Le mariage et l'adoption pour les couples homosexuels

dimanche 14 octobre 2012

Polémia a déjà publié plusieurs textes traitant du projet législatif concernant le mariage entre homosexuels. Nos lecteurs retrouveront les liens en cliquant «mariage homosexuel» sur notre moteur de recherche. Un de nos correspondants, que nous remercions vivement, nous a fait parvenir la lettre que Mgr Brouwet, évêque de Tarbes et Lourdes, a adressée à ses fidèles. Les raisonnements développés dans cette lettre, qui tranchent avec ce que nous avons pu lire jusqu'alors nous ont paru intéressants.

Polémia

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Lettre de Mgr Nicolas Brouwet,
Evêque de Tarbes et Lourdes
 

Le mariage et l’adoption pour les couples homosexuels

Dans quelques mois un projet de loi sera déposé pour autoriser le mariage des personnes homo-
sexuelles et l'adoption d'enfants par des couples de même sexe. J'aimerais vous livrer, comme pas-
teur du diocèse de Tarbes et Lourdes, quelques réflexions à ce sujet.

Avouons tout d'abord que les réalités dont nous sommes les plus certains sont les plus difficiles à justifier. Elles sont tellement évidentes qu'on n'a jamais pris le temps d'y réfléchir. Qu'un mariage concerne un homme et une femme, que des enfants aient besoin d'un père et d'une mère pour être éduqués nous semble tellement naturel qu'on peine à trouver des arguments pour les expliquer. Ce projet de loi est donc une occasion, pour l'Eglise et pour la société, d'aller plus loin et d'approfondir nos connaissances et nos convictions sur le mariage.

Une absence de débat

Or, sur cette question, il me semble qu'en France le débat n'a pas lieu. Toute prise de parole qui met en doute la légitimité du mariage entre personnes de même sexe est considérée comme une marque d'homophobie. Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi la discussion, lorsqu'elle commence, s'oriente-t-elle immédiatement sur les convictions homophobes ou homophiles des interlocuteurs ? Comme si ceux qui ne soutiennent pas ouvertement les comportements homosexuels n'avaient plus droit à là parole. Avons-nous donc perdu à ce point le sens de là délibération, du dialogue, de la confrontation pour que soit suspectée la possibilité même de chercher ce qui nous semble juste, bon, porteur d'avenir pour les individus et pour là société ? Il serait à l'honneur de notre démocratie qu'il puisse y avoir un véritable débat - et un débat public - sur ces questions.

Dans les conversations qui ont lieu actuellement dans les familles, entre amis ou entre collègues sur le sujet, un argument vient très vite suspendre la réflexion : certains connaissent des couples homosexuels et s'entendent bien avec eux ; certains connaissent aussi des jeunes élevés par un couple homosexuel et  assument très bien une telle éducation. Souvent la conversation tourne court après de tels témoignages. Disons-le dès maintenant : dans le débat qui nous occupe, la question n'est pas de s'interroger sur ce que nous éprouvons face aux personnes homosexuelles ;  elles sont respectables et doivent être respectées quoi que nous pensions de l'homosexualité. De ce point de vue un progrès a été fait au cours de ces dernières années pour faire cesser des attitudes et des paroles extrêmement blessantes à leur égard.

La question n'est pas non plus de nier que des enfants aient pu trouver leur équilibre personnel après avoir été élevés par des personnes de même sexe. On parle suffisamment du phénomène de résilience - c'est-à-dire de la capacité qu'a chacun à trouver son équilibre malgré les obstacles - pour comprendre que l'argument ne justifie pas à lui seul le vote d'une loi autorisant l'adoption des enfants par des personnes homosexuelles.

Ce n'est pas, par exemple, parce que des enfants ont été élevés par une mère seule, et ont trouvé leur équilibre,  faut recommander et institutionnaliser cette situation...
Tant que le débat se fera dans ces termes nous ne serons que dans les bons sentiments. On reproche parfois à l'Eglise son moralisme. Mais le sentimentalisme diffus dans lequel la question du «mariage pour tous » est traitée par bien des media ne fait pas honneur à la raison humaine : il ne suffit pas d'additionner des témoignages émouvants souvent, d'ailleurs, en faveur exclusive des couples homosexuels, pour faire murir une réflexion  en profondeur.

Il semble y avoir assez peu de travaux de juristes, de psychologues, d'éducateurs ou d'historiens sur la question du mariage des homosexuels et de l'adoption d'enfants par des couples de même sexe. Des professionnels sans parti pris parleront-ils ? En ont-ils même la liberté ? Accepteront-ils aussi de parler et d'écrire dans des revues scientifiques, même s'ils vont à contre-courant du discours médiatique ? Y aura-t-il une place faite pour des témoignages contradictoires ou la parole ne sera-t-elle donnée qu'à ceux qui militent pour ce projet de loi ?

Et dans nos familles ?

Pour certains d'entre vous ces questions doivent sembler bien théoriques. D'autres estiment peut-être qu'elles ne les concernent pas. Après tout, pensez-vous, si des personnes homosexuelles veulent se marier ou avoir des enfants, pourquoi devrait-on le leur interdire ? Ces questions sont en effet théoriques jusqu'au jour où votre fils, votre petite-fille, votre frère ou une de vos amies vous révèlera qu'il (ou elle) va vivre avec une personne de même sexe. On se rend compte alors que la décision est prise; chacun essaye alors d'ajuster son comportement comme il le peut. On accueille le couple pour un repas, pour une fête, ou pour des vacances. Mais souvent, quel malaise l On ne sait pas  dire aux enfants ou aux jeunes de nos familles présents à cet événement. Soit on se tait en pensant c|ue la tolérance justifie son silence. Soit on tente de se lancer dans des explications mais elles sont souvent confuses et insatisfaisantes. C'est précisément pour cela que  je vous écris. Pour que nous osions faire face à ce malaise et à cette confusion.

Quelle est la question posée par le projet de loi sur le mariage et l'adoption pour les personnes homosexuelles ?

C'est ce||e du mariage et de la famille qui, lorsqu'ils constituent un foyer aimant, sont des fondements de notre vie sociale.

Le mariage comme réalité sociale

Le mariage engage un homme et une femme qui s'aiment. C'est-à-dire deux personnes possédant la même humanité, deux personnes totalement égales en dignité, mais dissemblables parce qu'elles sont de sexe différent. Chacune a sa manière de vivre son humanité : un homme ne pourra jamais comprendre totalement ce qu'est la féminité. Une femme ne pourra jamais saisir parfaitement la version masculine de l'humanité. Ce qui fonde notre vie sociale, c'est l'acceptation de ne pas pouvoir être l'humanité à soi tout seul : c'est l'acceptation de cette différence sexuelle fondamentale qui fait  je ne peux prétendre me suffire à moi-même. Comme homme, j'ai besoin de la femme; comme femme, j'ai besoin de |'homme. || y aura toujours une part de mystère de l'humanité  qui me sera inaccessible sauf si j'accepte de le recevoir du sexe opposé au mien.

Le consentement à cette différence sexuelle incontournable - chacun de nous naît homme ou femme et il naît aussi d'un homme et d'une femme - fonde le consentement à toutes les différences auxquelles je suis confronté dans mon existence. Accepterai-je ou non celui qui est différent de moi ? Parce qu'il vient d'une autre culture, parce qu'il est moins riche, parce est d'un tempérament plus  vif, parce qu'il est plus cloué ?... Cette différence sera-t-e||e pour moi un enrichissement ou la vivrai-je comme une remise en cause insupportable de ce que je suis ? 

Le mariage, dans lequel s'exprime un amour vivant et libre, est l'ouverture de l'homme et de la femme à ce monde-là. A un monde où j'accepte de ne pas être une totalité à moi tout seul pour construire, avec une personne de sexe différent, une société plurielle.

L'éducation des enfants dans la différence sexuelle

De ce mariage naissent des enfants. Pour qu'un enfant vienne au moncle, il faut un homme et une femme. La fécondité biologique repose sur l'altérité sexuelle. La technologie actuelle peut évidemment cacher cette réalité, en inséminant une femme seule par exemple ; mais elle ne pourra jamais la contredire. Et si un enfant naît d'un homme et d'une femme, c'est parce qu'il a besoin de son père et de sa mère - un père et une mère qui s'aiment - pour s'ouvrir à cette différence sexuelle radicale, la comprendre et l'assumer. La famille est un lieu d'éducation à la vie sociale : on y vit avec des personnes de sexes différents, d'âges différents, de caractères différents. On y apprend à cohabiter, à faire ensemble des projets, à dialoguer, à se pardonner, à se connaître et à prendre soin de l'autre. Tout cela se fait dans le climat d'une différence sexuelle acceptée et vécue par le couple parental.

C'est pourquoi le mariage et la famille sont fondateurs pour notre vie en société. Parce que la famille a pour tâche d'éduquer au vivre ensemble; et qu'elle repose sur un lien conjugal qui est un véritable projet social. En effet, le mariage n'est pas seulement la reconnaissance publique d'un sentiment de tendresse qui unit les époux : il est un engagement dans la durée à fonder un foyer et à élever des enfants pour construire, avec d'autres familles, la communauté politique à laquelle on appartient. Une société n'a d'avenir que si des familles stables regardent au-delà d'elles-mêmes, prennent leurs responsabilités dans la construction du monde, assurent le renouvellement des générations et éduquent à la vie sociale.

Le rôle de l'Etat

La famille est donc la première communauté dans laquelle l'individu est inclus de manière naturelle, c'est-à-dire sans qu'il le cherche : la personne humaine appartient de fait à une famille. C'est pourquoi la personne humaine et la famille ne tirent pas leur identité et leur légitimité de l'Etat. L'Etat est postérieur au mariage et à la famille, comme il est postérieur à la personne humaine. Voilà pourquoi il n'appartient pas à l'Etat, me semble-t-il, de définir ce que doivent être le mariage et la famille. Au contraire, il est à leur service. Il peut, certes, donner des droits à des personnes désirant vivre ensemble. Mais le pouvoir politique ne peut toucher à ces réalités fondamentales que sont le mariage et la famille sans abuser gravement de ses prérogatilves. Il a en effet pour fonction d'assurer le vlvre ensemble, pas de deflnlr ou de redeflnlr les categorles les plus élémentaires de la personne et dela société.

Or par son projet de loi, le pouvoir politique se propose de changer en profondeur la définition du mariage. Il le réduit à un pacte privé entre deux personnes qui s'aiment sans s'interroger sur ce que ce changement va induire à la fois pour le renouvellement des générations dans l'ordre social et pour l'accueil de la différence sexuelle dans l'ordre symbolique. Certes il faut qu'il y ait de l'amour. Et cet amour est indispensable pour éduquer des enfants. Les personnes homosexuelles qui demandent le mariage sont capables d'un amour profond, généreux, sincère. Mais il faut aussi, pour fonder une famille et contribuer à la vie sociale, accepter de se confronter à la réalité, celle de la différence entre l'homme et la femme.

Afŕirmer c|ue l'interdiction actuelle du mariage pour les personnes homosexuelles est une injustice qui leur est faite est une échappatoire. Le mariage concerne un homme et une femme. Dans toutes les civilisations et au cours de toute l'histoire. Jamais une culture n'a proposé un mariage entre deux personnes de même sexe. Les personnes homosexuelles ne sont donc pas concernées par le mariage. Elles font le choix de vivre autre chose. Mais si l'on change la définition du mariage en prétendant qu'il concerne deux personnes indépendamment de leur sexe, alors on en fait une injustice. Mais  jusqu'où ira-t-on ? 

Certains réclament déjà un mariage à plusieurs. Sur quel critère va reposer la nouvelle définition du mariage ? Apparemment sur l'arbitraire du pouvoir politique. C'est cela qui est grave. L'Etat doit-il donner une reconnaissance institutionnelle à toutes les formes d'association, à toutes les formes de vie commune ?

La question de l'adoption

Une autre dérive me semble dangereuse dans ce projet de loi : c'est l'idée que l'on semble se faire de l'adoption. L'adoption a été rendue possible pour venir en aide à des enfants privés de leurs parents. On leur donnait ainsi une famille pour qu'ils puissent y trouver une affection, une éducation, un confort bien supérieurs à ce qu'ils pourraient trouver dans un orphelinat, par exemple, ou en étant laissés à eux-mêmes dans la rue. Beaucoup de couples ont ainsi accueilli un ou plusieurs enfants en plus des leurs. Certes, des couples atteints par la stérilité ont trouvé là un moyen de fonder une famille, ce qu'ils n'auraient pas pu faire autrement. Disponibles, généreux, désireux d'éduquer des enfants, ils se sont ouverts à l'adoption pour faire face à une situation imprévue, inattendue. Dans le projet de loi  sera proposé, l'adoption ne sera plus d'abord un moyen d'aider des enfants mais une manière d'institutionnaliser un droit à l'enfant, ce est radicalement différent. Et contraire au respect de la personne qui n'est jamais un moyen pour satisfaire un désir, aussi fort soit-il.

Par ailleurs, comment organisera-t-on alors la répartition des enfants en attente de famille ? Quels seront les enfants qui auront droit à des parents de sexe différents et q|uels seront ceux qui seront confiés à un couple homosexuel ? Quelle justice peut-on garantir à ces enfants adoptés ?

L'homosexualité ne définit pas une identité 

L'homosexualité ne constitue pas une identité  on ne définit pas quequ'un par ses désirs sexuels. On est homme ou femme et la société ne peut fonctionner que dans la reconnaissance de cette altérité et dans l'acceptation par chacun de son être sexué. A travers la «théorie du genre», on enseigne aujourd'hui aux jeunes de nos collèges et de nos lycées qu'ils sont déterminés clès leur naissance par une orientation sexuelle : il serait utile de leur dire que l'attrait souvent passager pour quelqu'un du même sexe à l'adolescence - attrait qui va parfois jusc|u'à une expérience sexuelle - ne constitue pas une orientation sexuelle et encore moins une identité. Prétendre le contraire c'est les tromper et les désespérer. La tâche des parents et des éducateurs n'est pas d'enfermer les jeunes mais, de les rendre à eux-mêmes en leur faisant découvrir leur vocation, une vocation à bâtir le monde présent avec leurs richesses, leurs talents, leurs compétences personnelles.

Le projet de loi est-il un progrès ?

On dit  ceux qui sont opposés au projet de loi sur le mariage des personnes du même sexe vont contre le progrès. Toute la question est là : s'agit-il d'un progrès ou d'une régression ? Ce n'est pas parce qu'un projet est nouveau qu'il constitue forcément un progrès. Débattre, réfléchir, rechercher ensemble, c'est précisément s'interroger pour savoir si une idée nouvelle est une mode passagère ou un véritable pas en avant pour la personne et pour la société.

Ce débat aura-t-il lieu ?

Un évêque n'est pas un homme politique et c'est très bien ainsi. Mais il cloit assumer les responsabilités lui ont été confiées. Et, dans la société actuelle, il peut contribuer à la réflexion surtout quand les enjeux sont aussi importants. N'ayons pas peur de parler et de chercher ensemble ce est vrai et juste pour chacun de nous et pour notre société.

Le 1er octobre 2012

+ Nicolas Brouwet
Evêque de Tarbes

Correspondance Polémia - 14/10/2010

Image : Mgr Nicolas Brouwet, évêque de Tarbes et Lourdes

 

 

 

 

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