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Nouveau succès écrasant de Viktor Orbán en Hongrie : pourquoi un tel résultat ?

Nouveau succès écrasant de Viktor Orbán en Hongrie : pourquoi un tel résultat ?

Par Thibaud Gibelin, essayiste, professeur invité au Mathias Corvinus Collegium, auteur de Pourquoi Viktor Orban joue et gagne – Résurgence de l’Europe centrale ♦ Dimanche 3 avril se tenaient des élections législatives en Hongrie. Pour la quatrième fois d’affilée, la formation politique de Viktor Orbán remporte une majorité des deux tiers au Parlement. Afin de comprendre ce triomphe inattendu, remettons brièvement le scrutin de dimanche en perspective.

 

Du retour au pouvoir à 2018

  • En 2010, le Fidesz revient au pouvoir après huit années calamiteuses aux affaires de la coalition libérale-socialiste, marquées par des scandales de corruption, des manifestations réprimées par la police (2006), et bien surtout le marasme économique et le recours à un prêt du FMI.
  • En 2014, la majorité constitutionnelle des deux tiers est renouvelée de justesse selon la carte électorale et le mode de scrutin modifiés par les réformes constitutionnelles. Désormais, le Parlement hongrois compte 199 sièges : 106 pourvus par autant de circonscriptions et 93 acquis selon un scrutin de liste. Les électeurs votent donc deux fois, pour leur député local et pour la liste de leur choix. Les Hongrois du bassin des Carpates participent seulement au scrutin de liste.
    Même l’obtention de la majorité absolue n’était pas garantie, puisque la « révolution conservatrice » paraissait anachronique et révoltante aux yeux de très nombreux observateurs. Les Hongrois en jugèrent autrement.
  • En 2018, l’incertitude est maximale la veille du scrutin. L’évènement majeur de la législature écoulée, la crise migratoire, rebat les cartes. Viktor Orbán a assumé une position forte, clivante et minoritaire sur le refus de l’immigration extra-européenne et des quotas. Privé de marge de manœuvre et pressé d’arriver au pouvoir, le parti d’extrême-droite Jobbik se dit prêt à gouverner avec l’opposition de gauche. Le Fidesz fait campagne avec la slogan trumpien « pour nous, c’est la Hongrie en premier », rejetant l’opposition comme autant de forces inféodées à « l’empire Soros ». La forte participation le jour de l’élection est interprétée par les observateurs occidentaux comme un sursaut démocratique pour chasser Viktor Orbán : c’est l’inverse qui se produit. Le Fidesz renouvelle sa majorité des deux tiers.

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La situation en 2022

  • Traumatisée par des échecs à répétition, l’opposition a décidé de se coaliser. Les diverses tendances de gauche et l’extrême-droite repentie choisissent à l’automne 2021 le conservateur indépendant Péter Márki-Zay pour mener une liste commune. Face aux scores cumulés de l’opposition, le Fidesz peut effectivement être mis en minorité. Le profil de Péter Márki-Zay, catholique et père de famille nombreuse, doit même séduire la base électorale du Fidesz.
  • Une fois encore, rien ne se passe comme prévu. Les partis d’opposition ne veulent rien perdre de leurs prérogatives, la rédaction d’un programme commun s’avère une gageure, Márki-Zay passe pour un prête-nom à la fois sans autorité sur ses puissants soutiens et maladroit dans ses déclarations décousues et unilatérales. De plus, le Jobbik perd son identité politique dans cette coalition, ce qui offre une fenêtre de tir au jeune parti nationaliste Mi Hazank, qui a fait de la défense des libertés face à la « dictature covidique » un de ses chevaux de bataille.
  • Les deux blocs reste au coude à coude jusqu’à mi-décembre, fluctuant avec une très faible amplitude entre 43 et 47%, les points restants vont aux indécis revendiqués et aux petites formations alternatives. Le Fidesz dégage depuis le début de l’année une mince mais constante avance. Quand Viktor Orbán s’impose comme champion de la paix face à la guerre russo-ukrainienne, il confirme son avantage. Mais ce n’est que dans les derniers jours que le Fidesz approche la barre des 50% selon certains sondages.
  • L’opposition n’a pas cessé de rester très haut dans les intention de votes, entre 43% et 47%, un écart qui laissait toutefois présager la victoire du Fidesz. Enfin, les derniers jours, quelques études ont évalué l’opposition plus près des 40%.

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Les résultats

  • Dimanche vers 20h30, les premiers résultats partiels paraissent sur les chaînes de télévision. D’emblée le Fidesz semble assuré d’un triomphe, d’autant que les résultats des métropoles, où l’opposition concentre ses forces, ne sont pas encore dépouillés. Mais la tendance ne s’inverse pas. En ce qui concerne les circonscriptions, c’est un raz-de-marée. Si Budapest est acquis à l’opposition – à l’exception de deux circonscriptions périphériques – toutes les circonscriptions du pays élisent un député Fidesz, à l’exception de deux circonscriptions urbaines au sud du pays.
  • Le Fidesz non seulement renouvelle sa majorité constitutionnelle des deux tiers, mais la renforce de deux sièges, passant de 133 à 135 députés. Autre record, la liste Fidesz remporte 53% des suffrages, très loin devant l’opposition coalisée (35%).
  • L’autre évènement de ce scrutin concerne le parti nationaliste Mi Hazank, qui passe la barre des 5% et envoie 7 députés au Parlement.

 

Que penser des sondages ?

  • Jusqu’aux élections, certains sondages ont évalué les deux listes principales au coude à coude, précisément avec cette marge d’erreur qui entretient l’incertitude du résultat. Finalement, il ne s’agit pas d’un écart de 2 points escomptés, mais d’un abîme de 18 points !
  • Difficile d’évaluer la cause d’un tel écart entre sondage et réalité. On peut dire que le coude à coude avantageait le Fidesz, afin de mobiliser ses troupes face à la perspective d’un périlleux changement de majorité. Mais il avantageait tout autant la coalition libérale à bout de souffle qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf Fidesz. Dans un cas, il s’agit d’une illusion mobilisatrice, dans l’autre cas d’une illusion consolatrice.
  • En effet, le Fidesz conserve un nombre de voix stable entre 2018 et 2022. En revanche, le cumul des voix pour les partis d’opposition baisse de 800 000 d’une élection à l’autre.
  • Avec 6,17 % les nationalistes de Mi Hazank réalisent un score 100% au-dessus du résultat escompté (autour de 3%).

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En conclusion, on peut souligner que l’opposition paye le prix de plusieurs tares :

  • Un défaut d’incarnation, avec un candidat maladroit et inexpérimenté face au charismatique Premier ministre sortant.
  • Un défaut d’organisation et de programme, avec un agrégat hétéroclite de partis qui espéraient chacun exploiter une victoire de coalition pour leur propre intérêt, ou s’assurer une place confortable dans l’opposition pour quatre années supplémentaires.
  • Un défaut de vision, tant l’opposition anti-Orbán semble avant tout l’écho en Hongrie des récriminations internationales.

Face à de telles défaillances, le Fidesz a su faire jouer le temps en sa faveur, se poser en continuateur d’une œuvre d’ordre et de paix avec la figure tutélaire d’un dirigeant expérimenté.

Thibaud Gibelin
06/04/2022

Crédit photo : European People Party [CC BY 2.0]

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