propagande. Pour le reste, les contributeurs de l’ouvrage exposent d’une façon très documentée les particularismes de chaque Etat.

Il en est ainsi dans les trois parties de l’ouvrage : la première consacrée aux idées et aux mythes, ce qu’on pourrait appeler la genèse de l’homme nouveau, la deuxième à l’analyse des réformes nécessaires aux changements de l’homme et la troisième à l’esthétique indispensable à la représentation de l’homme nouveau. Dans cette troisième et dernière partie, en dépit d’un ton marqué de réprobation, les auteurs s’accordent pour reconnaître que durant cette période de l’entre-deux-guerres la production artistique des régimes totalitaires, notamment en architecture, urbanisme et sculpture, a été de haut niveau mais avec, là encore, de grandes variantes selon les Etats.

Ces régimes ont eu la durée que nous leur connaissons, et leurs expériences de l’homme nouveau n’ont pu être mesurées sur le long terme. Mais peut-on dire aujourd’hui qu’elles se sont achevées avec la chute de ces régimes ? On peut se poser la question, quand on constate combien est pesante, de nos jours, l’emprise de l’Etat sur les citoyens, l’Etat qui, à l’aide de ses institutions, des media, du législatif, du judiciaire et de la publicité, conditionne les individus en leur imposant la redoutable pensée unique et l’omniprésent politiquement correct.


René SCHLEITER
© POLEMIA
20/09/2005


« L’Homme nouveau dans l’Europe fasciste (1922-1945) », sous la direction de Marie-Anne Batard-Bonucci et Pierre Milza, Fayard, novembre 2004, 367 pages, 22 euros.
Archives Polemia