Porte-avions franco-britannique : l’envol des illusions européennes ?

dimanche 16 février 2003
La coopération sur la conception et la construction des porte-avions entre Français et Britanniques, lancée au récent sommet du Touquet, est une fausse bonne idée par excellence, tant sur les plans politique, opérationnel, technique, industriel que financier.

Il est certes nécessaire d’entretenir une relation étroite avec le Royaume-Uni, seule puissance européenne possédant une ambition à peu près similaire à la France en ce qui concerne notamment la projection des forces et une armée professionnelle performante.
Mais cette relation privilégiée ne doit pas déboucher sur les illusions d’une coopération politique non fondée sur le bon sens.
En effet, une coopération mal calibrée risque justement d’endommager à terme la relation avec le Royaume-Uni et d’aboutir ainsi à une impasse où, pour mémoire, la coopération ratée sur les frégates Horizon (1999) avait déjà amené les marines française et britannique et les industriels des deux pays.
En cela, la coopération est une fausse bonne idée qui remet en cause les orientations stratégiques, opérationnelles et industrielles de la France.

I. Une fausse bonne idée politique

La coopération européenne peut être prometteuse sur un plan politique dans le cas d’équipements dont la propriété nationale reste claire (aéronefs, missiles, véhicules de combat), mais elle est désastreuse s’agissant d’une unité politique majeure et insécable.
- La première fausse bonne idée est d’essence politique.
Est-il sensé, raisonnable et sérieux de prévoir une coopération industrielle aussi symbolique et emblématique que celle sur un porte-avions, instrument de souveraineté majeur, en un temps où les diplomaties, les services de renseignement et les milieux militaires des deux pays concernés ont autant de mal à s’accorder ? Le dossier irakien n’est que la pointe immergée de l’iceberg : la missile defense, l’OTAN, la politique agricole commune et encore nombre de dossiers stratégiques opposent Paris et Londres. A chaque fois, ce sont les intérêts vitaux de ces deux nations qui sont en jeu. Peut-on coopérer industriellement sans s’accorder sur les fins communes politiques de l’exercice ? L’expérience montre que non. Il serait prudent, afin de préserver une indispensable relation franco-britannique, d’éviter un chemin industriel aussi pourvu d’aspérités que celui des porte-avions.
- La seconde fausse bonne idée est d’essence, si l’on peut dire, énergétique.
La France a fait le choix du tout nucléaire. Ce choix n’est pas remis en cause tant l’expérience montre qu’il a été pertinent. La préservation de la filière nucléaire passe entre autres par la préservation du nucléaire militaire décliné sous toutes ses formes (simulation, force de frappe, missiles et système de propulsion). D’une manière générale, après plusieurs années de campagnes offensives en France et en Europe contre le nucléaire, il est nécessaire de réaffirmer que le nucléaire est au cœur de l’indépendance énergétique. Car l’Asie centrale, le Golfe persique, le Golfe de Guinée, l’Angola et le Venezuela sont des zones d’influence américaine. Et le resteront un moment du fait de la « lutte contre le terrorisme mondial » décrétée par l’Administration Bush.
- La troisième fausse bonne idée est stratégique.
Le bon sens voudrait que les moyens militaires servant à préserver nos accès au pétrole, dont le porte-avions en est le pivot, ne soient pas dépendants de ce même pétrole. Au cours des trois dernières décennies, l’emploi de la précédente génération de porte-avions français, à la notable exception des opérations en Mer Adriatique, a toujours été au Proche-Orient, dont trois fois au-delà de Suez (soutien de l’accession à l’indépendance de Djibouti ; première puis deuxième Guerre du Golfe arabo-persique). Récemment, il a été symptomatique que la première opération dans laquelle le Charles de Gaulle ait été engagé, moins d’un an après avoir été admis au service, ait eu lieu dans le nord de l’Océan Indien. Cette région du monde recèle pour les cinquante ans à venir les plus importantes réserves pétrolières de la planète. Cette richesse potentielle est un facteur d’instabilité, et les puissances occidentales continueront d’y exercer leur influence, si nécessaire par les moyens militaires, au moins pour préserver leur libre accès aux ressources. Le groupe aéronaval est le meilleur moyen d’intervenir rapidement et puissamment dans cette région. La volonté de la France étant de tenir son rôle pour maintenir l’ordre et assurer un libre et juste accès au pétrole est ce qui justifie pour elle le besoin de porte-avions. Dans l’ordre des principes stratégiques, le moyen principal d’agir pour maintenir accessible la source du pétrole ne devrait pas être totalement dépendant de ce même pétrole. C’est vraisemblablement pour cette raison que les Etats-Unis maintiennent la propulsion nucléaire sur leur prochaine génération de porte-avions alors qu’ils y ont renoncé pour toutes les autres catégories de navire de surface. La France qui maîtrise parfaitement la technologie de la propulsion nucléaire est le seul pays européen en mesure d’appliquer ce même principe.
- Enfin, l’action politique a besoin de durée pour être crédible.
Un porte-avions non nucléaire est beaucoup plus vulnérable à travers ses ravitailleurs ; pour mémoire, le Foch et le Clémenceau consommaient chacun 400 à 600 tonnes de mazout par jour. Dans certains cas, comme lors de l’opération Prométhée en 1987/88 en mer d’Oman, le porte-avions Clemenceau a dû s’astreindre à un rythme de quatre semaines de relâche à Djibouti pour seulement trois semaines d’opérations en mer. Au contraire, un porte-avions nucléaire est endurant et autonome. Lorsque la France décide de s’engager dans une crise (volet naval d’Enduring Freedom en Afghanistan, par exemple), il ne faut pas que son action puisse être interrompue par des questions de logistiques ou des considérations techniques. Le Charles de Gaulle a été conçu pour jouer un rôle de portée stratégique dans la prévention et la gestion des crises pour de longues périodes. La coopération avec les Britanniques aboutirait en réalité à une diminution des leviers d’action et de réaction de la France. En cela, la coopération britannique est une fausse bonne idée géopolitique.

II. Une fausse bonne idée opérationnelle

Les aspects liés à l’emploi opérationnel ne semblent également pas pris en compte. Seuls les besoins britanniques le sont. Pourtant, les faits parlent d’eux-mêmes : un porte-avions à propulsion nucléaire (PAN) emporte et de loin la comparaison sur le plan opérationnel.
- La mobilité stratégique est exceptionnelle.
Au cours de l’opération Héraklès, il ne s’est passé que 18 jours entre l’appareillage à Toulon et la première participation des aéronefs de combat de la marine nationale au-dessus du sol afghan. Le Charles de Gaulle et son escorte ont appareillé le 1er décembre 2001 dès la fin de l’entretien programmé de longue date du PA. Dix-huit jours plus tard, les aéronefs du Charles de Gaulle participent aux opérations aériennes aux côtés des Américains. Ces 18 jours incluent le transit vers la mer d’Arabie dont 5 jours de qualification à l’appontage des pilotes du groupe aérien (étape indispensable sans second porte-avions), l’intégration des bâtiments français dans les réseaux de commandement et d’information de la coalition, l’apprentissage des procédures spécifiques au théâtre enfin. N’étant plus limité par le combustible de l’appareil propulsif et ayant, a contrario, des réserves de gazole mobilisables pour la flotte d’accompagnement, la vitesse de déploiement du PAN et de son escorte est de l’ordre de 20 nœuds, contre 12 qui était en pratique la vitesse de déploiement du Clémenceau. Ce dernier aurait donc mis une semaine de plus pour un déploiement similaire. On imagine ce qu’il en aurait été, en matière de vitesse de déploiement et de consommation de carburant, s’il avait fallu contourner l’Afrique à la suite d’une quelconque obstruction du Canal de Suez. En 18 jours, la France a disposé avec son porte-avions d’une base aérienne flottante opérationnelle (avec ses pistes, ses soutes à munitions, ses techniciens, son ravitaillement propre) située à plus de 5000 km du territoire national, prête à opérer dans la durée et sans contrainte diplomatique (droits de bases en particulier) ; en 48 heures, du 17 au 19 décembre 2001, le Charles de Gaulle, ses aéronefs et son escorte sont intégrés au sein d’une force multinationale qui compte plus de cent bâtiments. Au cours de cette opération, les mouvements et points d’application de l’outil stratégique que constitue le groupe aéronaval (GAN) ont suivi le rythme de la campagne militaire de la mi-décembre à fin juin, permettant ainsi de s’inscrire dans différentes finalités opérationnelles :
A/ à partir de mi-décembre 2001, le GAN participe au soutien des opérations à haute intensité à terre jusqu’en mars 2002 ;
B/ en mars, le groupe aéronaval engage 12 cibles liées au « réseau Al Quaida » avec des bombes guidées laser ;
C/ en avril et en mai 2002, le GAN en alerte à 8 jours de sa zone d’opérations conduit deux actions de coopération avec Singapour puis avec l’Arabie saoudite. D/ en juin 2002, il revient sur sa zone d’opérations en renfort des dispositifs de projection de puissance, pendant la période sensible de la Loya Jirga afghane.
- Une présence en mer exceptionnelle.
Depuis son appareillage le 1er décembre 2001, le Charles de Gaulle et son escorte ont effectué l’équivalent de deux fois et demi le tour de la terre. En 212 jours, l’équipage du PAN a passé 190 jours en mer, 5 au mouillage, 13 à quai, soit un taux de présence de 90 %. C’est un record, jamais égalé, pour une telle mission de projection de puissance. Le PAN a notamment navigué 68 jours avant sa première escale. Le Charles de Gaulle et son escorte ont conduit sans discontinuer leurs opérations, alors que les navires logistiques effectuent des norias de ravitaillement entre des points d’appui sûrs et la force navale à la mer. La propulsion nucléaire allège le volume de ces norias. Le Foch était contraint d’être ravitaillé tous les trois jours ; le PAN, chaque semaine uniquement. Le recours aux moyens alliés de ravitaillement altère considérablement l’autonomie d’intervention. En Europe, cette capacité est essentiellement britannique.
- La disponibilité tactique est améliorée.
Les opérations aériennes sont désormais moins dépendantes des questions de logistique. Le rythme de ravitaillement du PA nucléaire n’est lié qu’à la consommation de vivres et de munitions. Système énergétique plus compact que tout autre, la chaufferie nucléaire libère un espace considérable permettant d’augmenter les quantités de carburant, d’aviation et de munitions. Les aéronefs embarqués le 1er décembre ont ainsi pu totaliser plus de 5200 heures de vol (216 jours ou 7 mois de vol). Cette disponibilité tactique est encore accrue par l’installation nucléaire, par nature confinée et économe en eau. Une importante capacité de production est ainsi mise à la disposition des catapultes qui consomment la bagatelle de 400 kg d’eau par lancement, et de la consommation domestique, élément important de l’endurance des équipages. La production secondaire de vapeur et d’eau, nécessaire aux installations d’aviation, est un élément clé de la disponibilité tactique du porte-avions.
- L’interopérabilité avec les alliés et le rôle pivot de la France.
Avec l’U.S.Navy, elle aura été grandement facilitée par le Charles de Gaulle au-delà des procédures, des tactiques et du système d’information et de contrôle. Les deux avions Hawkeye se voient confier des missions de contrôle tactique au profit de toute la coalition ; un Hawkeye américain du porte-avions John C. Stennis apponte et est catapulté du Charles de Gaulle ; le 14 mars, c’est une visite retour effectuée par un Hawkeye français sur le même PA américain. Le système de combat du PAN lui a donné la capacité d’échanger en temps réel un flux continu d’informations avec les autres unités et les centres de commandement à terre, principalement américains.
- Enfin, l’accueil en escale n’est pas un problème.
D’une part, l’escale n’est pas l’objectif principal de ce bâtiment ; seule la Nouvelle-Zélande a déclaré officiellement refuser les escales de bâtiments à propulsion nucléaire. L’objection de l’autorisation du transit par le canal de Suez n’est pas recevable, cette autorisation ayant un caractère purement administratif avec un délai établi, l’Egypte se pliant aux dispositions de la Convention de Londres, et non politique comme dans le cas d’un survol territorial d’avions armés. Ce sont essentiellement le tirant d’eau et la dimension des élancements latéraux, communs à tout porte-avions, moyen ou lourd, qui restreignent le nombre de ports susceptibles de les accueillir.
- Enfin, le PAN Charles de Gaulle a été spécifié pour catapulter et récupérer un raid massif de 20 Rafale.
Les projets britanniques, de ce point de vue, sont incompatibles avec une telle exigence opérationnelle, pourtant cruciale pour des missions de haute intensité ou de défense soudaine.

III. Une fausse bonne idée technique

Fausse bonne idée politique et opérationnelle, le porte-avions à propulsion classique est aussi une fausse bonne idée technique.
Le débat actuel masque les réalités opérationnelles, or ce porte-avions est d’abord et avant tout un instrument de puissance. La conception d’un porte-avions est déterminée par de nombreux paramètres où la politique européenne tient peu de place.
Trois de ces paramètres ont un poids déterminant sur l’architecture du projet :
1. La composition du groupement aérien déployé à partir du porte-avions, et en particulier le choix de l’avion d’armes ;
2. Le concept technico-logistique du soutien du groupe aérien en opérations ;
3. Les exigences de déploiement du porte-avions et de son escorte, qui gouvernent en particulier la taille de la flotte logistique à mettre en œuvre.
Le choix de la propulsion nucléaire ne résulte nullement d’un hasard. Les avantages et les inconvénients ont été soigneusement pesés et l’on peut affirmer que les inconvénients, à l’époque où le choix de la propulsion nucléaire fut tranché, étaient parfaitement connus des acteurs de ce choix.
La propulsion nucléaire confère à un porte-avions qui déploie des avions d’armes conventionnels de type Rafale marine des avantages appréciables :
- Aménagement du pont d’envol.
Du fait de la suppression des conduits de fumée des porte-avions à propulsion classique, la propulsion nucléaire laisse une liberté totale pour l’aménagement du pont d’envol et du hangar aviation. A taille de navire égale, la propulsion nucléaire permet ainsi d’accroître de 50% la superficie du pont d’envol. La propulsion nucléaire a permis, en positionnant l’îlot sur l’avant du pont d’envol, de placer l’ascenseur avant vers le milieu du bâtiment à un endroit où il est moins exposé aux paquets de mer ; le hangar aviation est également libre de tout passage de conduits de fumée ou d’aspiration d’air comburant.
- Sillage thermique aérien.
Au contraire des systèmes de propulsion à énergie fossile, la propulsion nucléaire ne détermine aucun sillage thermique aérien. Outre les avantages de discrétion que cela procure vis-à-vis des détecteurs infrarouges, l’avantage essentiel de cette caractéristique est que, par vent relatif faible, un avion en approche d’appontage au second régime, généralement cabré pour avoir la plus grande portance possible, a plus de marge vis-à-vis des pertes brutales de portance, voire du décrochage, que lorsqu’il traverse un sillage de gaz très chauds. Le phénomène est tout particulièrement marqué dans le sillage des turbines à gaz, qui représentent la pire des solutions lorsqu’on considère la sécurité des opérations d’appontage.
A ce titre, il convient de faire remarquer que c’est pour cette raison qu’aucune marine n’a jamais mis en œuvre des avions classiques (c’est-à-dire se présentant à l’appontage en vol aérodynamique) depuis des porte-avions équipés de turbines à gaz. La marine nationale se devrait d’en faire de même par simple principe élémentaire de précaution. Sur les porte-avions de la classe INVICIBLE, qui sont équipés de turbines à gaz Rolls-Royce et déploient des avions de type STVOL Harrier, le problème se pose en des termes très différents. La présentation de l’avion peut s’effectuer non pas dans l’axe de la piste mais être déportée hors pont d’envol à bâbord, la phase finale de l’appontage étant constitué d’un posé en crabe. Le MoD a fait le choix en septembre 2002 d’adopter pour ses futurs porte-avions un avion américain en plein développement, le F-35/STVOL, version à décollage court et atterrissage vertical, qui ne nécessite donc pas les installations spécifiques catapultes-brins d’arrêt. La spécification opérationnelle majeure du porte-avions britannique s’est ainsi écartée de la conception française. Même la période de partage industrielle qui s’est ouverte le 31 janvier 2003 ne remettra pas en cause et la propulsion à énergie fossile fournie par Rolls-Royce et le choix de l’avion. On ne voit pas les Britanniques renoncer au système propulsif RR et à l’interopérabilité de leur flotte aéronavale avec les Etats-Unis au nom d’une coopération franco-britannique et de « l’Europe de la défense »...
- Propreté et sécurité du pont d’envol.
La propreté du pont d’envol du PAN a été tout particulièrement appréciée des pilotes et équipes d’aviation au cours des essais et en opération, l’absence de fumée et de précipitation de suies ayant un effet éminemment favorable sur la sécurité des opérations aériennes :
1° pas de problèmes d’encrassage des avions ;
2° pas de revêtement de pont rendu glissant par les précipitations grasses des gaz de combustion.
On peut certes imaginer qu’un système de propulsion conventionnel alimenté en gazole en lieu et place du mazout que consommaient le Foch et le Clémenceau conduirait à des effets plus faibles que les phénomènes observés chez ces derniers. Reste que ces effets ne disparaîtraient pas, car ils sont inhérents à la production de fumée.
- Capacité d’emport en carburant aviation.
L’absence de soutes à combustibles pour la propulsion principale augmente l’espace disponible pour stocker du kérosène et des munitions pour le groupement aérien. Le Clémenceau disposait de 1300 mètres cubes de capacité de stockage de kérosène ; le PAN en dispose de 3000 mètres cubes. Encore n’a-t-il pas exploité pleinement les volumes disponibles au bénéfice du groupement aviation, puisqu’il peut stocker 1000 mètres cubes de gazole délivrable en mer à la flotte d’accompagnement.
- Fonction de pétrolier ravitailleur.
Le Foch et le Clémenceau consommaient en pratique 10 à 20 % de leurs réserves par jour, et devaient être ravitaillés tous les 3-4 jours. Même si les chaudières avaient été alimentées en gazole, ils n’auraient pas pu assurer la fonction de pétrolier-ravitailleur au bénéfice de la flotte d’accompagnement, comme peut le faire le PAN. Sous cet aspect, la propulsion nucléaire allège sensiblement le dispositif logistique à déployer en soutien du groupe aéronaval. Ainsi, avec une activité aérienne de l’ordre de 40 vols par jour en moyenne, le PAN a une autonomie de 12 à 15 jours environ.
- Sensibilité aux actes du terrorisme.
L’analyse comparée de la sensibilité aux actes terroristes des PA à propulsion conventionnelle ou nucléaire est un exercice périlleux, car il dépend fortement des scenarii d’entrée envisagés.
Pour ceux pris en considération, les chaufferies du PAN Charles de Gaulle ont une excellente résistance intrinsèque, et l’on peut estimer que ce n’est pas tant le risque nucléaire, traité au titre de la sécurité tout court, qui est à prendre en compte que le risque incendie. Un tel risque n’est pas spécifique au porte-avions et il procède au premier chef de la présence du groupe aérien à bord. De ce point de vue, on peut considérer que le PAN a été beaucoup mieux traité que ne l’aurait été un porte-avions à propulsion conventionnelle et l’on doit noter que le niveau de sécurité incendie y est très supérieur à ce qui avait été réalisé sur les bâtiments de la classe Foch. Le choix de la propulsion nucléaire force à la sécurité et à la rigueur. On peut difficilement mettre au débit de la propulsion nucléaire la nécessité d’un niveau de sécurité élevé qui, en définitive, sur un bâtiment à risques importants comme l’est un PA, ne devrait pas être lié au choix de la propulsion. Les évènements catastrophiques qu’ont connu dans le passé certains porte-avions américains à propulsion conventionnelle, militent abondamment en ce sens. On peut ainsi souligner que le PAN ayant moins besoin de relâcher dans les ports, reste plus longtemps au large que les bâtiments à propulsion classique. Autrement dit, il s’expose moins à la menace terroriste, qui n’est réellement effective que dans les zones côtières. Ainsi, aussi paradoxal que cela puisse paraître, le PAN est un bâtiment plus sûr en matière de terrorisme.

IV. Une fausse bonne idée industrielle

La coopération sur la conception et le système de propulsion reste également une fausse bonne idée industrielle pouvant mener à des impasses comme le programme de frégates anti-aériennes HORIZON l’a montré.
- BAE systems doit-il intervenir dans le sistership du Charles de Gaulle ?
Le MoD, sans faire de partages plus précis, a choisi BAE systems comme prime contractor tout en imposant la conception de Thales et la DPA (DGA britannique) comme élément d’arbitrage et de cohérence du schéma industriel. BAE systems (ou d’autres chantiers navals britanniques comme Babcok international, VT group, Swan Hunter) pourrait prétendre légitimement, si l’on en croit les déclarations politiques du Sommet du Touquet, à une part dans la construction du PA français. Ce choix serait la pire solution industrielle possible, le prime britannique ayant récemment accumulé les erreurs de conception sur les programmes navals britanniques.
- L’expérience incite à la prudence dans la coopération navale avec les Britanniques.
Les exemples des trente dernières années montrent que les Britanniques conservent une option très nationale à leurs associations : celles-ci leur permettent de puiser dans un think tank commun, de bloquer l’adoption d’une solution commune, jusqu’à ce qu’une solution nationale, tirant profit de la valeur ajoutée de la coopération initiale, leur permette de lancer, en national, le produit escompté. Les coopérations résiduelles, comme le seul missile Aster, sont considérées comme des moindres maux et réduites au minimum.
- La dimension nationale culturelle d’un porte-avions ne doit pas être négligée.
La réalisation d’un porte-avions en coopération serait une coûteuse catastrophe précisément à cause des différences de culture, particulièrement marquée dans le domaine de l’aviation embarquée, dont les choix de mise en œuvre et de soutien technique diffèrent fondamentalement. L’expérience de la coopération a échoué sur la frégate HORIZON, un projet pourtant moins ambitieux qu’un porte-avions. Pourquoi se lancer dans une aventure dont on sait d’avance qu’elle soulèvera les pires difficultés et qui n’aboutirait qu’à nos seuls frais, et ce alors que la France a déjà une solution opérationnelle ?
- Le problème clé de la propulsion.
Les Britanniques ont fait le choix de la propulsion par turbine à gaz, un domaine où l’industrie française est totalement absente. Ni la DCN ni la Société d’Energie Propulsion - sans mentionner Technicatome - n’auraient de rôle dans un projet en coopération. La solution Rolls-Royce s’imposerait sans contrepartie à la partie française. Au moment où l’Etat envisage la mutation de la DCN, il serait paradoxal de vouloir lui amputer une part de son plan de charges au nom d’une coopération politique où les intérêts industriels français seraient réduits au minimum. L’Etat se doit de valoriser son patrimoine industriel surtout en période de mutation.
- La « communauté réduite au baquet ».
L’espoir de faire des économies en tablant sur une même coque n’est qu’un leurre. Les Britanniques ne dépenseront pas une seule livre pour permettre de lourdes adaptations structurelles qu’il serait nécessaire d’étudier pour faciliter l’intégration des catapultes et brins d’arrêt, ainsi que les systèmes de production de vapeur nécessaires aux catapultes. En outre, le volume de ces installations devra être réservé au détriment de la distribution fonctionnelle des locaux et de leurs servitudes (énergie, ventilation, froid, SIC). Il en est même, du fait des différences liées aux aéronefs et à leur soutien, de la distribution des locaux et ateliers techniques de soutien aéronautique. A quoi sert-il d’avoir la même carrosserie s’il faut entièrement réaménager l’ergonomie du navire, sans parler des considérables ajouts nationaux liés à la mise en œuvre de l’ASMP-A (soutes, monte-charges, locaux de fonctionnement, etc) ? Tous ces problèmes sont déjà résolus sur le Charles de Gaulle.

V. Une fausse bonne idée financière

Les coûts globaux (acquisition et possession) devraient constituer un facteur déterminant du choix français. Tous les décideurs des armées sont très dubitatifs quant à la capacité française de respecter la loi de programmation militaire (LPM) 2003-2008 et la crainte du CEMA et du CEMM est que ce deuxième porte-avions se fasse au détriment d’autres programmes classiques tout aussi nécessaires (Frégates Multi-Missions, frégates anti-aériennes, SNA). Il est donc indispensable que le coût d’acquisition d’un 2ème porte-avions soit nettement inférieur à celui des autres formules.
Or là encore, le nucléaire se révèle particulièrement compétitif :

- Acquisition, en millions d’euros aux conditions économiques de 2002 et H.T. 1. PA Charles de Gaulle : 2682
2. PA 2 nucléaire : 1855 (tonnage de 40 000 tonnes, identique au CdG aux obsolescences et retour d’expérience près)
3. PA 2 Pétrole : 2106 (tonnage 45 000 tonnes, à capacité d’emport d’avions égale, le PA pétrole est beaucoup plus gros que le PAN)
4. PA UK : 2800.

- Possession,, estimation du surcoût occasionné par le 2e PA dans les différentes formules par rapport au système PA déjà constitué par le CDG, en millions d’euros, HT pour une période de 6,5 années qui constitue la durée du cycle d’entretien.
1. PA nucléaire : 1250
2. PA 2 pétrole : 1325 (industriel), 1205 (SSF/Marine).


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